« Crédit Lyonnais. Journal d’un sauvetage » retrace, au jour le jour, les évènements qui se sont succédé, entre le 2 septembre 1993, où Jean Peyrelevade entendit parler pour la première fois d’une éventuelle nomination à la présidence du Crédit Lyonnais, et le début 1995, où avec son équipe il réussira à faire accepter par l’État un plan de restructuration de grande ampleur pour sauver la banque de la faillite.
Depuis sa nomination au sein du cabinet de Pierre Mauroy en 1981, Jean Peyrelevade, polytechnicien de formation et diplômé de Sciences Po, a multiplié les expériences de direction de grandes entreprises nationalisées (président de Suez de 1983 à 1986, de la Banque Stern de 1986 à 1988, de l’UAP de 1988 à 1993, et du Crédit lyonnais de 1993 à 2003), et depuis 2004, il entre résolument dans le secteur privé, à la banque d’affaires européenne Leonardo & Co. et, actuellement, associé-gérant de la filiale française du groupe belge Compagnie financière Degroof France. Sa pratique confirmée de gestion de grands groupes, sa connaissance concrète et théorique du système financier lui confèrent toute légitimité pour juger avec pertinence des sujets capitaux tels que, d’une part : l’enjeu du pouvoir dans les nationalisations et les intrications entre le politique et l’économique dans une nation, et d’autre part les dangers que peut faire courir la dérive du capitalisme vers un système absolu régi par l’actionnariat et les normes de rentabilité excessives. Cet esprit critique vis-à-vis des deux secteurs public et privé se dégage de ses abondantes publications, pour ne citer que quelques-unes : « La république silencieuse » (avec Denis Jeambar, Plon, 2002), « Le capitalisme total » (Seuil, 2005), « France, état critique (avec Pierre-Antoine Delhommais, Plon, 2011), « Histoire d’une névrose. La France et son économie » (Albin Michel, 2014, prix de l’Excellence économique MBC, 2015).
« Crédit Lyonnais. Journal d’un sauvetage » retrace, au jour le jour, les évènements qui se sont succédé, entre le 2 septembre 1993, où il entendit parler pour la première fois d’une éventuelle nomination à la présidence du Crédit Lyonnais, et le début 1995, où avec son équipe il réussira à faire accepter par l’État un plan de restructuration de grande ampleur pour sauver la banque de la faillite. Pourquoi revenir plus de vingt ans après sur un épisode qui peut paraître lointain ? Parce que la somme des dysfonctionnements qu’il avait à affronter à l’époque sont toujours les mêmes aujourd’hui, estime Jean Peyrelevade, stigmatisant un État-actionnaire déficient, un « esprit de caste paralysant », et des blocages syndicaux à répétition.
Ce journal est justement le récit vivant, concret d’une « double trahison » : d’abord celle de l’État mû par un système où « irresponsabilités et incompétences ne sont jamais sanctionnées, un système incapable de contrôler le pouvoir qu’il a lui-même installé, un système où l’on a laissé pendant cinq ans une banque de taille mondiale dériver jusqu’aux frontières de la faillite » écrit Jean Peyrelevade. « Loin d’être un évènement exceptionnel, le cas du Crédit Lyonnais demeure le symptôme du même dysfonctionnement dans le système français » ajoute-t-il, « C’est aussi la « trahison d’une caste, celle de Bercy » « pénétrée de certitudes et persuadée d’incarner l’intérêt général (… ) Des prêts hasardeux aux investissements des requins d’Hollywood, l’entreprise a connu les plus folles dérives sous le règne d’inspecteurs des Finances protégés par le sérail. » Selon lui, les « contre-pouvoirs sont anesthésiés parce qu’on promet de bons salaires et de l’emploi au personnel, de la croissance et quelques avantages matériels aux syndicats, des promotions et des bonus aux cadres tout en écœurant les rares opposants. On manipule des commissaires aux comptes trop faibles, on abuse un conseil complaisant, on va au-devant des voeux d’un ministre… » critique-t-il.
En observateur lucide et perspicace de l’intérieur du système, il condamne ce même système où l’économie se construit dans les coulisses de la politique. « Avant l’affaire du Lyonnais, jamais je n’avais soupçonné que la notion de responsabilité individuelle était complètement absente de ce système fermé sur lui-même, fonctionnant en vase clos, et gouverné par des hiérarchies mandarinales. » fustige-t-il.
Jean Peyrelevade dénonce par ailleurs des normes de rentabilité excessives qui conduisent les chefs d’entreprise à être les premiers agents d’une mondialisation sans frontière. Il met ses espoirs dans le politique : la capacité des États à s’entendre sur des modes de gouvernance dans une perspective de long terme, qui fixent des normes de rentabilité compatibles avec cette période longue, incitent au réinvestissement plus qu’aux dividendes et qui limitent les rémunérations des dirigeants.
À travers ce journal, nous redécouvrons sur le plan pratique les enjeux de la mondialisation, des concentrations d’entreprises, de la dérégulation et de l’émergence de nouvelles normes. C’est un témoignage impétueux d’un spécialiste du capitalisme contemporain qui ne s’est pas laissé démonter par les controverses à son égard pendant l’affaire du Crédit Lyonnais. Ses réflexions ont d’autant plus d’intérêt qu’elles prennent toujours appui sur des observations concrètes. C’est un document riche de renseignements, animé par des portraits bien campés et une plume souvent acérée.
Jean Peyrelevade
Albin Michel, 2016
446 p. – 21,50 €