Le 21 mars 2000, Public Sénat émettait sa première émission à la télévision. A l’occasion de ses 20 ans, Arnaud Benedetti a rencontré son Président, Emmanuel Kessler.
Revue Politique et Parlementaire – Public Sénat a 20 ans. Quelle est la spécificité d’une chaîne parlementaire comme celle que vous dirigez ? Et qu’est ce qui a changé en 20 ans ?
Emmanuel Kessler – En 20 ans, la révolution du numérique a bouleversé la télévision : la façon de la faire, de la recevoir et de la regarder. La concurrence s’est renforcée considérablement avec l’émergence des plateformes par abonnement. Notre chaîne Public Sénat ne s’est jamais laissée déborder par ces évolutions, au contraire : nous sommes devenus un média global, qui s’est imposé et qui va de la télé « classique » à Instagram !
Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est notre mission : informer et former des citoyens à la vie politique, aux enjeux civiques et citoyens. Et plus les choses ont bougé autour de nous, plus cette mission initiale se trouve légitimée, nécessaire, actuelle.
En ces temps où la démocratie est en crise, à tout le moins en fragilité, nous sommes plus que jamais une chaîne d’utilité publique.
RPP – La télévision à l’heure de l’info permanente et des réseaux sociaux est un défi. Votre temporalité s’inscrit dans une épaisseur du traitement de l’actualité mais vous ne pouvez pas non plus totalement vous extraire de ce nouvel écosystème. Comment parvenez-vous à concilier ces deux paramètres ?
Emmanuel Kessler – Là encore, les évolutions renforcent notre positionnement. D’un côté le fracas des Tweets et de l’info continue. Mais il arrive que trop d’infos tue l’info, la rend inintelligible. Notre rôle, c’est de prendre de la distance et du recul, de donner du temps au temps, de replacer les événements dans leur contexte historique, économique, social, culturel… Nous donnons de la profondeur de champ. Beuve-Méry, le fondateur du Monde, parlait « du point de vue de Sirius ». Restons modestes mais notre ambition, c’est de prendre de la hauteur, avec des débats qui privilégient la nuance à la polémique, une attention au contenu du travail parlementaire plutôt qu’aux « petites phrases ». De ce point de vue le Sénat est un bon aiguillon car c’est une assemblée politique qui privilégie le fond des sujets aux postures partisanes.
RPP – Quelles sont les pistes sur lesquelles vous travaillez pour renforcer encore votre offre ?
Emmanuel Kessler – De vastes chantiers législatifs s’ouvriront au sortir de cette période. Il faudra relancer l’économie, retrouver une souveraineté industrielle, donner un coup d’accélérateur à la transition écologique et rebâtir notre système de santé. Le Parlement va jouer un rôle majeur. L’exécutif ne pourra pas rester dans sa posture verticale par laquelle il a débuté le quinquennat. Et les commissions d’enquête sur la gestion des divers aspects de la crise seront nombreuses.
Nous serons la chaîne de référence incontournable pour suivre ces débats et les décrypter.
Je pense aussi que, dans nos émissions, l’interactivité avec le grand public sera développée. Le confinement a prouvé que, aussi facilement qu’à la radio, le citoyen peut avoir sa place dans les émissions de télé via les liaisons vidéo internet. Cela va nous faire évoluer.
RPP – En ces temps de confinement comment vous-êtes vous organisés ?
Emmanuel Kessler – L’essentiel des équipes travaille à distance, notamment pour produire les 13 nouveaux rendez-vous numériques que nous avons créé en 15 jours, après le démarrage du confinement. Nous avons réinventé sur le Net nos rendez-vous d’antenne comme, par exemple, « la revue de presse des territoires » en partenariat avec la PQR, ou l’invité politique d’Oriane Mancini. Nous nous sommes inscrits sur le canal 13 dans l’opération Nation Apprenante du ministère de l’Education avec des documentaires et des téléfilms exigeants et grand public, qui font réfléchir sur ce que l’on vit. A l’affiche : Victor Hugo, Jean Jaurès, Simone Veil, Louis Pasteur, Marie Curie, Hubert Reeves… Je crois aux figures inspirantes.
RPP – Votre plus grande fierté depuis que vous dirigez Public Sénat ?
Emmanuel Kessler – Celle de diriger une équipe qui démontre jour après jour non seulement son professionnalisme et son agilité, mais son engagement à défendre une certaine idée de la télévision, à nourrir une véritable mission de service public.
Je retiens aussi beaucoup de grands moments. Je pense par exemple à la retransmission du rassemblement exceptionnel des maires de France, à Paris, après les attentats de novembre 2015. Nous étions la seule chaîne à diffuser cette matinée. Debout, ceints de leur écharpe tricolore, ils étaient 3 000 à entonner la Marseillaise. Ils ont montré alors, ils montrent chaque jour, qu’ils sont le rempart invincible de notre République.
Je suis très fier enfin d’avoir permis à un nouveau et large public de découvrir ou de retrouver Raymond Aron, dans un documentaire qui démontre son incroyable actualité. Raymond Aron nous montre que, si l’histoire est tragique, l’homme conserve toujours la possibilité de faire le choix du raisonnable. Et le raisonnable, s’il n’est pas la promesse d’un absolu, consiste en tout cas à ne jamais sacrifier notre liberté.
Emmanuel Kessler
Président de Public Sénat
Propos recueillis par Arnaud Bendetti