La France se trouve secouée régulièrement par d’intenses crises qui l’ébranlent profondément, et il souffle de plus en plus dans le pays un vent de révolution. Déjà, en 2009, Marc Lazar, professeur à Sciences Po, dans une chronique sur le site Slate nous disait : « Elles expriment la détestation des élites et l’aspiration à une rupture complète ». Et la situation n’a fait, depuis, qu’empirer. Il est donc temps de comprendre quel est le mal qui affecte notre pays et de formuler des propositions pour y remédier.
On se souvient qu’il y eut, en octobre 2018, « la crise des gilets jaunes » qui secoua profondément, pendant deux ans, toute la France, avec des épisodes extrêmement violents. Ils se plaignaient de leur faible pouvoir d’achat et de la désertification du territoire. On assista, chaque week-end, à des scènes de guérilla urbaine et l’on vit même des gilets jaunes tenter de saccager l’Arc de Triomphe, à Paris : ce jour là, il y eut 263 blessés, y compris un bon nombre de membres des forces de l’ordre. Un peu plus tard, le pays s’est trouvé à nouveau fortement ébranlé par le projet de réforme de notre régime des retraites : le gouvernement avait le projet, tout simplement, de faire passer l’âge du départ en retraite de 62 à 65 ans afin de mettre à l’équilibre notre système qui est basé sur la répartition. Cela a occasionné une levée de boucliers dans tout le pays, alors que cette mesure est passée partout ailleurs sans aucune difficulté : 65 ans dans les différents pays européens, et parfois plus, l’Italie en étant par exemple à 67 ans. Et l’on a assisté, plus récemment, à un épisode révolutionnaire : des opposants de gauche sont allés manifester devant le siège du parti du président, à Paris, conduits par un conseiller régional d’Ile de France (membre du LFI ) qui , écharpe tricolore en bandoulière, a entonné un refrain repris par toute la foule qui a scandé : « Louis XVI, on l’a décapité, Macron on peut recommencer ». On se met donc, comme en 1789, à avoir envie de couper des têtes : déjà un député de la Seine Saint-Denis, début février dernier, avait paradé sur son compte Twitter le pied posé sur un ballon de football figurant la tête du ministre du travail. Et, enfin, il y a eu fin juin dernier ces émeutes extrêmement violentes qui ont éclaté dans toutes les villes de France suite à la mort de Nahel, un jeune adolescent franco- algérien tué par des policiers suite à un refus d’obtempérer : on brûla des commissariats, des écoles, des casernes de pompiers…., et la maison d’un maire fut attaquée par une voiture bélier.
Le mécontentement est donc général et la côte de popularité du Président de la République a fortement baissé.
Pour tenter de redorer son blason, Emmanuel Macron a procédé à une mesure audacieuse : il a remplacé Elizabeth Borne, une femme politique d’expérience, qui remplissait sa tache à la tête du gouvernement avec beaucoup de conscience et d’abnégation, par un tout jeune premier ministre de 34 ans, en espérant que le dynamisme et la jeunesse de cette nouvelle figure apporteraient des éléments nouveaux en sa faveur dans le jeu politique.
Un pays dont l’économie est en perte de vitesse
Les Français ont donc bien le sentiment que le pays est en pleine décadence. Ils accusent leurs dirigeants d’incompétence et leur reprochent de ne pas être à l’écoute des aspirations populaires. Il y a un éloignement croissant entre les élites et la population. Il faut donc comprendre ce qui se passe. La cause fondamentale du désarroi des Français vient du fait que notre économie va mal : ce n’est pas, certes, l’unique raison, mais le manque de dynamisme de notre économie constitue le fond de tableau. L’économie de notre pays réalise depuis la fin des Trente Glorieuses de très mauvaises performances. C’est ce qu’a montré une étude publiée en 2018 par le service des statistiques des Nations Unies qui a examiné comment ont évolué sur une longue période les économies des pays. Nous indiquons, ci-dessous, les résultats de cette étude pour un certain nombre de pays européens, en réactualisant les données et en mettant en exergue le cas d’Israël qui est particulièrement exemplaire :
Tout au cours de cette période, c’est-à-dire depuis une quarantaine d’années, les performances économiques de notre pays ont été très mauvaises, bien inférieures à celles des autres pays européens : il eut fallu, pour le moins, que l’on en soit au multiplicateur 4,0, sinon 4,5, ce qui aurait permis à notre PIB de se trouver majoré de 20% à 25 % : et l’on en serait bien heureux. Du fait de ces très mauvaises performances, tous les clignotants de l’économie sont au rouge : un taux de chômage qui est depuis des années très supérieur à celui des autres pays européens, une balance du commerce extérieur continuellement déficitaire, des dépenses publiques extrêmement élevées ce qui a conduit à des prélèvements obligatoires records, et, du fait que le budget de la nation soit constamment déficitaire, le recours de l’État, chaque année, à de l’endettement. Ceci a conduit à une dette extérieure du pays qui dépasse maintenant le montant du PIB, et cet enchainement ne peut plus durer d’autant qu’avec la remontée des taux du crédit le coût de la dette pèse de plus en plus lourdement sur le budget de la nation.
On a vu ainsi, en signe d’avertissement, l’Agence de notation Fitch rétrogradé notre pays d’un cran, le faisant passer de AA à AA- ; déjà, il y a quelques années, cette agence avait fait passer la France de AAA à seulement AA.
Si l’on poursuit ainsi on ne va pas manquer de voir la France s’acheminer sur la voie de la Grèce. On se souvient de la très grave crise qu’a connue ce pays en 2009. Son endettement était devenu considérable et l’agence Fitch avait abaissé sa note en dessous de A : c’était la première fois qu’une telle dégradation survenait dans un pays européen. Il s’en suivit une panique en Europe. La Zone Euro fut jetée dans la tourmente et la « Troïka » FMI, BCE et Commission Européenne dut intervenir, et par trois fois.
On imposa à la Grèce des mesures drastiques au point qu’un gouvernement de gauche arriva au pouvoir, en 2015, qui voulut s’opposer à trop de meures d’austérité : le peuple ne les supportait plus.
Après six années de crise le PIB se trouva réduit d’un quart, et le taux de chômage monta jusqu’à 25 %. La Grèce se remit très difficilement de cette crise : il y eut plusieurs plans de sauvetage et le bilan social fut catastrophique.
Les remèdes proposés pour remédier aux difficultés de notre économie
Les remèdes proposés pour remédier à la situation dégradée dans laquelle se trouve notre économie varient selon le niveau d’instruction de la population..
Pour les classes populaires, la solution est toute simple : il faut prendre l’argent là où il est, c’est-à-dire taxer bien plus fortement les riches, et notre Président, d’ailleurs, est perçu comme le « Président des riches » du fait qu’en arrivant au pouvoir il a reformé l’impôt sur la fortune en limitant son assiette aux seuls biens immobiliers. Cette mesure intelligente visait à inciter les personnes disposant de moyens financiers à investir dans l’économie plutôt que dans l’immobilier : mais le sens de cette mesure n’a pas été compris dans les couches populaires. Aussi, pour faire face au mécontentement généralisé de la population notre ministre du budget a-t-il cru bon d’annoncer, récemment, le renforcement des contrôles fiscaux chez les « riches » : un contrôle fiscal aura donc lieu, chez ces contribuables, dorénavant tous les deux ans, et les peines en cas de fraude sont renforcées.
Pour les classes bourgeoises, et tout particulièrement chez les personnes qui estiment avoir des compétences en matière économique, le mal vient de trop de dépenses publiques : cela a conduit à une fiscalité qui est la plus lourde de tous les pays européens, et le poids de cette fiscalité asphyxie l’économie.
La cause de la stagnation de notre économie, ce sont des dépenses publiques excessives : la solution consiste donc à les réduire.
Il faut donc voir ce qu’il en est, réellement, de ces dépenses, et pour cela on doit les rapporter, ce qui n’est jamais fait, au nombre des habitants :
Ce que l’on constate, c’est que la France n’a pas des dépenses publiques, ou sociales, véritablement « anormales » : ce sont celles de pays économiquement très avancés. Certes, en les rapportant à notre PIB elles se situent à des niveaux particulièrement élevés : ce sont celles de pays qui ont des PIB/capita 50 % plus élevés que le notre. C’est notre PIB qui n’a pas crû au rythme voulu, et cela a conduit à ces taux records qui sont sans cesse critiqués. Le problème est que ces dépenses excessives ont contraint nos dirigeants à recourir, chaque année, à l’endettement, le pays ne produisant pas assez de richesse, ce qui fait que la dette extérieure du pays n’a pas cessé de croitre :
Anne de Guigné, dans le du 29 Mars 2023, nous rappelle les accroissements de dette imputables à nos différents Présidents :
Les dirigeants du pays ont tous eu recours à la dette comme si elle était un instrument normal de gouvernement, et ce mécanisme ne peut plus durer, d’autant que nos partenaires de la zone euro exigent que nous en venions le plus vite possible à respecter les règles de la zone euro : un déficit du budget inférieur à 3 % du PIB, et une dette en dessous de 60 % du PIB. Emmanuel Macron s’en était dégagé en les déclarant « d’un autre temps » : mais nos partenaires exigent que nous les respections.
