Plusieurs centaines de milliards d’euros et de dollars échappent chaque année à l’impôt et viennent remplir les coffres des banques dans les paradis fiscaux. La liste de nouvelles affaires de fraudes fiscales ne cesse de s’élargir et d’alimenter les chroniques des journalistes d’investigation, les études de missions parlementaires et les rapports d’ONG spécialisée.

Éric Vernier, expert en blanchiment et paradis fiscaux, directeur de la chaire commerce, échanges & risques internationaux à l’ISCID-CO, propose dans cet ouvrage une vision diversifiée et exhaustive de la fraude fiscale et des paradis fiscaux stricto sensu mais aussi paradis bancaires et paradis judiciaires. Il aborde également la fraude fiscale aussi bien dans ses aspects techniques que médiatiques, ainsi que l’optimisation fiscale agressive des entreprises jusqu’à la fraude criminelle des organisations mafieuses. 

Le principal changement de cette deuxième édition, tel que le précise l’auteur, est traduit dans le sous-titre : « Quand l’exception devient la règle ». En effet, « les différents scandales qui ont éclaté depuis la première édition (Panama papers, Paradise papers, etc.) ont montré que le jeu fiscal est au cœur du système économique et n’est plus seulement un épiphénomène à l’initiative de quelques multinationales indélicates ou des barons de la drogue. La défiscalisation agressive devient la règle : les criminels, mais aussi les grandes entreprises, les professions libérales aisées, les PME et même le simple quidam qui loue son appartement via la plateforme AirBnB avec un compte para-bancaire à Gibraltar qui lui permet d’éluder l’impôt. »

D’autre part, la seconde édition s’enrichit de nouveaux témoignages de personnalités et experts reconnus : Bernard Bertossa, magistrat suisse qui avait participé à l’Appel de Genève en 1996, Manon Aubry d’Oxfam, Antoine Peillon du journal La Croix, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, le député Fabien Roussel qui œuvre sur la loi contre les paradis fiscaux, le philosophe canadien Alain Deneault, etc.

Par ailleurs, l’actualisation, extrêmement importante, des informations et des données s’est accompagnée de la mise en avant des principales mesures d’éradication des paradis fiscaux et de la fraude fiscale : échange automatique d’informations, registre des bénéficiaires effectifs, reporting pays par pays, etc. Enfin, le guide des paradis fiscaux a été actualisé. La Suisse, souvent présentée comme un pays ayant abandonné ses pratiques abusives, se retrouve en première place aux côtés des États-Unis. Mais aussi la France qui arrive en 25^e place, notamment pour tous les « placements discrets des dictateurs en France, nommés les Biens Mal Acquis ».

Éric Vernier fait la part des choses entre  fraude, évasion et optimisation fiscales. Les explications fournies permettent de clarifier le concept de paradis fiscal pour enfin réaliser une synthèse de l’état de la connaissance actuelle relative au blanchiment et expliciter le délit de blanchiment de fraude fiscale, célèbre en France depuis l’affaire Cahuzac. À cet éclairage, l’auteur ajoute une complication supplémentaire en distinguant l’exil fiscal de l’expatriation fiscale. L’exilé fiscal se déclare officiellement dans un pays à faible taxation, mais continue à vivre dans son pays d’origine. L’expatrié fiscal quitte réellement son pays pour partir dans un paradis fiscal.

Dans un second volet, Éric Vernier analyse les conséquences de la fraude fiscale, des paradis fiscaux et du blanchiment sur l’équilibre des nations et sur le développement économique et humain. La crise de 2007, financière puis économique et souveraine, a soulevé plusieurs interrogations en lien avec ce phénomène, relève l’auteur, ajoutant que la fraude fiscale et ses actions connexes : corruption, spoliation des peuples, enrichissement personnel, petits arrangements au sommet de l’État…mettent à mal la démocratie. « Alors que certains pays s’enfoncent dans le marasme financier, leurs dirigeants prospèrent dans les plages antillaises ou dans les appartements haussmanniens » écrit l’auteur qui nous fait découvrir quelques affaires médiatiques, souvent oubliées ou étouffées. 

Comme pour atténuer le sentiment de malaise du lecteur, il indique où en est la réglementation actuelle et son effectivité, quelles actions concrètes ont été menées et sont prévues, quelles attentes sont revendiquées par les ONG. 

Dans la dernière partie intitulée « Guide touristique des paradis fiscaux » Éric Vernier écrit « Faut-il au terme de ce livre parler de paradis ? Ne serait-il pas préférable de passer définitivement à l’expression de « parasites fiscaux » avant leur éradication complète qui paraît encore lointaine, sauf si la volonté politique et la pression citoyenne s’intensifient ? L’idée ici n’est donc pas d’inviter le lecteur à choisir ses vacances en fonction de la taille de sa mallette de billets mais de mieux comprendre la géopolitique à travers le prisme fiscal ». 

Le livre d’Éric Vernier offre sur le sujet  une synthèse claire, pédagogique, pimentée d’humour, à la portée de tous.

Fraude fiscale et paradis fiscaux – 2e édition
Quand l’exception devient la règle
Eric Vernier
Dunod, 2018
216 p. – 24 €