Chaque année, est remis le prix de l’humour en politique. Le millésime 2023 a salué la contribution de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe qui a évoqué la transformation de son apparence physique en disant lors de l’émission « Quotidien » en mars 2023 : « Si vous pensez qu’il faut être un playboy en France pour être élu, j’ai quand même quelques contre-exemples ».
Edouard Philippe succède en cela au secrétaire national du Parti communiste, Fabien Roussel, qui avait déclaré en 2022 : « La station d’essence est le seul endroit en France où celui qui tient le pistolet est aussi celui qui se fait braquer. » Ce dernier est un habitué de la maison puisqu’il obtient cette année le prix de la récidive avec une nouvelle sortie : « Il ne suffit pas de s’abonner à Pif pour connaître les intentions du gouvernement. Il faut aussi s’abonner à Playboy. », faisant ainsi allusion à quelques jours d’intervalle, à l’entretien accordé par le président E. Macron à Pif, suivi par celui accordé par la ministre Marlène Schiappa dans Playboy.
Le prix de l’humour politique est décerné depuis 1988 par le jury du Press Club, club de l’humour politique. Il « récompense » divers politiciens français ayant prononcé la phrase la plus drôle de l’année, qu’il s’agisse indistinctement d’humour volontaire ou involontaire.
Le jeu de « Miot », un exercice très médiatique
Jean Miot, journaliste et directeur de presse, fut à l’origine de ce prix. Quand les politiques s’y mettent, la compétition peut se faire rude tant les lapsus ou les traits d’humour volontaires émaillent régulièrement les déclarations de nos politiciens et politiciennes.
L’humour le plus drôle est toujours le plus spontané.
Du « Après avoir connu la gauche caviar, nous sommes en train de voir arriver la gauche pétard » de J.-L. Debré en 1997 (parlant des ministres de l’Ecologie D. Voynet et ministre de la Justice E. Guigou qui voulaient dépénaliser le cannabis), à « Georges Marchais pratique l’union de la Gauche comme l’Union soviétique pratique la détente : à coup de canons » de F. Mitterrand, le sens de la formule n’atteint son plein effet que par l’aisance de l’émetteur, sa facilité à faire de telles formules.
Bons mots, petites phrases, lapsus et vachardises : les politicien(ne)s ne manient pas toujours la langue de bois ! Les politiques ont souvent compris que l’on ne retenait que ce qui capte l’intérêt ; les « petites phrases » en particulier retiennent l’attention.
L’humour politique semble être une tradition républicaine. Avec Clemenceau, l’humour se faisait rhétorique, comme chez le Général de Gaulle. Qui a oublié cette phrase « Ce qui est à redouter, à mon sens, ce n’est pas le vide politique, c’est le trop plein ! » ?
Ces petites phrases ont pour fonction de déstabiliser pour détourner les questions, ébranler les journalistes, faire perdre contenance à un opposant et cela sans être ni vulgaire, ni agressif.
Tout le monde n’a pas la répartie nécessaire, la culture du verbe, les envolées lyriques au bout des lèvres. Les grands orateurs se font de plus en plus rares. Les lapsus accompagnent les traits d’esprit mais l’improvisation, la spontanéité disparaissent avec l’entrée des caméras dans l’hémicycle en 1956 qui a entrainé une certaine prudence, mais aussi le développement des discours préparés par les collaborateurs du ministre ou du député.
Traits d’esprit, autodérision, jeux de mots, … une autre façon de faire passer ses idées
L’humour, tout comme le discours politique, est un jeu de langage mais avec un regard différent. Il n’est pas une facétie, mais c’est une méthode qui permet d’en dire plus que dans un discours laborieux qui ne marquera pas, finalement, les esprits. Parmi tous les promoteurs de cette approche, l’un d’eux fut particulièrement primé dans le domaine : F. Hollande.
Semer un peu d’espoir, faire sourire ou rire, rend sympathique et peut relever même d’une stratégie dans un monde de brutes. Les « hollanderies » comme les « raffarinades » en sont des exemples. Personnages politiques de premier plan, F. Hollande (qui a gagné au passage le surnom de « Monsieur petites blagues), J.-P. Raffarin ou encore André Santini sont devenus des spécialistes de la question. Ce dernier a d’ailleurs fait sienne la technique de la pique à la limite de la méchanceté. C’est ainsi qu’à la mort de François Mitterrand, il s’est faussement interrogé : « Je me demande si l’on n’en a pas trop fait pour ses obsèques. Je ne me souviens pas qu’on en ait fait autant pour Giscard ». C’était en 1996. Giscard était vivant.
Tout se passe aujourd’hui comme si le politique ne pouvait plus être perçu que sous le prisme du pouvoir, de la désillusion ou encore du militantisme.
Or, l’humour peut se faire aussi objet politique.
Le rapport entre humour et politique ne date pas d’hier. Il a d’ailleurs investi ce domaine depuis des siècles en France sous la plume des pamphlétaires. Les rois, comme leurs éminences grises, en ont fait souvent les frais et les puissants furent de tous temps raillés et moqués par des plumes acerbes et vives. Ainsi, dans une temporalité plus contemporaine, souvenez-vous en 1959 de Pierre Dac et de Francis Blanche qui avaient créé le « parti d’en rire », le parti de ceux qui n’ont pas choisi de parti.