La véritable cause du mal : l’effondrement de notre secteur industriel
Taxer davantage les riches comme le demandent les classes populaires n’est pas la bonne solution car nous en sommes déjà à des niveaux de fiscalité extrêmement élevés.
Et une économie a besoin de ses riches. Quant à réduire les dépenses publiques, c’est chose impossible : elles résultent de notre modèle social, un modèle qui est le produit du Conseil National de la Resistance. La population est très protégée dans le modèle social français, bien plus que dans le modèle anglo-saxon qui est libéral, et les Français n’admettraient certainement pas qu’on y touche.
La seule solution consiste donc à redresser le plus vite possible le niveau de notre PIB, et cela va être le rôle de notre industrie. Il y a urgence, et nos dirigeants ne paraissent pas l’avoir compris.
Nous avons montré, dans d’autres articles, la liaison très forte existant dans les pays entre le niveau de leur production industrielle et le PIB/capita des habitants. Il est curieux que nos dirigeants ne l’aient pas vu. La France avec une production industrielle faible (industrie plus construction : source BIRD) de 6.533 US$ par habitant a un PIB/capita de seulement 40.886 US$ ; l’Allemagne avec un ratio bien meilleur de 12.279 US$ a un PIB/capita de 48.718 US$, et la Suisse avec un chiffre record de 22.209 dollars en est à un PIB/capita de 93.259 dollars, le plus fort d’Europe. Notre secteur industriel (industrie, hors construction) ne concourt plus que pour 10 % à la formation du PIB, alors que ce taux devrait se situer pour le moins à 18 % ; l’Allemagne ou la Suisse en sont à 23% ou 24 %.
Deux graves erreurs de nos gouvernants :
Nos dirigeants ont commis deux graves erreurs :
Première erreur : ne pas avoir cherché à comprendre les raisons pour lesquelles notre PIB croissait moins vite que celui des pays voisins. Et il semblerait même qu’ils ne s’en soient pas aperçu ! En somme, quarante ans de cécité économique : c’est beaucoup !
Deuxième erreur : ne pas avoir expliqué au peuple que notre économie ne se développait pas à un rythme satisfaisant, et qu’il fallait par conséquent qu’il modère ses exigences en attendant que l’on puisse redresser la situation.
Par manque de clairvoyance, et/ou de courage politique, on a masqué la réalité aux Français, et le peuple a donc continué à manifester ses exigences comme si de rien n’était. Ce qui s’est passé, c’est que nos dirigeants ont mal interprété les résultats des travaux de Jean Fourastié qui avait publié, en 1949 « Le grand espoir du XXe siècle » (PUF, avec une préface d’André Siegfried ), un livre dans lequel il montrait comment évoluent les sociétés : c’est ce que l’on a appelé la « loi des trois secteurs de l’économie ». On passe du secteur primaire (l’agriculture) au secteur secondaire (l’industrie), puis, ensuite, du secteur secondaire au secteur tertiaire (les services).
Nos dirigeants se laissèrent aveugler par l’idée qu’une société moderne est une société où l’industrie a disparu, une société dite « post-industrielle » selon la formule lancée dangereusement par le sociologue Alain Tourraine, en 1969.
Ils n’ont pas compris que du fait du progrès technique, qui croit rapidement dans l’industrie, les effectifs du secteur secondaire, certes, s’amenuisent, mais, la valeur ajoutée par travailleur augmentant fortement, on voit ce secteur être toujours présent, représentant 20 % à 25 % du PIB. Nos dirigeants ont donc laissé filer notre industrie sans broncher. Les Français, de leur côté, ont continué à présenter assidument leurs revendications : « Toujours plus », comme l’avait montré en 1984 François de Closets dans son livre à succès paru chez Grasset. Toujours plus, pour davantage de pouvoir d’achat, pour une retraite à 60 ans avec des taux de pension élevés, pour davantage de policiers et de gendarmes, pour de meilleurs services d’urgence dans les hôpitaux, pour davantage d’infirmières et de soignants, pour davantage de juges et de greffiers, etc….. Et maintenant, avec la guerre en Ukraine, pour un urgent renforcement de nos forces armées.
