Ils en ont durci le contenu sur bien des maillons : révision des conditions de regroupement familial, renforcement des garanties donnant droit à l’obtention de certaines prestations, suppression de l’aide médicale d’Etat, remise en cause de l’automaticité du droit du sol pour un enfant né de deux parents étrangers, limitation des procédures de recours pour un étranger frappé d’une obligation de quitter le territoire, sur tous ces segments la Haute-Assemblée a réécrit la copie gouvernementale.
Le pari du ministre de l’Intérieur consiste à suivre l’opinion d’une part et d’autre part à donner suffisamment de gages aux opposants de droite pour s’assurer d’un vote favorable sans avoir à recourir pour la énième fois à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution.
Il va de soi que parvenant à cette fin, Gérald Darmanin pourrait de la sorte exciper un succès certain dans un contexte où l’enjeu migratoire s’impose aux yeux des Français comme une priorité toujours plus saillante. Tactiquement, le jeu n’en demeure pas moins serré. Et ce pour trois raisons au moins.
La première d’entre elles est liée à la différence d’appréciation sur la stratégie à adopter quant au destin de ce texte entre le groupe LR au Palais-Bourbon et celui du Sénat.
Étonnamment, quoique non sans une certaine logique, les députés Les Républicains, ou une partie d’entre eux, considèrent qu’ils jouent quelque part leur crédibilité d’opposants sur un sujet où à droite le marché est fortement concurrentiel.
Dès lors la tentation pourrait être grande pour ces derniers de durcir encore plus la mouture sénatoriale, notamment entre autres en réécrivant l’article relatif aux métiers en tension, déjà elle-même modifiée par le Palais du Luxembourg. Dans cette hypothèse, et même à vrai dire sans cette dernière tant la version sénatoriale apparaît déjà rédhibitoire pour l’aile gauche mais également centriste de la majorité présidentielle, le gouvernement pourrait perdre au sein même de celle-ci ce qu’il entend gagner sur les bordures de son opposition.
Une seconde raison complexifie la configuration qu’il faut déduire également des prédispositions du groupe LR à l’Assemblée mais aussi de la doctrine générale du parti et de son Président Eric Ciotti. La condition d’adoption du projet de l’exécutif s’assortirait au préalable du principe d’une réforme constitutionnelle élargissant le champ référendaire entre autres aux enjeux migratoires. Mais à partir du moment où le Président de la République en a exclu la possibilité lors des rencontres de Saint-Denis, au demeurant « boudées » par Monsieur Ciotti, on ne voit pas comment désormais, sauf à se dédire, Les Républicains de l’Assemblée en viendraient à voter un texte dont ils estiment qu’ils ne traitent pas à la racine et au bon niveau le problème.
La troisième des raisons, peu facilitantes, est en fin de compte inscrite dans les précédentes ; nombre de lignes infranchissables pour le bloc macroniste ont été transgressées par la droite au sénat et tout laisse à penser que certaines des mesures les plus contraignantes votées en première lecture par cette même droite sénatoriale ne passent pas le cap de l’Assemblée.
Cette trame enchevêtrée rend très incertaine en l’état, sauf surprises, l’issue d’un processus législatif qui a pour la circonstance tout d’une boîte noire.
Entre les arrières-pensées des uns, les faux-semblants des autres et les atermoiements de certains, la partie de poker-menteur qui s’installe est de celle qui dans la dramaturgie parlementaire peut enclencher une mécanique irréversible, la censure, ou le passage sur un fil, presque en creux du projet de loi. Tout se passe en fin de compte comme si on oscillait entre le coup de tonnerre et le non-événement…
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne