L’historien Thomas Snégaroff, et Alexandre Andorra, diplômé de l’ENA et de HEC, nous entraînent dans « Géopolitique des Etats-Unis » loin des mythes, nous plongeant dans l’histoire des États-Unis sous tous ses aspects géographiques, sociologiques, culturels, économiques, politiques, diplomatiques, sécuritaires…
À la simple évocation du nom « États-Unis », les clichés envahissent notre entendement, les symboles inondent notre esprit. Connaissons-nous réellement ce pays de contrastes paroxystiques : richesse et pauvreté, sécheresse et inondation, droits de l’homme et violence, isolationnisme et interventionnisme… ?
Dans leur ouvrage, les auteurs affrontent l’éternelle interrogation sur la puissance américaine. Les États-Unis ont-ils encore les moyens de diffuser leur vision dans le reste du monde ? En ont-ils encore l’ambition ? Les fragilités internes ne sont-elles pas de nature à remettre durablement en cause la place de l’Amérique dans le monde ? Des questions auxquelles ce livre tente d’apporter des réponses.
Premier terrain de jeu : la géographie, le territoire avec qui le pays entretient une relation particulière, paradoxale même, entre « prédation et sanctuarisation ». Le territoire concentre les espoirs et les contradictions de la puissance américaine. Il est au cœur de l’identité nationale. Un territoire, des ressources, mais aussi des hommes et des femmes venus d’horizons très différents ont construit la puissance américaine. Après l’exposé de quelques données brutes de la population américaine, les auteurs étudient le mythe, à travers le rêve américain, avant de le confronter à une réalité bien différente moins reluisante qui se traduit par de fortes inégalités économiques, sociales, et inter-raciales, qui pourraient y mettre un terme. Les auteurs se penchent par la suite sur la géopolitique interne des États-Unis : « fédéralisme, entre compromis et blocages ». Pour éviter la concentration de l’autorité, et l’abus du pouvoir, une séparation (verticale et horizontale) du pouvoir a été instituée visant à lutter contre les risques de tyrannie. Ainsi, paradoxalement, la démocratie directe est perçue comme potentiellement très dangereuse. « Ces deux « boucliers » ont des implications géopolitiques essentielles et sont aujourd’hui interrogés : sont-ils encore une garantie démocratique, ou sont-ils devenus sources de problèmes ? ».
Abordant l’Amérique post-industrielle et mondialisée dans la guerre économique, T. Snégaroff et A. Andorra démontrent, à partir des données de l’OCDE et de la Maison Blanche, la réussite économique exceptionnelle des États-Unis, « la force de frappe financière et l’attractivité américaine » : la crise financière de 2008 a aidé paradoxalement les États-Unis à conserver leur position de premier pays d’accueil d’investissements directs à l’étranger (IDE). La puissance économique américaine tient aussi à trois facteurs fondamentaux : la prégnance de l’État dans l’économie, le libéralisme, tout relatif car l’État intervient pour réglementer voire sauver le secteur financier ; l’importance du rôle de la Réserve fédérale ; la place du dollar « arme fatale de la puissance américaine ».
Néanmoins « l’Amérique va bien mais pas tous les Américains », l’économie et la société souffrent de nombreux déséquilibres notamment dans l’éducation et la santé.
Enfin les auteurs passent en revue un siècle de politique étrangère « De l’isolationnisme à l’interventionnisme ». Ils examinent le temps de la superpuissance à partir du facteur déclenchant celui de l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, puis le temps de l’hyperpuissance. Sous Clinton : une unipolarité multilatérale. « Après le 11 septembre : une Amérique sous stéroïdes et anxyolitiques » : surexpansion, surmilitarisation, surréaction. Et enfin l’Amérique d’Obama : une « Amérique ambigüe ». Le Président Obama, justifiant l’orientation de sa politique étrangère vers un rééquilibrage, estime : « Aucune nation ne peut préserver sa liberté en situation de guerre perpétuelle ». « Ce n’est pas parce qu’on a le meilleur marteau que tous les problèmes sont des clous ».
Selon Alexandra de Hoop Scheffer, citée par les auteurs, « l’Amérique est en train de passer de nation indispensable à « catalyseur indispensable. Présente mais pas trop impliquée, en encourageant d’autres acteurs partenaires européens, OTAN, organisations régionales notamment en Afrique à partager le fardeau ». Ce rééquilibrage de la politique étrangère américaine, signalent les auteurs, ne se fait pas au détriment des alliés historiques. « À l’inverse, Washington se repose de plus en plus sur eux pour leur déléguer ce qu’elle considère comme des distractions stratégiques » écrivent-ils.
Le livre de Thomas Snégaroff et Alexandre Andorra participe à une meilleure compréhension de la complexité américaine, mais il contribue aussi à mieux appréhender la géostratégie internationale « Car l’Amérique, selon les auteurs, pose des questions qui dépassent ses frontières et qui nous concernent au premier plan. De la persistance des discriminations à notre rapport à la force militaire, au terrorisme et à l’immigration ; de la perte de confiance dans les institutions démocratiques à la montée des inégalités et à la protection de l’environnement » concluent les auteurs.
Thomas Snégaroff et Alexandre Andorra
PUF, collection Major, 2016
162 p. – 25 €