Les années se suivent et ne se ressemblent pas. Crise financière, conflits sociaux, pandémie mondiale, guerre en Europe, affrontements commerciaux et technologiques entre les grands blocs… La liste des chocs qui ont frappé nos nations ces dernières années n’en finit plus de s’allonger.
Hypothèses théoriques il y a moins de vingt ans, ces chocs sont désormais notre réalité. Une réalité également rythmée par des mutations profondes qui étaient en gestation avant la crise sanitaire et qui, depuis le retour à la vie presque normale, s’accélèrent.
Parmi ces mutations, citons celles animées par les ruptures technologiques et les urgences environnementales. Et pour la plupart des dirigeants, quel que soit leur impact, ces multiples chocs sont aussi des forces de changement et des opportunités considérables.
Dans ce contexte, comment la France peut-elle rester attractive et continuer à maintenir à distance ses rivaux, sachant que la compétition reste vive en Europe et ailleurs pour attirer les investisseurs étrangers ?
La France a su changer son image
Avant de tenter de répondre à cette question, il faut avoir en tête que l’image et la performance de la France ont positivement évolué ces dernières années. À coups de réformes, notamment de son marché du travail et de sa fiscalité, notre pays a su convaincre les investisseurs, en témoignent les résultats des derniers baromètres EY de l’attractivité. Ainsi, en 2021, la France a conservé, pour la troisième année consécutive, la première place du classement européen des pays d’accueil des IDE, devançant le Royaume-Uni et l’Allemagne, ses rivaux historiques.
Aujourd’hui, l’Hexagone peut compter sur l’énergie d’environ 20 000 investisseurs étrangers qui emploient 2,3 millions de personnes, représentent plus de 20 % du chiffre d’affaires de l’économie tricolore, plus de 14 % de l’investissement des entreprises et près du tiers de nos exportations.
Nos échanges constants avec les dirigeants de filiales en France, mais aussi leurs sièges et les multiples parties prenantes des investissements internationaux, indiquent clairement que la France a fait du chemin, mais seulement une partie du chemin. Pour garder son pouvoir d’attraction, rester compétitive et ne pas se laisser dicter son futur par d’autres, pour être plus forte et rendre l’Europe plus forte, elle doit poursuivre ses efforts. Poursuivre les réformes structurelles est une évidence. La France doit s’atteler à rendre sa fiscalité toujours plus incitative, à moderniser son industrie et le « made in France », à favoriser la montée en gamme des compétences, à relancer ses territoires, où tant de savoir-faire sont à défendre et à valoriser. Entre autres chantiers structurants pour l’avenir.
Mais au regard des nouveaux enjeux, faire « comme avant » ne peut suffire.
Un monde en transition
Pourquoi ? Parce que le monde d’hier n’est plus celui d’aujourd’hui et encore moins celui de demain. La pandémie et le nouveau contexte géopolitique, énergétique et économique ont accéléré certaines transitions qui étaient déjà à l’œuvre et auxquelles la France doit apporter des réponses différentes.
Dans le domaine industriel, technologique mais également médical, la crise sanitaire a souligné la dépendance de la France vis-à-vis d’un certain nombre d’approvisionnements. Inimaginables à l’heure de la mondialisation heureuse, ces ruptures des chaînes d’approvisionnement sont devenues une réalité.
Ainsi, la France, pourtant septième puissance économique mondiale, n’a pas été en mesure de fabriquer certains biens essentiels à sa population et de nombreux industriels ont dû ralentir leur cycle de production en raison d’une pénurie de semi-conducteurs. Publié en juillet, un rapport sénatorial illustre de façon criante cette situation de dépendance : 40 % des intrants de l’industrie française sont importés contre 29 % il y a vingt ans ; l’UE est en situation de totale dépendance sur 6 % des produits qu’elle importe ; 80 % des principes actifs utilisés en Europe dans la pharmacie proviennent de Chine et d’Inde ; l’agriculture et l’agroalimentaire français sont dépendants à 52 % et 40 % des importations ; la France a importé 78 jours d’électricité en 2021 contre 25 en 2019 ; 80 % des données des citoyens français sont stockées aux États-Unis.
Dans le domaine technologique, l’omnipotence des nouveaux géants du numérique est devenue un problème. Dans la course à la donnée, nouvel or noir de l’industrie du futur, la France ne peut pas rivaliser face aux géants américains et asiatiques du secteur.
Le conflit en Ukraine a remis en question la stratégie énergétique mais également alimentaire de la France et de ses partenaires européens. Les tensions géopolitiques, notamment entre la Chine et Taïwan, sont également des sources d’inquiétudes. Quant aux conséquences du réchauffement climatique, ce ne sont plus des éventualités mais des catastrophes concrètes.
Certes, la France n’est pas le seul pays européen à pâtir de cette situation. Mais ce n’est pas une satisfaction.
Dans ce contexte, la transformation ne doit plus seulement servir la compétitivité des entreprises et l’efficacité des administrations, elle doit désormais permettre à la France de reconquérir tout ou partie de son indépendance dans les domaines industriels, technologiques, énergétiques et alimentaires, tout en apportant simultanément des réponses aux enjeux liés aux compétences, à l’inclusion sociale et au défi climatique.
Penser plus grand, penser différemment
Car tous les enjeux, toutes les questions et réponses, tous les intérêts sont interconnectés ! Pensons et agissons « big picture » pour paraphraser nos amis anglo-saxons ! Prenons l’exemple de la réindustrialisation de la France, si chèrement souhaitée par nos gouvernants. Elle n’aurait de sens que si elle s’accompagne d’une décarbonation de notre économie. Pas simple… mais terriblement audacieux.
L’emploi et la croissance ne pouvant plus être les seuls objectifs visés, il est temps de se fier à de nouveaux indicateurs, notamment RSE pour mesurer avec pertinence notre capacité à réussir les transitions tant souhaitées.
Le PIB, comme mesure ultime de la création de « richesses », a fait son temps. Changeons de thermomètre.
Les dernières intentions et décisions gouvernementales témoignent du changement de paradigmes en cours qui, pour rassurer les plus pessimistes, vise davantage l’excellence que la décroissance. C’est le cas de la dernière loi de finances mais aussi, par exemple, de France 2030.
Le cap est fixé. Dans cet environnement chahuté, on ne peut que se réjouir du retour de l’État stratège. Mais plusieurs interrogations restent en suspens. Qui financera les multiples transitions ? Les citoyens, Les reprises ? Les entreprises ? Les pouvoirs publics ? Par ailleurs, les financements privés seront-ils suffisants pour espérer un fort effet de levier ? Comment faire jouer les synergies au niveau européen ? Masques, vaccins, gaz… dans un certain nombre de domaines, le passé récent a démontré de façon criante que la France était plus forte si elle agissait de concert avec ses partenaires européens. Des réponses à ces questions, parmi tant d’autres, dépendront la réussite de la stratégie gouvernementale et, plus globalement, l’avenir de l’économie française
Marc Lhermitte
Senior Partner, EY Consulting
Fabien Piliu
Responsable du pôle éditorial EY