La violente colère d’Emmanuel Macron contre un journaliste du Figaro, lundi soir à Beyrouth, Georges Malbrunot est révélatrice d’un malaise profond qui existe entre l’Elysée et les journalistes depuis le début du quinquennat. Cet incident pose la question de la marge de manœuvre de la presse présidentielle et diplomatique, notamment lors des voyages à l’étranger. Patrick Martin-Genier revient sur cet épisode.
Lors de son intervention lundi soir à Beyrouth, le chef de l’Etat s’en est pris d’une façon extraordinairement violente et devant tout le monde au journaliste du Figaro qui avait eu le tort de révéler une aparté d’environ huit minutes entre le chef de l’Etat et le chef de la fraction parlementaire du Hezbollah Mohamed Raad.
Un entretien de huit minutes avec le député d’une organisation classée terroriste
Mais quels sont les propos qui ont pu à ce point suscité le courroux du président ? Le journaliste révèle, dans son article du 31 août, les termes de cet entretien qui – au demeurant – n’ont pas été démentis au fond par le chef de l’Etat. Tout d’abord le titre est cinglant et sans appel : « Le pas de deux d’Emmanuel Macron avec le Hezbollah ».
Emmanuel Macron a, selon les écrits du journaliste, affirmé au responsable du Hezbollah : « je veux travailler avec vous pour changer le Liban (…) vous êtes libanais ou non ? ». Pourquoi de tels propos sont-ils aussi embarrassants pour le président de la République ? Tout simplement parce que le fait de s’adresser aussi directement et de cette façon à un acteur appartenant à un mouvement classé terroriste par la communauté internationale, notamment les Etats-Unis et l’Allemagne avec qui la France s’enorgueillit d’avoir des points de vue toujours convergents, comporte le risque de faire s’effondrer toute la stratégie mise en place au Liban et nuit à sa réputation internationale.
Le risque de provoquer la fureur d’Israël et des Etats-Unis
Ces propos mettent le président français en porte-à-faux avec Israël dont le Hezbollah veut toujours la destruction. On sait que le Liban est une des bases arrières de toutes ses opérations téléguidées soit depuis la Syrie, soit depuis l’Iran. Cela le place également en position de fragilité par rapport aux Etats-Unis et aux autres pays de l’Union européenne dont aucun n’est allé aussi loin que lui. En effet, les différents responsables politiques qui se sont succédé à Beyrouth se sont bien gardés de toute forme d’ingérence et d’immersion dans le monde politique libanais qui reste sans pitié, malgré des apparences de connivence entre les différents acteurs. Les Etats-Unis ont même mis en garde le Liban contre la tentation d’associer le Hezbollah à la reconstruction du pays.
La révélation des termes de cet entretien éclaire sous un nouveau jour la prise de position du chef du Hezbollah au Liban Hassan Nasrallah, qui a salué « la visite positive » du président de la République, se déclarant prêt à discuter du « pacte politique » suggéré par le chef de l’Etat et à travailler avec lui. De tels propos ont pu apparaître aussi surprenants qu’incompréhensibles. Il manquait une pièce au puzzle. Celle-ci a été apportée grâce au journaliste Georges Malbrunot. Avec cet article, on a enfin compris ce qui s’est tramé au soir du 6 août 2020 à la résidence des Pins, siège de l’ambassade de France à Beyrouth.
Aujourd’hui, faute de démentir les termes de l’entretien, il faut bien les assumer.
Que le chef de l’Etat n’ait pas mesuré les conséquences politiques que pourrait en tirer le Hezbollah est pour le moins étonnant. N’a-t-il pas envisagé un seul instant le risque d’instrumentalisation que comportait cette discussion quasi-officielle ?
Emmanuel Macron instrumentalisé
En effet, il n’en fallait pas plus au chef du Hezbollah pour enfoncer un coin entre la France, les Etats-Unis et de façon plus générale le monde occidental. Nasrallah cherchait depuis un certain temps un rééquilibrage des alliances, notamment vers l’Est et la Chine. Voilà qu’Emmanuel Macon lui sert cette alternative sur un plateau d’argent.
On comprend la fureur du chef de l’Etat qui s’est toutefois laissé entraîner dans une conversation qui à tout le moins aurait dû rester secrète si elle devait servir l’intérêt supérieur du Liban et la stratégie diplomatique française.
Cet épisode montre aussi les difficultés à exercer les fonctions de journaliste de la presse présidentielle et diplomatique. Un journaliste qui accompagne le chef de l’Etat dans un voyage officiel a-t-il le doit de tout rapporter ? Existe-il des dialogues qui devraient rester confidentiels, les fameux « off » (propos à ne pas diffuser) ?
La liberté de la presse en question
En réalité, la leçon de tout cela est que chacun doit rester à sa place. Si des propos ne doivent pas être rapportés, il ne faut pas les prononcer. Le journaliste fait son travail à partir du moment où il dit la vérité et vérifie ses sources. En l’espèce, le journaliste du Figaro était en prise directe avec le chef de l’Etat qui n’a pas démonté la teneur de l’entretien qu’il avait eu avec le chef de la branche politique du Hezbollah.
Après tout, la France et le monde ont le droit de savoir que le président français tient à asseoir à la table des négociations politiques qu’il a amorcées de sa propre autorité avec une personnalité du Hezbollah.
Tout doit se faire dans la transparence. C’est sans doute la révélation d’une stratégie qui n’a jamais été aussi clairement affichée qui a provoqué la violente diatribe du chef de l’Etat, même si la France a toujours souhaité écouter le point de vue de toutes les parties sans aller jusqu’à les inviter à la table des négociations.
Patrick Martin-Genier
Essayiste, chroniqueur presse écrite et spécialiste Europe, relations internationales et affaires publiques
Photo : James Chehab/Shutterstock.com