De qui se moque-t-on dans cet entre-deux jusqu’à la date du 14 avril 2023 où tombera l’avis du Conseil constitutionnel, alors que l’exécutif cherche une nouvelle fois à gagner du temps pour retarder la conclusion d’un bras de fer entamé au détriment du peuple de France depuis plus de deux mois, au nom du déroulement d’un processus parlementaire démonetisé par l’usage du 49.3 (bien que légal mais vilipendé et inopportun dans un contexte social aussi tendu) auquel il attribue la vertu magique de faire avaler la potion amère de sa réforme mal conduite ? C’est là une bien étrange Semaine sainte pour un pays en crise qui s’est enlisé dans un singulier dialogue de sourds et dont les dirigeants restent aveugles devant les signaux de leur divorce avec l’opinion, tablant sur un pourrissement du conflit qui l’agite et choisissant le saut dans l’inconnu sous l’oeil critique et sceptique de la presse européenne et internationale, car rien ne garantit pour l’heure le délitement du mouvement social par lassitude des contestataires et opposants au dessein gouvernemental…
L’homme malade de l’Europe entamera son troisième mois de conflit social et enregistrera le 6 avril 2023 sa 11e journée de mobilisation contre le projet de réforme des retraites sans que les lignes n’aient bougé dans un contexte de grande instabilité et de violence installées pour durer, la triste caractéristique et la conséquence de l’absence de volonté de réel dialogue, du choix de mauvaises méthodes et du désenchantement inhérent à la première année ratée d’une seconde mandature entamée sur le malentendu d’une élection par défaut et sans aucune amélioration tangible de la situation globale. Les scènes d’ultraviolence à Sainte-Soline (sans rapport avec la réforme des retraites) largement commentées par les observateurs étrangers, dans la foulée des débordements insurrectionnels au lendemain du 20 mars 2023 à travers tout le pays ayant conduit au report de la première visite d’état dans l’hexagone du Souverain britannique, donnent la tonalité ambiante de la navigation de cette nef de fous à la dérive que la France est en train de personnifier aux yeux du monde, où les passagers s’accusent mutuellement de radicalité et des pires intentions comme dans un prélude de guerre civile.
Pas une journée sans le constat d’un effondrement de l’ordre républicain sur l’ensemble des territoires, des communes de Guadeloupe (barrages de feu nocturne sur les routes et pillages de magasins fin mars), aux rues de Marseille (3 morts par balles et une dizaine de blessés) ou de Rennes (2 morts également) sur fond de trafic de drogue, avec pour seule réponse des discours et des éléments de langage officiels vides d’effets qui n’impriment guère plus que du vent sur du sable pour masquer l’impuissance du régalien et l’absence de prise sur cette lente corrosion qui ronge à petit feu la société française et dresse dangereusement les uns contre les autres…
Plus personne ne semble dupe des tours de passe-passe sémantiques de dirigeants déconnectés, quasiment en sursis et lévitation surréaliste aux yeux du public. Les appels au retour à la normalité butent sur le jusqu’auboutisme perçu dans les rangs des protestataires comme l’expression d’une énième provocation arrogante du gouvernement et de la macronie persistant à considérer comme acquis le résultat des procédures retenues pour l’adoption du projet de réforme des retraites, ce qui est certes “techniquement” exact mais qui n’en demeure pas moins “politiquement” l’objet d’un rejet par une majorité de Français. La mission impossible confiée à la Première Ministre se heurte à la dure réalité d’un conflit enkysté et prend jour après jour la voie de l’échec patent : renouer le dialogue rompu, planifier un nouvel agenda législatif et élargir la majorité relèvent du miracle dans l’impasse actuelle et cette tâche ingrate n’occulte plus le fait qu’in fine il risque de ne rester plus qu’une cible identifiée comme le point focal de la crise majeure secouant la France, la tête de l’Etat cristallisant la colère montante, de plus en plus exposée à une impopularité inquiétante qui se traduit dans des appels à la démission de plus en plus répandus, quand elle ne revêt pas l’aspect d’une haine irrationnelle à travers des effigies brûlées ou pendues au cours des manifestations lorsque celles-ci échappent au remarquable encadrement de l’intersyndicale.
Tous les ingrédients semblent réunis pour que le psychodrame vire au drame tout court, sans que rien ne soit en mesure d’enrayer un saut angoissant dans l’inconnu.
De surcroît, jamais l’exécutif, déjà pénalisé par une majorité relative peu homogène, n’aura été aussi mal servi par des ministres qui ne prennent plus la peine de cacher leurs ambitions personnelles, ne font plus montre de la moindre solidarité entre eux, se contredisant sans hésiter en fonction de leur tropisme partisan originel, choisissant l’heure la plus critique pour faire étalage de leurs convictions individuelles au détriment d’une ligne commune et partagée, comme si les Français en proie à une crise sociale et politique d’une intensité aussi préoccupante, étranglés par l’inflation et anxieux des évolutions d’un environnement international où ils mesurent leur déclassement accéléré, se souciaient d’états d’âmes, orientations intimes ou autres déclarations hors de propos d’un personnel politique qui s’imagine peut-être qu’une communication disruptive dans les supports les moins attendus en pareil contexte aura un quelconque effet sur le drame en train de se jouer autour de la réforme des retraites…
Est-ce là le symptôme inquiétant d’une fin de règne crépusculaire, pour le moins prématurée alors que quatre longues années séparent encore le pays de la prochaine élection présidentielle ? Jusqu’où va nous mener le pourrissement d’une situation inédite sans voie de sortie apparente et sans retour à un moment donné à une consultation du peuple souverain libérée de toutes ces tensions qui font encourir un risque d’implosion au “cher et vieux pays” ?
Les plus optimistes argueront que la France n’est pas bloquée ni à l’arrêt en sous-estimant les signaux d’une radicalisation de plus en plus perceptible dans l’apparition de manifestations non encadrées et en oubliant un peu vite l’héritage des Gilets jaunes dans l’inconscient collectif d’un pays profondément fracturé. Il y a des paris qu’il vaut mieux ne pas tenter quand ils ouvrent la porte sur un saut dans l’inconnu. Nul ne sait ce qui nous attend au lendemain du 14 avril 2023 et cette absence de perspective ne présage rien de bon…