La nomination de Gabriel Attal à Matignon en début d’année avait tout déjà d’un prélude électoral. Côté Élysée manifestement tout est fait pour souligner l’importance du scrutin à venir. La poussée euro-critique qui se manifeste un peu partout en Europe préoccupe le chef de l’Etat ; elle pourrait modifier les équilibres historiques du Parlement européen. Et c’est en France qu’elle serait en mesure d’être la plus spectaculaire. Cumulées à droite, les listes Jordan Bardella, Marion Maréchal, Nicolas Dupont-Aignan sont créditées de plus de 40 % des intentions de vote. Un record auquel il faut rajouter une offre LR, incarnée par Francois-Xavier Bellamy pour le moins sur la réserve quant à l’évolution des institutions européennes et dont les représentants annoncent s’opposer à la candidature de Madame Von der Leyen pour se succéder à elle-même à la tête de la Commission européenne.
Le fond de l’air, indéniablement, est piquant pour ceux qui défendent une Union européenne plus intégrée, voire en voie de fédéralisme. D’où le pari présidentiel de mettre en tensions ses adversaires.
On l’aura compris : l’enjeu ukrainien est le levier de cette stratégie. En agitant en France, comme au-delà de nos frontières, le spectre si ce n’est de la guerre mais d’une montée en puissance de l’engagement français dans le conflit qui fait rage aux portes de l’UE, Emmanuel Macron somme ses concurrents de clarifier leurs positions. Ceux qui douteront, et qui plus est s’opposeront à sa volonté martiale seront rangés dans le camp des « défaitistes », des « munichois » et pour certains d’entre-eux des complices de Vladimir Poutine. Reste à savoir si cette usage de la tragédie ukrainienne aura un impact sur une opinion favorable à ce stade au soutien à Kiev… mais, quelque part, sans participation. Les sondages effectués sur cette épineuse question délivrent un résultat sans appel. A ce jour les trois quarts des Français sont défavorables à l’envoi de troupes. Pour autant, le Président ne cesse de marteler son message dénonçant depuis Prague, en visite officielle, le parti de la lâcheté, et réitérant devant les chefs de partis, voici tout juste 24 heures, sa détermination à agir… sans limite et en se fixant « aucune ligne rouge » selon des propos rapportés par plusieurs participants à cette rencontre.
S’il ait une ligne pourtant dont il faut se méfier c’est celle d’une communication tonitruante dont le Président Hollande, lui-même reçu à l’Elysée, a rappelé le caractère aléatoire : « Ma position sur les questions militaires c’est : moins on en dit, mieux on agit ». Position de bon sens et de raison, ce d’autant plus que les déclarations présidentielles depuis plusieurs jours se heurtent à un écho pour le moins dubitatifs, voire hostiles dans la plupart des capitales occidentales…
Tout le problème de ce haussement de ton est qu’il ne parvient pas à dissimuler des arrières-pensées intérieures dont les échéances électorales du printemps apparaissent comme la motivation à peine subliminale.
Ce mélange des genres est préoccupant, car tout ce qui touche à la guerre et à la paix, outre que l’exercice nécessite en effet la prudence et la discrétion, suppose de trouver les voies du consensus, bien plus que la recherche effrénée des clivages. On ne joue pas l’engagement suprême d’une Nation, de son armée et in fine de son peuple sur l’autel des calculs électoraux. Et quand bien-même ne serait-ce pas le cas, ce qui est l’hypothèse la moins sûre au demeurant, le moment retenu est contre-productif, nourrissant le soupçon d’une manœuvre à visée fortement politicienne. N’est-il pas temps d’en revenir à une expression politique plus frugale, loin des effets d’annonce, des postures ostentatoires, et des agitations à finalité partisane ?
Le récit d’imprégnation guerrière porté par une poignée élitaire, sous couvert de raison abusivement proclamée, est le levain de lendemains aussi incertains que périlleux.
Car à vouloir diaboliser ou gêner ceux qui peuvent émettre des réserves légitimes quant aux buts affichés verbalement, tout au moins, par l’Elysée, le risque est grand de perdre sur tous les tableaux : celui de l’adhésion des Français d’une part et celui de la crédibilité de la France sur la scène internationale d’autre part. Il ne suffit pas de mimer le chef de la France Libre, le fondateur de la Ve République pour s’inscrire dans sa généalogie. Parce que l’histoire ne se répète pas à l’identique, parce que ce Président d’aujourd’hui à la différence de son prestigieux prédécesseur ne connaît pas la guerre, parce qu’il ne faut surtout pas confondre la conscience du tragique avec la fascination trouble pour celui-ci, parce que tout simplement le Président ne peut ignorer qu’il n’ira pas, comme souvent, au-delà de la communication. Car ce qui se passe en Ukraine est suffisamment sérieux pour ne pas rajouter au drame extérieur l’exacerbation des divisions intérieures que par trop souvent Emmanuel Macron aime cyniquement à instrumentaliser. Tout simplement parce que là où il est, le souverain, détenteur de la puissance du feu, ne peut certainement pas marivauder avec cette dernière, encore moins substituer à l’intérêt national ses propres intérêts partisans.
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne