Le 22 Avril 2024 marquera les 50 ans du décès du président Richard Nixon : un homme fort controversé du fait de l’affaire du Watergate où ses affidés avaient osé espionner le siège de campagne des Démocrates ( 17 juin 1972 ). D’ici à 1994, Nixon sera un combattant.
Christophe Maillot, haut fonctionnaire territorial et préalablement auteur de « L’humour chez JFK – Une arme politique » nous propose un livre étoffé car relevant de plusieurs registres complémentaires. Fort habilement documenté, cet ouvrage accessible peut être lu via le prisme rigoureux de l’historien. Puis, il peut se lire comme le roman dynamique d’une vie trépidante et chargée de rebondissements. Enfin, l’auteur qui croise le pouvoir local en tant que Directeur général des Services du Conseil départemental du beau territoire qu’est la Loire ne peut s’empêcher de glisser, ici et là, des réflexions habiles sur le pouvoir et les modalités de son exercice.
En guise d’amorce de sa réflexion étayée, l’auteur effectue des parallèles avec certains personnages historiques qui ont connu des passages à vide, des « traversées du désert » pour citer en référence celui que René Coty sût nommer « le plus illustre des Français » en la personne du Général de Gaulle.
Cette séquence trans-séculaires est constructive et démontre que rares sont les parcours linéaires. Il y a bien un fil rouge autour des contrariétés des grands destins. Ainsi l’auteur offre comme sous-titre : « Une résurrection ( 1974 – 1994 ) » et aurait pu développer cette approche en symbiose avec deux autres descriptions possibles : le Phénix, la réhabilitation.
Une chose est acquise : « There are no second acts in American lives » ( Francis Scott Fitzgerald ). « Richard Nixon consacrera ainsi toute sa vie à tordre le coup à cette formule pour montrer et démontrer que, pour lui, rien n’est jamais perdu et qu’il faut, encore et toujours, se rebiffer et se battre. »
L’auteur est raisonnablement admiratif face au parcours du président Nixon et ses pratiques du pouvoir.
En revanche, on décèle une admiration raisonnée – que le lecteur se surprend à partager ce qui est une des forces de l’ouvrage proposé à la présente recension – quant à la « niaque » du défunt président des États-Unis.
« Seulement voilà, Nixon n’est pas un homme normalement constitué. Doté d’une niaque unique, vous ne lui ferez pas baisser longtemps la garde. C’est l’homme du rebond, pas de l’échec. C’est l’homme du retour, pas de l’oubli. Certes, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de dire si Nixon, au bout de sa vie, aura réussi son coup de maître en méritant une authentique réhabilitation. Les passions et les querelles historiographiques sans fin qu’il continue de susciter, ainsi que l’ouverture progressive des archives, ne cessent de conforter l’ambiguïté et la complexité du personnage qui, à bien des égards, reste une énigme. »
J’apprécie ce relativisme qui éloigne le ton péremptoire que chausse d’aucuns lorsqu’ils traitent de la présidence Nixon. Cela ne m’empêche pas de garder en mémoire certaines lignes du brillant Henry Kissinger écrites, par exemple, au sujet du Vietnam et bien sûr du Chili de feu Allende.
En page 118, Christophe Maillot indique que Nixon « règle ses comptes » et l’auteur fournit une définition instructive de la notion de « Présidence impériale ». « Le concept de Présidence impériale vise les pratiques d’un exécutif qui, peu soucieux de l’équilibre des pouvoirs voulu par les Founding Fathers, les pères de la Constitution, s’arrogerait de fait un mode d’exercice de son influence ne respectant pas, ou si peu, les attributions du législatif ( le Congrès ) et du judiciaire ( la Cour suprême notamment ). »
Dans ses Mémoires ( 9 janvier 1978 ), Nixon avance l’idée que le président ne doit pas tomber aux mains de la bureaucratie et devenir un « vassal du Congrès » .
Cet éclairage de la pratique du pouvoir est porteur et aurait sans doute mérité quelques développements additionnels… gourmandise de lecteur !
Ce qui est important c’est un extrait d’une citation de Richard Milhous Nixon : « D’un point de vue intellectuel, la décennie entre 1978 et 1988 fut la période la plus créatrice de ma vie ( …/… ) alors qu’avant , tour à tour, Représentant, Sénateur, Vice-Président puis Président, j’avais été si accaparé par les décisions et l’action au jour le jour qu’il me restait peu de temps pour réfléchir à ce qui devait être accompli » .
Ayant eu l’honneur de travailler auprès de grands responsables, je considère que cette citation éclaire crûment la réalité tangible du Pouvoir contemporain. Combien de temps disponible pour un président de la République omniprésent tel Emmanuel Macron ? Combien de temps pour un fonceur comme Carlos Tavares à la tête de Stellantis ?
L’élite est parfois soumise à saturation et tranche avec la pratique mesurée d’un personnage comme François Mitterrand décrite par Jean Peyrelevade ou Jean-Pierre Chevènement.
L’ancien élu de Château-Chinon aimait l’écriture autant que la lecture. Or, c’est précisément par le truchement de deux écrits que Nixon a effectué sa sortie progressive des enfers démocratiques. Tout d’abord avec ses discours des 8 et 9 août 1974 où il annonce au peuple américain sa décision de démissionner ( plutôt que de subir le terme conclusif autant qu’infâmant de la procédure d’impeachment ). Puis, par son livre précité de 1978.
Ces deux bornes, fort bien écrites, ont indubitablement contribué à cette curieuse remontada que ni les présidents Valéry Giscard d’Estaing et Sarkozy n’ont pu atteindre.
Ainsi, ce livre est aussi précis qu’un agrément pour le lectorat et revisite avec grande sagacité les années Nixon dont nul ne doit oublier ses efforts de rapprochement avec la République Populaire de Chine.
J’ai sincèrement apprécié cet ouvrage même si la guerre au Vietnam demeure un véritable boulet dans ce qu’il est convenu de nommer l’héritage Nixon.
Jean-Yves Archer
Economiste et membre de la Société d’Economie Politique