Jacques Rueff est d’abord connu pour son plan d’assainissement financier qui permit au général de Gaulle en 1958 d’ouvrir la France à la concurrence. Gérard Minart consacre une biographie à cette personnalité de premier plan.
Les controverses entre néo-libéraux et néo-keynésiens ne cessent d’animer le débat économique. Gérard Minart, auteur de plusieurs ouvrages sur des économistes libéraux s’attèle dans ce livre à revisiter la vie et l’œuvre de Jacques Rueff (1896-1978), à mettre en avant les qualités reconnues de ce « libéral dans l’État » : rénovateur, visionnaire et acteur de la vie politique française, à la base de trois redressements français. En 1928, il restaure le franc avec Poincaré, stabilisant l’économie française. « Le fameux franc Poincaré, qui succède ainsi au franc germinal de Bonaparte, aurait pu aussi bien s’appeler – déjà ! – le franc Rueff » écrit Gérard Minart. En 1938, au côté de Paul Reynaud, il fait passer une quinzaine de décrets concernant tous les domaines de la politique financière et budgétaire. Son plan a pour effet de relancer l’emploi, de dynamiser les industries d’armement et d’aborder l’année 1939, celle de la déclaration de guerre, avec une économie et des finances assainies. Enfin, en 1958, il est le proche conseiller du Général de Gaulle avec qui il dresse une série de mesures pour assainir les finances publiques, stabiliser la monnaie (le nouveau franc) et provoque ainsi le « miracle français ».
Rueff peut être classé également parmi les personnalités qui ont participé activement à la construction européenne. Il préconisait la libre circulation en Europe des marchandises, des hommes et des capitaux, cette libre circulation était, selon lui, la condition nécessaire à un rapprochement des peuples européens et à une future coopération politique. Son libéralisme sera très proche de l’ordo-libéralisme allemand.
Le mécanisme des prix dont la fonction première est l’organisation de l’équilibre économique sera, dès la fin des années 1920, la pièce centrale de l’économie politique de Rueff. Telle est l’essence du régime libéral.
Gérard Minart donne un éclairage précis du socle de la pensée de l’économiste : importance du droit de propriété comme moteur de l’expansion économique ; nécessité de la liberté des prix sur des marchés libres, dans des sociétés libres ; impératif, dans la politique gouvernementale, de l’équilibre budgétaire et de la lutte contre le déficit « gangrène du corps social ». L’État peut intervenir dans la vie économique, entre autres pour des raisons sociales, mais à une condition indispensable : que cette intervention soit compatible avec le mécanisme des prix. Dans son étude publiée le 8 mai 1934 Rueff explique « Toutes les turpitudes de notre régime, j’en ai toujours trouvé la source dans des interventions de l’État. Les systèmes malthusiens donnent à leurs auteurs toutes les apparences de l’action généreuse, alors qu’ils organisent la misère et la ruine. » Il apparaît clairement que Jacques Rueff est bien l’anti-Keynes.
« Rueff sera un libéral au cœur de l’État » écrit Gérard Minart. « La matière économique est fluide pour Rueff et, en conséquence , elle est soumise au jeu du mécanisme des prix ». La matière économique est pâteuse pour Keynes et requiert l’intervention de l’État sur les structures pour être modifiée ». Deux types de société surgiront de l’opposition entre Rueff et Keynes que Minart analyse en mettant l’accent sur la conciliation de l’économie et du social chez Rueff. Le chapitre 12 qui décrit les « premiers affrontements entre les deux théoriciens », dégage la haute tenue et la qualité du « duel intellectuel » entre Keynes et Rueff loin du sectarisme et du dénigrement.
« Le libéralisme économique que prône Rueff n’était pas une doctrine hors sol, hors mouvement et hors réalité », souligne l’auteur, « mais au contraire un être vivant soumis à la loi d’évolution et qu’en conséquence il devait s’adapter pour épouser son temps… le choix de Rueff est celui du moderniste, du réformateur et du visionnaire, préférant selon la grande inspiration bergsonienne, le libéralisme « se faisant » au « libéralisme « tout-fait » » « Rueff d’hier et d’aujourd’hui » soutient Gérard Minart.
Pour beaucoup de libéraux et notamment des économistes allemands, Rueff reste un économiste actuel.
Jacques Rueff, un libéral français
Gérard Minart
Préface de Wolfgang Schaüble, ministre allemand des Finances
Odile Jacob, 2016
362 p. – 25,90 €