L’économiste Jean Gadrey dénonce dans son ouvrage la poursuite obsessionnelle de la croissance, cette baguette magique vantée par nos dirigeants depuis des lustres, encensée pour son prodigieux pouvoir de parer aux multiples maux de la société : chômage, inégalité excessive, pauvreté, dette publique…
Mais en rupture avec ces idées reçues bien admises, l’auteur nous interroge : et si cette quête inlassable de la croissance était la source de nos problèmes et facteur de crise ? Il remet même en question la fameuse “croissance verte” une “utopie scientiste” selon lui. Pourtant, peut-on imaginer une “prospérité sans croissance” ? Peut-on s’en passer pour réaliser le plein emploi de qualité et garantir une bonne protection sociale ? Faut-il pour autant adopter une décroissance systématique, et consentir, contraints et forcés, à une pénible austérité ? Le problème est mal posé constate Jean Gadrey. Il s’agit plutôt de mettre fin à la course vers la croissance quantitative, et promouvoir des innovations en symbiose avec la nature et l’homme. Les perspectives d’une autre trajectoire sont possibles affirme l’économiste, tout en se démarquant de certains courants de la théorie de la décroissance, ce qu’il propose relève d’une société “post-croissance” ou “anti-croissance”. Il s’agit essentiellement d’accorder une place substantielle aux structures d’économie sociale et de réaliser des activités moins globales, plus ciblées, en vue de concevoir “un mieux-êre” déconnecté du “mieux-avoir”. “L’avenir soutenable n’est nullement dans la réduction de tout, dans l’appauvrissement général et la pénurie, bien au contraire, mais il y aura à la fois des facteurs de développement du bien-être et des diminutions de consommation matérielle dans certains domaines” souligne l’auteur, ajoutant : “La réduction des inégalités est absolument décisive pour que tous accèdent à des modes de vie soutenables et désirables”.
Jean Gadrey soutient qu’une telle trajectoire réorientée vers la soutenabilité économique et sociale peut être défendue selon des critères économiques classiques : la production de valeur ajoutée et de plein emploi. En économiste pragmatique, soucieux de montrer la praticabilité de voies alternatives présentées, son exposé est illustré par de nombreux graphiques et statistiques. Il dresse un tableau exhaustif des emplois innombrables et possibles dans une grande partie des secteurs économiques, des emplois de qualité innovants offrant une revalorisation de savoir-faire et pourvoyeurs de bien-être, plaidant pour une décroissance des activités exagérément productivistes. Les chantiers préconisés doivent être expérimentés à l‘échelle locale pour enfin appliquer les expériences efficaces à l’échelle macro-économique
Coller aux réalités institutionnelles, inciter à l’action concrète de terrain, constituent en effet le souci constant de l’auteur.
Ce livre risque de déplaire aux tenants du capitalisme productiviste, aux néolibéraux les yeux rivés sur l’indicateur du PIB. Rappelons que Jean Gadrey plaide depuis longtemps pour des indicateurs alternatifs au PIB.
Dans un climat morose, pessimiste et défaitiste, “Adieu à la croissance » donne des raisons d’espérer. C’est une ouverture vers une économie plus humaine, plus juste et une société plus solidaire. D’aucuns y verraient une utopie de plus. Mais si l’on croit Benjamin Franklin, un des pères fondateurs de l’indépendance des États-Unis : “L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé.”
Jean Gadrey
Adieu la croissance – Bien vivre dans un monde solidaire
Troisième édition augmentée
Editions Les petits matins, 2014
216 p. – 15 €