Armé comme à son habitude d’un appareil conceptuel et critique provenant de la plus pure tradition des sciences sociales issue de Durkheim, Mauss ou Halbwachs, Karsenti a le courage intellectuel de passer à l’offensive pour que cette question de Dieu et de sa place dans nos sociétés – que la plupart de nos théories politiques contemporaines esquivent en détournant le regard de ce qui apparaît, à première vue, comme une vieillerie d’un autre temps – soit traitée avec l’ambition qui convient. Son livre, dit l’auteur dès les premières pages, “cherche à fournir une parade à notre désemparement sans esquiver le problème théologico-politique contemporain, en le traduisant en termes socio-politiques.” Tout l’intérêt du livre (dont je n’ai lu à ce stade que les toutes premières pages) me semble tenir en cette phrase de l’auteur qui résonne comme un grand programme de travail.
Alors que nos cœurs saignent face aux attaques terroristes innommables du Hamas contre des femmes, des hommes, des vieillards et des bébés israéliens, alors que nous sommes encore sidérés et aussi inquiets du sort terrible qui peut être celui des populations civiles de Gaza – victimes et otages eux aussi de cette organisation de fanatiques islamistes – le livre de Bruno Karsenti nous offre des armes solides et inédites, aussi bien pour l’esprit que pour la pratique politique, sociale ou citoyenne, afin de relever la question de Dieu, à notre façon, cette question si ancienne et au nom de laquelle tant de nos semblables se sont entretués – et continuent de le faire. Sans doute pas dans l’immédiat ni dans l’urgence de l’actualité ; mais probablement dans “un futur qui est aussi notre présent“ (Clarice Lispector), ce futur qui nous hante tant et face auquel on ne peut se satisfaire d’être les spectateurs passifs du Mal qui vient.
Eduardo Rihan Cypel
La place de Dieu – Religion et politique chez les modernes
Fayard, 2023