La plupart des chercheurs dans le domaine relevant des doctrines de souveraineté ont tendance à fonder leur analyse sur le postulat que les acteurs politiques se réclament de logiques rationnelles. Ils négligent de ce fait les assises affectives des rapports de domination et des liens de solidarité. Les enjeux de la souveraineté sont souvent émotionnels et s’inscrivent dans la « sphère des illusions ». Telle est l’idée centrale que développe Pierre de Senarclens, professeur honoraire de relations internationales à l’Université de Lausanne, en se basant sur l’environnement économico-politique internationnal actuel.
Nous vivons, en effet, une période de grands bouleversements, de mutations rapides qui ébranlent les fondements des États et influencent le cours de l’Histoire. Cette souveraineté chargée du point de vue émotionnel s’écarte de l’héritage rationaliste des Lumières, celui qui avait inspiré la Charte des Nations-unies et la légitimité des États modernes. « Si l’ONU a œuvré pour conférer une dimension universelle au principe de souveraineté étatique ; elle a été d’un faible secours pour consolider la souveraineté nationale de nouveaux États indépendants et pour assurer un régime de sécurité susceptible de les protéger. » écrit l’auteur. La fragilité des États, la défaillance des institutions internationales laissent la voie libre à des fragmentations identitaires, hétérogènes, à des sectarismes politico-religieux alimentant une violence déchaînée telle qu’elle se manifeste en Afghanistan, en Inde, au Pakistan, dans certains pays d’Afrique et dans l’ensemble du Proche-Orient.
Pierre de Senarclens examine la nature des revendications ethniques et passe en revue les explications offertes pour éclairer les causes des ethnocentrismes et des fondamentalismes religieux. Il analyse dans le chapitre 4, particulièrement intéressant, « les fondements émotionnels de l’ethnicité » et l’apport de la psychosociologie d’inspiration psychanalitique pour mieux comprendre les « ruses de l’aliénation », les « constructions identitaires » et le recours au communautarisme pour pallier l’insécurité psychologique. La reconstruction historique des mouvements religieux et l’analyse des parcours de vie de leurs militants ne suffisent pas à expliquer leur propagation. « Ainsi, pour interpréter le sens des engagements de Boko Haram ou des dirigeants de Daech est-il vraiment nécessaire de restituer scrupuleusement les écoles de pensée religieuse, les maîtres à penser et les influences idéologiques ayant marqué les animateurs de ces mouvements. N’est-il pas préférable de s’attacher à comprendre les soubassements psychologiques de leur aventure criminelle ? »
Aborder ce problème dans sa dimension psychosociologique d’inspiration psychanalitique donne à cet ouvrage une portée plus globale et meiux cernée. L’enjeu est vital : car les conflits d’inspiration ethnocentriste et religieuse sont une source inépuisable de guerres civiles, de génocides et d’insécurité internationale.
Pierre de Senarclens
L’Harmattan
Questions contemporaine, 2016
250 p. – 25 €