Pour un programme volontariste de redressement
Emmanuel Macron, et il était temps, a finalement pris conscience de la nécessité de procéder à la réindustrialisation du pays : mais ce n’est que seulement par le hasard de la crise du Covid-19 qu’il a réalisé à quel point nous étions désindustrialisés. Le 11 Mai dernier, à l’Elysée, devant un parterre de ministres et d’industriels il a présenté sa feuille de route pour la réindustrialisation du pays. Il a annoncé des aides de l’ État sous forme de crédits d’impôts pour l’implantation d’ « industries vertes », la réduction de moitié des délais pour les procédures administratives concernant la création de nouvelles usines, l’aménagement de nombreux sites industriels « clés en mains », une pause de Bruxelles dans le domaine des normes environnementales, et le renforcement, à tous les niveaux, de nos moyens de formation professionnelle. Il avait débuté sa conférence en disant « La bataille de la réindustrialisation est clé sur le plan politique et géopolitique ». Il parait donc, maintenant, convaincu de la nécessité de réindustrialiser la France, et dans un déplacement à Dunkerque il a triomphalement annoncé la création de deux importants sites industriels pour des fabrications de batteries, l’un de 5,2 milliards d’euros, l’autre de 1,5 milliards.
Il aura fallu attendre son deuxième quinquennat pour qu’il découvre le mal dont souffre notre économie : comble de l’ironie, il avait été, précédemment, on s’en souvient : « Ministre de l’Economie ».
La France se met donc à l’ouvrage pour inverser la courbe du déclin de son économie, mais Emmanuel Macron n’a pas réellement pris la mesure du problème : le redressement de notre secteur industriel est une urgence absolue, car il est la clé du redressement de notre économie, et essentiel pour redonner aux Français l’espoir d’un avenir meilleur. Les mesures annoncées par notre Président sont loin d’être suffisantes. Nous avons montré, dans d’autres articles, que pour redresser notre situation il va falloir porter à 18 % la part de notre secteur industriel dans le PIB, et cela va nécessiter environ 350 milliards d’euros d’investissements dans le secteur industriel. Il faudrait, tant il est urgent de redresser la situation du pays, que ce programme d’investissement puisse s’effectuer en une période relativement courte, 10 ans tout au plus, soit un rythme de 35 milliards/an. Il nous faudra, pour y parvenir, une forte contribution d’investissements directs étrangers (IDE) car les entreprises françaises n’y suffiront pas. Et pour soutenir un tel rythme des aides gouvernementales bien plus importantes que celles annoncées vont être nécessaires. On doit s’attendre, évidemment, à ce que la Commission de Bruxelles s’y oppose : il faudra la convaincre qu’elles sont indispensables, faute de quoi notre pays, continuant à accroitre un peu plus chaque année sa dette extérieure va s’acheminer sur la voie de la Grèce ; et aucun de nos partenaires européens n’a intérêt à ce que l’on en arrive à cette extrémité.
Il faut donc espérer que la Commission de Bruxelles consentira, malgré l’acharnement qui est le sien à défendre sa doctrine, à laisser notre gouvernement libre d’agir. L’exemple de l’IRA du président Joe Biden devrait aider les hauts fonctionnaires européens à être plus réalistes.
Nous avons prévu qu’il faudra que les aides de l’État se montent à environ 150 milliards d’euros, des aides que l’on accorderait au prorata des emplois créés.
Les États-Unis, qui sont par définition un pays libéral, ont annoncé la somme de 370 milliards de dollars pour l’IRA : Joe Biden, le Président américain, avait prévu initialement d’appeler l’IRA le « Build Back Better Act ». Il s’agit bien de cela, dans l’esprit du président américain : « Reconstruire le pays » : de même, en France, il est grand temps d’avoir une loi pour « Reconstruire Mieux Notre Economie ». Il est urgent de reconstruire notre secteur industriel en ne se limitant pas aux seules industries vertes, comme c’est prévu actuellement dans le Plan France 2030. Il va donc s’agir de faire du « build back better » à la française ! Nous en avons bien besoin. Mais notre jeune et brillant premier ministre n’a rien dit en cette matière dans son discours de politique générale à l’Assemblée.
Claude Sicard,
Économiste,
Consultant international