André Bellon, ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale a livré pour la Revue Politique et Parlementaire une recension de l’œuvre de Gérard Araud « Nous étions seuls ».
« Par nature, le ministère des Affaires étrangères est un édredon qui essaye de transformer la tragédie du monde en un drame bourgeois ». Qu’un ambassadeur, qui a occupé les postes les plus prestigieux de la carrière diplomatique, fasse cette déclaration rafraichissante, en dit long sur sa capacité de distance avec les urbanités trop communes en matière de discours géopolitiques.
De la distance, il en faut pour analyser la diplomatie française entre 1919 et 1939. Car si tout semble avoir été dit et répété quant à la montée au pouvoir d’Hitler, la compilation faite par Gérard Araud dans son livre « Nous étions seuls » a l’avantage de transformer des analyses souvent académiques en un vécu, comme si le lecteur participait, grâce à une forme romancée, à l’action de ces moments intenses. Il poursuit ainsi un travail de recherche, de compilation, qu’il avait déjà amorcé, dans ses ouvrages précédents, sur cette période difficile et contradictoire.
Tout avait-il été dit en effet ? Et surtout devons-nous rester à la version hollywoodienne de la 2ème guerre mondiale ?
Gérard Araud, grand connaisseur de l’Amérique où il fut longtemps ambassadeur, revient sur le rôle des Etats-Unis après le traité de Versailles qui conclut la première guerre.
Combien de fois n’avons-nous pas entendu dire que le traité de Versailles qui conclut la guerre en juin 1919 avait été un mauvais accord.? Ce livre pose une question souvent éludée, celle de savoir qui porte cette déclaration ? Essentiellement les autorités américaines et anglaises. Les Etats-Unis, dont le congrès ne ratifie d’ailleurs pas le traité, ont, dans l’entre-deux guerres, regardé essentiellement leurs besoins économiques et donc la capacité de paiement de l’Allemagne pour honorer la dette privée détenue par des intérêts américains. Et tant pis si cela se faisait au détriment des versements dus à la France qui, en revanche, devra continuera ses propres contributions à l’Amérique. L’Angleterre, de son côté, a voulu regarder les protagonistes de façon qu’elle jugeait équilibrée, contribuant ainsi à la légitimation d’Hitler jusqu’en 1939 et l’arrivée de Churchill au pouvoir. Bien peu, comme Robert Vansittart, destitué de son poste au Foreign Office par Chamberlain, eurent, remarque l’auteur, la lucidité nécessaire pour appeler à résister à l’ascension du régime nazi.
Ces incapacités des alliés théoriques de la France ne justifient pas pour autant l’aveuglement de ses propres autorités nationales.
Gérard Araud fait, en diplomate, l’analyse des principaux dirigeants français de 1919 à 1939. Analyse difficile au sortir d’une boucherie sans nom et face à un monde où, comme le dit le titre de l’ouvrage, nous étions seuls.
Partagés entre une démission justifiée par une stratégie purement défensive (la ligne Maginot) et quelques velléités sans conséquences pérennes, militaires (l’occupation de la Ruhr sous Poincaré) ou diplomatiques (accords de Locarno par Briant), les dirigeants français semblent, pour beaucoup d’entre eux, avoir plutôt protesté par principe devant l’attitude anglaise que tenté de la contrecarrer.
Nous étions seuls. C’est d’autant plus vrai qu’on s’installe dans la solitude avec une certitude béate de la fatalité. L’Histoire de France est remplie de ces moments. La volonté, qu’on peut appeler à la fois la compréhension de l’instant et le besoin d’agir n’émerge souvent qu’avec difficulté. Le drame de l’entre deux guerres est à la fois la maitrise de la chose publique dont étaient titulaires nombre de futurs partisans de Vichy et la gestation de De Gaulle et de la Résistance. C’est sans complaisance et sans acrimonie que Gérard Araud décrit cette gestation contradictoire.
André Bellon
Ancien Président de la Commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale
Nous étions seuls, Gérard Araud, Ed Taillandier, 2023, 330 pages, 22€90