“Géopolitique des religions” propose des outils qui prennent en compte le fait religieux pour une meilleure compréhension du monde d’aujourd’hui. Il est organisé autour de grands thèmes et enjeux du monde contemporain afin de voir pour chacun d’entre eux la portée du fait religieux.
« La religion relie en principe les croyants entre eux et les relie au Ciel. Mais comme il existe plusieurs religions, elle introduit une différenciation entre les groupes humains. De la différence à la défiance, de la défiance à la violence, le pas serait facilement franchi. Pourtant le fait de croire pourrait être aussi un élément fédérateur. En somme, toute tentative de compréhension du monde qui escamote le fait religieux est incomplète » écrit l’historien Didier Giorgini.
Introduire le fait religieux avec ses facteurs transcendants peut être inconciliable avec la raison, dans les analyses géopolitiques souvent basées sur des chiffres, sur des rapports de force. Or ces éléments ne sont que « l’écume de mouvements profonds. Ce qui porte un homme à croire est en effet lié à la fois à l’héritage qu’il a reçu et aux choix qu’il a faits. En ce sens la religion lance un défi à l’espace des géographes et au temps des historiens » affirme D. Giorgini.
Après une exploration des différentes religions dans le monde et l’exposé des espaces qu’elles occupent, l’auteur analyse l’instrumentalisation des basculements religieux et explique comment la politique peut s’articuler avec le religieux pour maîtriser, contrôler un territoire. Ainsi religion, territoires et nations entretiennent des rapports complexes. Cette question dépasse la notion de croyance. Elle est liée aux éléments qui constituent une communauté. Pour mieux saisir cet aspect des choses, l’auteur passe en revue les points d’ancrage de l’identité des peuples et des religions que sont les lieux sacrés. La géopolitique des lieux saints, sanctuaires et pèlerinages, montre comment les centres du monde religieux ont leur place parmi les lieux clefs de la mondialisation. « Dans les lieux saints, l’identitaire rencontre le mondial ». D. Giorgini démontre par ailleurs la force et l’ambiguïté des liens entre pouvoir et religion. En effet, la religion possède une puissance légitimatrice que le pouvoir ne peut ignorer, que ce soit par consensus ou par récupération. Ambiguïté car la religion, si elle peut légitimer, peut aussi contester. Les évolutions géopolitiques du fait religieux sont liées à la façon dont les sociétés vivent leur identité religieuse, dans l’uniformité ou la diversité, la vie privée ou la vie publique. C’est non seulement du champ du politique et de l’économique mais aussi du social que viennent les réussites et les échecs de ce qu’on a l’habitude de qualifier « le vivre ensemble ». Force est de constater aussi le grand retour de la question du religieux dans l’économie : « l’argent un mal pour un bien, loi de Dieu ou loi des hommes », « culture religieuse et intelligence économique », « flux et réseaux du religious business ».
Enfin, D. Giorgini se demande dans quelle mesure la mondialisation ne renforceraitelle pas les identités religieuses ou bien ne contribuerait-elle pas à les relativiser ? Comment les jeux de puissances au sein de la mondialisation ont-ils influencé d’éventuelles « politiques religieuses » et si les conflits dits de religions ne revêtaient pas plusieurs natures ?
Au terme de cette analyse l’auteur met les religions en perspective et en prospective et souligne deux éléments déterminants : la logique démographique et celle du choix individuel. En tout état de cause, les équilibres dynamiques créent des rapports de force dont les conséquences peuvent être importantes à différentes échelles.
« On ne peut comprendre les conflits mettant en jeu les religions sans prendre en compte les rapports entre religions et pouvoirs, ni ces mêmes rapports sans montrer quel est le lien entre religions et nations et entre religions et mondialisation. En somme il s’agit d’un phénomène global, au croisement de l’histoire et de la géographie, du rationnel et du transcendant » c’est dire toute la complexité de la « géopolitique des religions », conclut-il.
L’ouvrage constitue une base solide de réflexion et donne les grandes lignes pour appréhender le phénomène religieux. Pour aller plus avant dans l’analyse des nuances et obtenir de plus grandes précisions le lecteur pourra à profit consulter la bibliographie présentée en fin d’ouvrage ou d’autres références.
Didier Giorgini
PUF (collection Major), 2016
250 p. – 22 €