L’académicien René de Obaldia nous a quittés à l’âge de 103 ans le 27 Janvier dernier. Ému par cette disparition, je souhaite vous faire partager cet hommage dédié à un homme qui m’aura tant appris.
René de Obaldia était sur notre terre mais tout autant dans sa planète en sorte de solitaire éclairé : celle des créatifs que décrit si bien le Professeur Raphaël Gaillard – chef de pôle à l’Hôpital Sainte-Anne – dans son récent livre : « Un coup de hache dans la tête » et sous-titré « Folie et Créativité » (Grasset).
D’évidence, une belle postérité est ouverte à René de Obaldia car son œuvre prolifique recouvre des succès dans le monde du théâtre et des livres, terreau d’une forme d’éternité pour leur auteur forcément empli de doutes.
Sans le doute urticant et salvateur, il n’y a pas d’acte de création intense comme l’a notamment démontré Roland Barthes. L’esprit d’Obaldia et la création sont deux entités fusionnelles qui expliquent la capacité à être un poète attachant, un dramaturge profond et un romancier parfois désopilant.
« Monsieur Klebs et Rozalie » lui valût un Molière du meilleur auteur et lister l’ensemble de ces prix est un livret à lui seul tant son cursus fût couronné de succès.
Le Mardi 5 Mars 1985 devait être, au long cours, une date-clef dans mon existence. C’est en effet ce soir-là, à 20 heures précises, que je pénétrais en compagnie d’une amie chez le couple formé par Diane et René de Obaldia, rue Saint Lazare.
Non, il n’y a pas eu de traditionnel round d’observation où les présents se jaugent voire se jugent. Moins de quinze minutes après un apéritif déjà entrecoupé de rires, la malice de René de Obaldia se conjuguait à une intensité humaniste que je n’ai jamais gommée de ma mémoire. Il savait être amical comme un oncle, délicieux comme un ami en gestation et franc comme le beau-père potentiel qu’il était alors dans notre puzzle de jeunes adultes.
La vie privée et familiale a dessiné d’autres voies, mais j’ai eu l’immense plaisir d’engager une conversation sur des décennies avec celui qui allait être élu académicien le 24 Juin 1999 au fauteuil 22 succédant ainsi à Julien Green.
Je n’ai jamais osé lui téléphoner. C’est cet homme pétillant d’intelligence qui prenait l’initiative de nos conversations aussi intenses que remplies d’enseignements. Par son œuvre, René de Obaldia aura ému les publics des cinq continents. Par ses mots, il m’aura préservé des coups de dague que nous donne trop fréquemment l’existence. Je lui dois tant et son départ vers le champ de l’Espérance me laisse un goût de contact inachevé : comme si je n’avais pas tout écouté, tout entendu et tout compris de ses tendres leçons souriantes qui illuminent une frange de votre espace-temps d’alors.
René de Obaldia, qui savait bien évidemment que je n’étais pas resté au service de l’État se moquait régulièrement de l’énarque. Au demeurant, plusieurs pièces comportent de belles saillies à l’encontre des élitistes étatistes dont il aimait à tourner en dérision l’infatuation. Près de quarante ans après, je ne peux que me ranger à ses conclusions.
Je ne parviens pas à poser un mot sur notre belle relation. Incontestablement, il y avait de l’émotion mutuelle lorsque nous devions évoquer la Guerre de 1940. Il demeurait très marqué par son expérience de prisonnier en Silésie. De manière parallèle, l’émotion était là lorsqu’un souci de santé qualifiable de conséquent m’a rattrapé. Pour ce qui touche à cette période plus longue qu’envisagée, René de Obaldia m’a probablement évité de quitter la route. Je lis, ici ou là, qu’il aimait l’humour et qu’il était une sorte de « Roi René facétieux ». Pour ma part, j’atteste hic et nunc que ces facéties masquaient une densité lumineuse que je n’ai croisée que chez peu de personnes. Chez d’aucuns, le rire est une protection. Chez René de Obaldia, la vive malice était une sorte de main tendue vers l’Autre et ce fil rouge se retrouve dans ses textes. Tout ceci ressort de la sensibilité de l’auteur mais aussi d’une élégance formelle incontestable.
René de Obaldia donnait vie à des personnes, les couvrait de chair et d’esprit par son œuvre mais ne voulait en rien devenir un personnage. Certains sont heureux via les hochets du Pouvoir ou de la reconnaissance sociale, lui était un homme dont l’intelligence parfois stupéfiante et finalement insondable ne cherchait aucune forme de gloire, aucune reconnaissance ostentatoire.
Quand on a travaillé avec Jean Vilar, il y a des mesquineries du quotidien dont l’existence vous dispense. Quand une pièce comme « Le Satyre de la Villette » connait un succès mondial, l’auteur peut refermer son stylo en ayant regardé, une dernière fois, le miroir de ses angoisses enfin vaincues par la pleine satisfaction que lui témoigne le public.
Il n’entre pas dans mon idée de citer l’incroyable nombre de Prix qui ont été attribués à René de Obaldia : d’autres le feront bien mieux que moi.
En revanche, je dois reconnaître que plusieurs de ses œuvres ont retenu mon attention : cet auteur avait l’humilité d’un seigneur et le talent d’un fêlé, ceux qui laissent passer la lumière.
Après le décès de Diane, son épouse, en 2012 il avait un soupçon de rancœur car il était convaincu que cela devait être sa muse qui serait en situation de lui clore les yeux.
Homme et veuf courageux, nous avons continué de converser par l’intermédiaire de Jean Matthyssens qui a présidé de 1948 à 1988 la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques) et qui était un de ses très proches.
Je savoure encore ces échanges entre des messieurs d’un certain âge qui gardaient l’esprit aussi vert que clair. Oui, ce fût au travers de trois existences si complémentaires l’occasion d’un apprentissage. Tant de Matthyssens que de Obaldia je suis redevable et chaque mois qui s’écoule me démontre que l’intelligence du cœur peut se manifester avec cette douceur que les sentiments génèrent.
René de Obaldia a célébré ses 100 ans sur scène à Montmartre.
Dans 100 ans, j’ose espérer que de fins lecteurs se délecteront avec ses lignes et ses « Obaldiableries ».
Cela ne serait que justice pour un homme doté d’intelligences plurielles et d’une bonté singulière que j’ai tenté ici de vous décrire, à défaut d’avoir la puissance de vous l’expliciter in concreto.
« Presque tous les morts sont bons« , peut on lire dans « Les Richesses naturelles » in « La Traite des morts » (Julliard).
Connaissant sa bonté terrestre, nous pouvons formuler une évidence : la mort ne devrait pas altérer cette puissante qualité. Adieu Maître.
Jean-Yves Archer