Le monde connaît à l’heure actuelle trois crises majeures : une crise politique avec la remise en cause de la mondialisation et un changement des rapports de force dans la société internationale, la crise énergétique (l’explosion du prix des matières premières en particulier du pétrole, du gaz et du charbon) et la crise écologique.
Or dans ce monde nouveau qui se dessine, le terrorisme tient une place particulière car il est présent sur tous les continents. Il représente une véritable menace pour la démocratie, la paix et la stabilité dans le monde. En particulier, des attaques meurtrières se produisent régulièrement en Ukraine, en Afrique de l’Ouest (Mali, Burkina Faso, Niger), au Moyen-Orient et maintenant en Europe. Les cibles visées sont souvent des personnes et des bâtiments religieux comme en témoignent les attentats de Nice en la basilique Notre-Dame le 29/10/2020 et aussi l’assasinat du « père Hamel » au nom de dieu le 9/03/2022 dans une église au sud de Rouen. Il faut y ajouter une attaque à la machette dans deux églises à Algésiras au sud de l’Espagne le 25 janvier 2023. Plus récemment, des attaques ont été menées par des Palestiniens faisant 7 morts à Jérusalem-Est le 27 janvier 2023, le jour de la commémoration de l’Holocauste sans oublier le Bataclan en 2005. À travers ces évènements malheureux, nous observons le combat permanent mené par les islamistes contre les démocraties libérales.
Penser également que la défaite territoriale de l’Etat islamique le 24 décembre 2021 en Syrie mettrait fin aux menaces des filières djihadistes syro-irakiennes est un leurre.
Il faut y ajouter à cette funeste chronologie, les charniers découverts à Boutcha(09/04/2022) en Ukraine près de Kiev et celui de Moura (fin mars 2022) au Mali. Ces exactions auraient été commises par les troupes Wagner composées de mercenaires russes, au service du Président V.Poutine.
La lutte du terrorisme contre les démocraties libérales
Il existe de multiples façons de définir le terrorisme qui peut être d’ordre politique, religieux, collectif, individuel. Or, on ne peut que constater et déplorer en même temps que les actes terroristes sont aux antipodes des droits humains et fondamentaux du fait qu’il s’agit d’une pensée qui ne laisse aucune place au doute et ne tolère aucune exception. C’est aussi un mode d’expression et d’action absolu et entier.
Il existerait deux formes principales de terrorisme qui seraient l’un d’Etat et l’autre religieux. Ces deux terrorismes ne sont pas de même nature, l’un a un caractère laïc et l’autre religieux.
Le premier désigne l’usage de la violence et de la terreur (destruction des infrastructures, bâtiments civils, immeubles, viols..) par certaines organisations politiques pour atteindre des objectifs politiques. Le terrorisme d’Etat ou terrorisme politique incarné par la politique étrangère de V.Poutine en Ukraine prend sa source dans une vision historique de son pays lorsque l’Ukraine et la Russie formaient une même entité : la grande Rous au 18 ème siècle. Après 1795, la partie orientale de l’Ukraine est formellement rattachée à l’ ancien Empire de Russie tandis qu’une partie occidentale se voit rattachée à l’empire d’Autriche. Il faut signaler que c’est autour de Kiev que la future nation russe est née, aux alentours de l’An mil. Cette Rus’ de Kiev s’est ensuite détachée du reste du monde russe quand celui-ci a été submergé par les Mongols de Gengis Khan. Sa politique est marquée aussi par le refus du droit et la manipulation de l’histoire en considérant les ukrainiens comme des nazis. L’occupation a pour objectif la « dézanification » de l’Ukraine.
Politiquement, l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’inscrit dans un projet néo-impérial de Poutine.
La Russie considère que l’Ukraine n’est pas un Etat indépendant mais seulement une province de l’Ukraine. Une des spécificités de cette intervention, c’est l’absence totale de déclaration de guerre comme c’est le cas dans la plupart des conflits. Dans une annonce à la télévision le 24 février 2022, V.Poutine fait part de sa « décision d’une opération spéciale ». Il dénonce « génocide » orchestré par l’Ukraine dans les territoires séparatistes. L’ensemble de ces actions violent l’ensemble les règles de droit international (règles du droit de la guerre, droit humanitaire, droit fondamentaux) et la destruction de biens privés et les attaques sur des personnes.