L’humour politique demeure, comme tant de manifestations sociales ou culturelles, le produit de son temps, même si les sujets abordés possèdent souvent un caractère intemporel.
Toutefois ce qui a changé, c’est la façon de faire de la politique. Plus professionnelle, plus encadrée, la politique se fait désormais sous l’œil des caméras dans l’hémicycle, et sous le joug des réseaux sociaux. La peur de déraper, d’être mal compris bride toute velléité de se laisser aller à quelques facéties verbales et encourage les fameux « éléments de langage ». Chaque réponse, chaque propos devient calibré afin que personne ne se sente blessé. La bienveillance et l’empathie sont la règle. En théorie… Pourtant l’humour est une soupape, la possibilité d’un partage malgré tout.
L’humour politique, un mélange des genres périlleux
Étymologiquement parlant, le mot humour provient de l’anglais humour, lui-même emprunté au XVIIIe siècle du français « humeur ». L’humeur, du latin humor (liquide), désignait initialement les fluides corporels (sang, bile…) pensés comme influençant sur le comportement.
La définition même de ce terme donne lieu à diverses interprétations, selon les dictionnaires retenus. Le seul consensus porte sur le fait qu’il s’agisse d’ « une forme d’esprit » railleuse pour certains, « qui s’attache à souligner le caractère comique, ridicule ou absurde de certains aspects de la réalité » pour d’autres.
Malgré cette forme de détachement, l’humour est tout sauf inoffensif : créer la connivence avec les uns, c’est aussi exclure les autres, une arme fréquemment utilisée dans les joutes politiques.
L’humour et la politique, un couple bien compliqué à définir car sujet éminemment polémique. « L’humour c’est le sens critique, c’est l’analyse profonde du caractère humain » rappelait René Clément.
De la simple « bourde » ou lapsus, au politiquement incorrect volontaire, toute une galaxie lexicale s’offre aux acteurs de la vie politique. Dans la grave période de crise (démocratique, environnementale, géopolitique) que nous traversons actuellement, le besoin est plus criant que jamais « de suspendre, l’instant du jeu, l’angoisse de la fatalité du monde » (Charaudeau).
Alors lorsque Bruno Le Maire lors d’un entretien au Point confie en 2016 que « mon intelligence est un obstacle », accordons-lui le bénéfice du doute, et saluons le Grand Prix qui lui est ainsi décerné.
L’humourisme ? Néologisme, ce terme appuie sur une tendance dans laquelle l’humour devient parfois un sujet polémique. L’humour peut se faire à la fois un remède contre les abus de la politique, un contre-pouvoir, mais aussi un procédé rhétorique qui pose des questions.
Le rire, mouvement parfois de résistance, peut être un acte de courage. « Cette politesse du désespoir » pour Chris Marker, a eu de nombreuses illustrations durant les heures sombres de notre pays comme durant les périodes de crise ou tout simplement comme exutoire à une désillusion qui s’installe.
Il peut revêtir différentes fonctions et s’illustre de multiples façons. Des « blagues chuchotées » durant les périodes de censure à l’humour affiché d’une certaine presse écrite, de l’auto-dérision à la pique adressée à l’adversaire, des pamphlets des siècles anciens aux traits d’esprits tel ce nouvel alphabet français codé, revisité par la Résistance et tracté durant l’Occupation, l’humour n’a pas toujours eu sa place parmi les personnalités politiques, mais l’a toujours eu parmi le peuple.
La IIIe République a donné une nouvelle place à l’humour à travers les chansonniers qui ne brocardent plus seulement le « Roi » ou le « Bourgeois », mais aussi le paysage politique dans son ensemble.
Le rire évolue alors vers l’humour et se rajoute aux outils oratoires des politiciens.
La France a une longue tradition de satire, de caricature du politique mais désormais, les politiciens eux-mêmes y participent, souhaitant réaliser ainsi un gain de visibilité.
La langue est une arme, l’humour en est son tranchant. Il faut savoir le manier car il peut aussi se retourner contre son auteur. Certains en ont fait l’expérience à l’image de F. Hollande, ayant reçu le « Prix exceptionnel » de l’humour politique à plusieurs reprises, à qui l’on doit : « Entre ceux qui ne veulent rien faire et ceux qui veulent tout défaire, nous, nous allons bien faire« .
Il est intéressant de voir d’ailleurs que toutes les démocraties n’ont pas un passé aussi riche que celui de la France dans ce domaine. De l’humour politique aux politiques humoristes, on passe de Pierre Dac ou Coluche, humoristes s’étant portés candidats à la fonction présidentielle, aux saillies volontaires ou non de politiciens installés dans cette fonction. Le tout est de savoir qui des uns ou des autres ont vraiment une vision. Les premiers transmettant en souriant un propos qui est sur le fond sérieux alors que les seconds se présentent comme responsables et réfléchis, mais font en réalité rire.
À vouloir jouer à cela, certain(e)s risquent de passer au tribunal du flagrant délire. Mais alors de qui se moque-t-on ?
Floriane Zagar
Enseignante à l’Université Paris-Est-Créteil – UPEC
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