Les auteurs de « Les programmes politiques – Genèses et usages explorent toute une trajectoire, expliquant comment et pourquoi les programmes sont apparus et comment ils ont été codifiés et diffusés jusqu’à devenir incontournables dans l’action politique. Soucieux de rendre le discours aussi concret que possible.
Les hommes de pouvoir comme les idées politiques traversent actuellement une crise de légitimité. Les citoyens ressentent l’inadéquation entre les promesses et les actes comme une trahison. Il conviendrait sans doute de réhabiliter la sphère des éligibles en réinventant les idées politiques et en les exprimant dans des programmes crédibles.
En effet, les programmes politiques constituent une composante essentielle de la compétition électorale. Ils alimentent la vie politique des démocraties contemporaines et sont nécessaires pour structurer les interactions entre acteurs des mondes politiques, économiques, médiatiques, intellectuels, syndicalistes…
Cet ouvrage adopte l’approche historique pour mieux appréhender les programmes politiques. La genèse de ces programmes et notamment ceux de la gauche française durant les décennies 1970 et 1980, témoigne qu’ils sont loin d’être de simples mesures d’action publique bien identifiables et fixes, ils sont sans cesse repensés, modifiés, restructurés.
Nicolas Azam explique comment, au moins au niveau du discours, le Parti communiste français intègre l’Europe dans la production de ses programmes électoraux (1973-1999), conscient ainsi qu’il ne pouvait plus faire l’impasse de cette réalité. De son côté le Parti socialiste, opère des « glissements d’une offre programmatique sectorielle : les « privatisations » dans la campagne socialiste de 1997, alors que le secteur public représente l’un des principaux marqueurs de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. « De ce point de vue, l’opposition aux « privatisations » affichée dans le programme présenté par le parti lors des élections législatives de 1997 ne devrait donc a priori pas surprendre. Le déroulé de la campagne amène pourtant un scénario que le texte programmatique ne permet pas d’anticiper. Le secteur public fait par la suite l’objet d’une remise en cause de la part d’une importante fraction des élites socialistes porteuse d’une vision « moderniste » des entreprises publiques », écrit Rafaël Cos. « Cette remise en cause, empruntant des canaux médiatiques qui échappent pour partie aux règles du jeu partisan, constitue un indice probant de ce que les programmes figurent moins une vitrine transparente des préférences partisanes qu’ils ne matérialisent un compromis textuel aussi ambigu que temporaire » ajoute-t-il. « À rebours des représentations communes, la campagne apparaît en définitive comme une ressource pour une coalition de dirigeants socialistes qui, à la faveur d’anticipations de victoire électorale, apparaît en mesure d’esquisser le programme réformateur qui sera tenu dans le cours du mandat ».
Julien O’Miel et Mélanie Pauvros s’intéressent, pour leur part, au « monde réel des coalitions, en étudiant le cas de l’entre-deux-tours entre constitution des listes et élaboration du programme : le cas des élections régionales de 2010 en Nord-Pas-de-Calais. « La négociation de l’action publique est un processus permanent de compromis entre les différents partis d’une coalition dont l’esprit varie en fonction de la séquence concernée. La rédaction du programme constitue un de ces enjeux » écrivent-ils.
Clément Desrumaux se penche quant à lui, sur les changements de programmes en se basant sur les usages des programmes par les candidats aux élections législatives en France et en Grande-Bretagne (1997-2007). Pour rendre compte des changements de programmes et de la construction multi-centrée de l’offre publique, il s’agit d’abord, selon lui, de comprendre les contraintes qui encadrent la réécriture des programmes et de voir ensuite comment les configurations dans lesquelles sont prises les candidats influent sur leurs prises de position.
Paola Diaz et Carolina Guitterez Ruiz nous offrent une étude intéressante qui éclaire le contexte actuel de lutte dans plusieurs pays émergents pour asseoir un régime démocratique. Leur étude de cas concerne le programme politique du premier gouvernement élu après le régime autoritaire au Chili. Elles mettent l’accent sur les modalités d’accomplissement pratique du consensus dans la confection de ce programme, en se concentrant sur deux politiques différentes : les droits de l’homme et la décentralisation de l’État. « Ce programme ne fera qu’asseoir dans la durée le consensus comme un ordre politique et économique normalisé à l’abri des grands conflits et permettent d’éloigner le fantôme d’un retour à un régime autoritaire » écrivent-elles.
Pour terminer, les auteurs explorent l’évolution : « du programme commun de la gauche aux 110 propositions : la carrière des programmes de gauche dans les années 1970-1980 ».
L’étude des programmes politiques proposée dans cet ouvrage est profitable si l’on veut appréhender une période électorale agitée et comprendre les rouages et la portée des programmes politiques mis à la disposition des électeurs.
Sous la direction de Karim Fertikh, Mathieu Houchecorne et Nicolas Bué
Presses universitaires de Rennes, 2016
262 p. – 18 €