D’un point de vue conceptuel, on serait en quelque sorte dans une sorte de « zone grise » entre d’une part l’expression de l’agression et l’occupation d’une puissance étrangère dans un Etat voisin et d’autre part le soutien apporté par un Etat à des rebelles séparatistes pro-russe. D’ailleurs, les quatre référendum d’annexion organisés en sept 2022 par la Russie dans les quatre régions Donetsk, Lougansk, Zaporijia et Kherson ont été jugés illégitimes par la société internationale.
Le terrorisme religieux et islamiste prend sa source dans le coran. Celui-ci est composé d’organisations différentes selon les continents et les pays. Sa structure hybride est composée d’éléments de la société civile souvent enrôlé par la force et d’organisations islamistes Al-Qaïda et Daech).
La « mal gouvernance » est souvent la cause de l’expansion de ces mouvements en Afrique. En Afrique de l’ouest, l’islamisme est organisé autour de deux entités principales : d’une part les djihadistes membres de l’Etat islamique (Daech) et d’autre part Al-Qaïda ou AQMI.
Historiquement, l’organisation terroriste Al-Qaïda a été créée par Ben Laden en 1988 contre l’invasion russe en Afghanistan. Il est responsable des attaques terroristes du 11 septembre 2001 contre les deux tours du World Trade Center à New-York et du Pentagone à Washington. Cette entité est une structure décentralisée et mondialisée qui a essaimé de nombreux groupes dans les pays d’Afrique et Moyen-Orient. Les deux organisations principales et concurrentes s’appuient sur l’islamisme radical. Ce sont des combattants de Dieu qui mènent une guerre sainte contre les infidèles. Leur combat est l’instauration d’un Etat unique dans le monde le califat. Leurs terres de « sanctuarisation», c’est de conquérir et de rendre sacré, inviolable et intangible les territoires occupés. Au Burkina Faso depuis 2015, et en particulier au nord et à l’est du pays, des attaques récurrentes de mouvements terroristes ont fait des milliers de morts et le déplacement de 2 millions de personnes…
La bataille de la guerre informationnelle et nucléaire
Des groupes terroristes utilisent « Daech » et « Al-Qaïda » comme des labels afin de formaliser et de présenter des revendications. Ces étiquettes sont devenues des outils de communication.. Pour beaucoup d’ailleurs, la France aurait perdu la « guerre informationnelle » en Afrique. La Russie a joué un rôle primordial pour déstabiliser les intérêts français et européens en Afrique.
Parallèlement à la guerre en Ukraine, la Russie a déployé ces dernières années des troupes de la compagnie des mercenaires Wagner (Centrafrique, Mali, Libye, Burkina Faso et Soudan..) pour combattre les djihadistes. En outre, la Russie aurait signé avec des Etats africains une vingtaine de traités de coopération militaire. Son activité a également été intense sur les réseaux sociaux et dans les médias africains contribuant ainsi à jeter le discrédit de la France dans les populations africaines et à entraîner la fin des opérations Serval puis Barkhane au Sahel en 2023.
La supériorité tactique écrasante de l’armée française a été mise en échec par une insurrection alimentée par une mauvaise gouvernance et des conflits politiques locaux.
Les états-majors ne peuvent plus ignorer les « situations dans le champ informationnel ». Les relations avec la société, la communication et les informations données par les Etats aux médias sont devenues des enjeux majeurs dans les guerres modernes.
Dans ce contexte actuel de la guerre en Ukraine, l’utilisation potentielle de l’arme nucléaire détermine dans une grande mesure la conduite politique des grandes puissances.
Pendant plus de 50 ans, la dissuasion nucléaire a été un élément de sécurité absolue dans le monde comme le déclarait un auteur Emmanuelle Maître, c’est « une assurance vie » pour protéger et préserver les intérêts vitaux d’un Etat. La guerre nucléaire conçue par V.Poutine en Ukraine est perçue comme une stratégie à « géométrie variable » et elle est surtout fondée sur une stratégie à la fois offensive et préventive.
L’arme et les menaces nucléaires sont au coeur de ce ce conflit ou du moins sous-jacentes. L’escalade militaire en Ukraine est un élément sérieux et risqué qui doit être pris au sérieux par l’ensemble des protagonistes dans le conflit en Ukraine.
L’OTAN n’a pas déclaré la guerre et pourtant deux de ces principaux membres les Etats-Unis et l’Allemagne livrent fin janvier 2023 des chars lourds pour aider l’Ukraine.
La diplomatie occupe malheureusement pour l’instant une place de moins en moins importante dans ce conflit.
La stratégie nucléaire de Poutine est essentiellement fondée sur une stratégie à la fois offensive et préventive. L’arme et les menaces nucléaires sont au coeur de ce conflit ou du moins sous-jacentes. Il y a de nombreux objectifs concrets qui ont alerté les experts par rapport au feu nucléaire. La menace permanente d’une attaque nucléaire que fait peser V.Poutine sur cette guerre peut être un avantage mais révèle en même temps sa faiblesse politique face à l’Ukraine. La dissuasion nucléaire est par définition une stratégie de défense lorsque les intérêts vitaux d’un Etat peuvent être atteints. Ce n’est pas le cas de la Russie qui est un pays agresseur. La mise en alerte de la « force de dissuasion » nucléaire russe en Ukraine par V.Poutine n’est pas fondamentalement une stratégie de défense mais un moyen de pression pour la Russie de faire admettre à l’occident et l’OTAN l’annexion du Donbass. De manière générale, V.Poutine menace de frappes les pays « s’ingérant » dans le conflit. Lors d’une prise de parole à Saint-Petersbourg, le 27 avril 2022, V.Poutine a assuré que « l’opération militaire spéciale depuis le 24 février 2022 sera remplie». Le président a également menacé les pays s’impliquant dans le conflit d’une« frappe de réponse rapide ». Selon le chef d’Etat russe, cette victoire est nécessaire afin « que nous puissions garantir la paix et la sécurité des républiques de Donetsk, de Lougansk, de la Crimée russe et de l’ensemble de notre pays ». Il n’y aurait pas d’autre alternative…
Avec la guerre en Ukraine, la doctrine de la dissuasion nucléaire a changé de nature puisque défensive, elle est aussi devenue à la fois un élément de communication, d’oppression, d’intimidation, de coercition et d’agression qui vise à laisser V.Poutine conquérir l’Ukraine.
A l’heure actuelle, près d’une quarantaine de pays occidentaux autour des Etats-Unis organisent le soutien militaire de l’Ukraine d’un montant de 5 milliards de dollars. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France sont les principaux contributeurs. En l’absence de négociation entre l’OTAN, l’ONU et la Russie, le thème de la « troisième guerre mondiale » devient une hypothèse de plus en plus réelle et grave…..
L’adaptation du concept de terrorisme
La doctrine a du mal à définir le concept de terrorisme en raison de l’hétérogénéité de cette notion.
Dans le conflit en Ukraine, la qualification d’« opération spéciale » donnée par V.Poutine exprime le flou juridique dans lequel se trouvent les combattants. En effet, la qualification donnée à la notion de terroriste est souvent vague, général et ambiguë. De nombreux textes internationaux tentent de le définir. Selon une définition générale, le terrorisme pourrait être défini comme un ensemble d’actes de violence (attentats, destruction, prise d’otages..) afin de créer un climat d’insécurité. Ces actes seraient commis par des individus ou des organisations internationales avec pour but d’atteindre un objectif politique. Ces définitions peuvent varier selon les Etats ou les organisations.
Pour certains, le terrorisme serait trop complexe pour être défini, voire impossible de rédiger une telle norme. Le terrorisme ne pourrait pas revêtir une notion uniforme car il recouvre un ensemble d’actes criminels.
Dans nombre de définitions intervient le critère de la victime du terrorisme: civile, innocente, attaque contre un Etat démocratique…La loi française du 9 septembre 1986 le définit de la manière suivante: « relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sureté de l’Etat: une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ». Il faut remarquer que la définition donnée par l’article 421-1 du code pénal est assez large car elle ne se limite ni aux buts politiques, ni aux attaques contre les civils:
- « constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes notamment : les atteintes volontaires à la vie, les vols, les extorsions, les destructions, dégradations détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique, les produits explosifs de matières nucléaires sans oublier les actes d’empoisonnement, de l’atmosphère, du sol, des aliments, des eaux.. »
Il en découle qu’il existe plusieurs façons de définir le terrorisme. La violence demeure le ressort principal du terrorisme pour les causes invoquées: politique, idéologique et religieuse. Pour d’autres, le terrorisme avant d‘être une idéologie est avant tout une tactique utilisant des armes ou tout autre moyen de suppression d’un adversaire. La finalité de ces actions visent la destruction physique, psychologique, idéologique et politique. C’est avant tout une méthode totalitaire. Le tir d’un missile sur la ville de Kiev le jour de la visite du Secrétaire Général des Nations-Unies Antonio Guterres auprès de V.Zelensky le chef d’Etat ukrainien le 29 avril 2022 est l’illustration d’une forme de terrorisme d’Etat et d’une certaine façon la vision russe de la société internationale.
La guerre en Ukraine est non seulement un enjeu de civilisation mais elle oppose les tenants d’un ordre fondé sur l’universalisme et ceux qui défendent la barbarie.
Les Nations-Unies fondées le 24 octobre 1945 sur la Déclaration universelle des droits de l’homme est l’incarnation de la paix et du dialogue entre les 193 pays membres de cette organisation. Elle symbolise et représente la force du droit qui prime et doit l’emporter face au totalitarisme. L’idée qui a présidé à la création de l’ONU est une volonté de créer une organisation internationale capable de garantir durablement la paix et de combattre des idéologies meurtrières comme ce fut le cas avec le nazisme (1939-1945).
En lançant un missile dans la capitale ukrainienne le 29 avril 2022, la Russie attaquait non seulement l’ONU en tant que symbole de la communauté internationale mais aussi elle voulait souligner en même temps l’impuissance de cette organisation dans ce conflit.
Le développement du terrorisme a généré une importante législation et du même coup a empiété sur le domaine de libertés publiques. La loi du 30 juillet 2021 pérennise les mesures « expérimentales » de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Cette loi en particulier donne de nouveaux moyens aux services de renseignement avec notamment la possibilité à titre expérimental d’intercepter les correspondances échangées par voies satellitaires. En droit français, les cours d’assises jugeant les crimes terroristes sont composées exclusivement de magistrats et ne font pas appel à des jurés. C’est un véritable droit dérogatoire qui caractérise la législation anti-terroriste. La prescription des délits en matière de terrorisme passe de 10 à 20 ans, et celle des crimes à 30 ans.
Il existe depuis le 9/12/1986 dans la législation française un éparpillement de lois antiterroristes :
- lois du 16/12/1992, 8/12/1995, 22/7/1996, 30/12 1996, 15/11/2001, 18/03/2003 et la loi du 30/07/2021 relative à la prévention des actes du terrorisme et au renseignement.
Il faut mentionner les conventions internationales contre le terrorisme considérées par les Nations-Unies comme des normes pour lutter contre le terrorisme. Celles-ci ont constitué un organe spécifique: le Comité contre le terrorisme. Il y a la Convention internationale pour la répression des actes de répression nucléaire qui a été adoptée le 15 avril 2005 par l’AG des Nations-Unies dans sa résolution A/RES/59/290.
Chaque convention est affectée à des aspects sectoriels du terrorisme : actes illicites contre la sécurité maritime, l’aviation , les plates-formes, les attentats à l’explosif….
La rédaction des lois spéciales pour les actes terroristes est devenue une nécessité et de ce fait les peines vont être plus sévères que d’autres crimes ou délits…Il peut avoir aussi une forme d’Etat, individuelle collective. En mai 2005, le Conseil de l’Europe a adopté à Varsovie la Convention pour la prévention du terrorisme qui reprend en partie les définitions proposées par les Nations-Unies et l’UE en définissant les actes de terrorisme comme des actes qui, « par leur nature ou leur contexte visent à intimider gravement une population ou à contraindre dûment un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelconque….ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d’un pays ou d’une organisation internationale.» Cette définition met en avant deux éléments majeurs: : l’intimidation d’une population et la déstabilisation d’une institution ( l’élément psychologique) et la destruction (l’élément matériel).
D’une manière générale, les actes terroristes sont contraires au droit de la guerre et aux droits de l’homme et de fait hors la loi.
La Convention de Genève interdit les attaques dans lesquelles on utilise des méthodes ou moyens militaires de combat dirigés contre des objectifs civils. Il faut préciser que la Convention de Genève et les Protocoles additionnels ne reconnaissent pas la catégorie de terroristes. Ces conventions font seulement la distinction entre les civils et les combattants. Cette conception a été confirmée par les décisions des Cours suprêmes américaine et israélienne (cf arrêt du 11 décembre 2005).
Des experts soutiennent que le terrorisme est souvent associé à la décadence des services publics fondamentaux (affairisme, corruption, clientélisme, sous-développement..) et à l’absence d’Etat sur de nombreux points du territoire (cf le nord du Mali). Il est temps que les pays du Sahel et l’Ukraine reprennent le contrôle de leurs territoires afin qu’ils redeviennent souverains.
Arnaud de Raulin
Professeur émérite des universités