Historien militaire, Alexandre Wattin a servi au sein des forces françaises en Allemagne de 1980 à 1984 et de 1990 à 1995, périodes durant lesquelles il a été un témoin attentif et privilégié du processus de réunification allemande et du démantèlement de la NVA. Président de l’Observatoire des Relations franco-allemandes pour la construction européenne, il est également directeur du Centre des Hautes Etudes franco-allemandes pour l’Europe. La RPP a lu son dernier ouvrage L’armée de la RDA – Die Nationale Volksarmee.
Cet ouvrage, publié sous l’égide du Centre des Hautes Etudes franco-allemandes pour l’Europe et préfacé par Jean-Pierre Chevènement se propose, pour la première fois en langue française, de retracer l’histoire de l’armée de la RDA (NVA) de sa création en 1956 jusqu’à sa dissolution en 1990
Utilisant principalement des sources allemandes, Alexandre Wattin nous permet de comprendre comment cette force de 170 000 hommes, créée à partir d’éléments de la police et encadrée initialement par des instructeurs et des conseillers soviétiques, a été entrainée afin d’être positionnée et munitionnée pour être prête à être engagée militairement contre l’Otan sous 72 heures.
Débutant par un historique de la naissance de la RDA et des diverses crises de la première guerre froide – Blocus de Berlin 1948, émeutes 1953, l’auteur revient avec précision sur un point d’histoire particulier. Alors que la RDA adhère le 15 mai 1955 au pacte d’amitié et d’assistance mutuelle (pacte de Varsovie) organisant militairement les démocraties populaires ce n’est que le 18 janvier 1956 que la Chambre du Peuple de la RDA adopte la loi sur la création d’une armée et d’un ministère de la Défense, implanté à Strausberg dans la banlieue est de Berlin.
Mélange disparate de traditions diverses mêlant à la fois la tradition prussienne – pour le pas de l’oie – et celle des Brigades internationales, l’armée est-allemande est toutefois dans la réalité réglée sur le modèle soviétique.
Basé sur le volontariat, ce n’est que le 24 janvier 1962, face au manque d’enthousiasme des jeunes générations, qu’une nouvelle loi de défense instaure le service militaire obligatoire.
Entrant plus avant dans le rôle dévolu à la NVA, l’auteur démontre son imbrication totale dans le système idéologique de la RDA, avec plus de 90 % des officiers et 50 % des sous-officiers membres du SED. Il souligne aussi le rôle de troupes d’assaut dévolu à la NVA. Ainsi « composée de très nombreuses division d’infanterie d’assaut motorisées et blindées avec un effectif de 394 000 en temps de guerre, les forces terrestres de la NVA sont préparées à une guerre éclair et remarquablement entrainées pour combattre en ambiance nucléaire, biologique et chimique » (p.81). En cela l’engagement des forces de la NVA suit les thèmes imposés par l’Armée soviétique qui prévoient « une contre-offensive (ou offensive anticipée) contre une invasion supposée ou en préparation des troupes de l’Otan massées sur le territoire de l’Allemagne fédérale » (p.95). Ainsi d’après l’auteur, les forces de l’Otan et plus particulièrement celles présentent en RFA, auraient été incapables, dans un premier temps du moins, de se mobiliser et de s’opposer à une offensive des unités de la NVA.
Dans une approche novatrice, Alexandre Wattin nous propose un retour sur les mois et les semaines qui ont précédés la chute du régime de RDA et plus particulièrement sur la réaction des personnels de la NVA à ce bouleversement ce qui nous permet de mieux comprendre l’état d’esprit des officiers, des sous-officiers et des conscrits face au délitement du pays puis à leur rapide intégration au sein de l’Allemagne fédérale.
Les prémisses du mécontentement au sein de la NVA datent de 1985, avec une utilisation de plus en plus importante des conscrits à des tâches qui en fait relèvent de l’économie planifiée.
« Les soldats de la NVA servent aussi bien dans le bâtiment, dans l’industrie chimique, voire dans l’industrie cinématographique » (p.108). Revenant sur la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989, l’auteur note que dès le 10 novembre, Egon Krenz crée en urgence un « goupe de commandement opérationnel » et met en état d’alerte maximum deux unités d’élite, la 1ère division d’infanterie motorisée et le 40e régiment parachutiste pour éventuellement intervenir contre le peuple. Initiative qui n’obtiendra pas le soutien escompté. Au quotidien, toutefois la vie de l’armée suit son cours, discipline oblige. Mais les mesures de démocratisation sont en marche, touchent l’armée et suscitent l’inquiétude de l’État-major. Dès le 1er janvier 1990 une fronde des appelés se fait jours, et aboutira à des réformes qui permettront d’éviter le chaos.
Le 20 juillet 1990, les dernières recrues de la NVA prêtent un serment à la patrie qui exclut toute référence à la défense du socialisme.
La proposition de coexistence des deux armées allemandes de l’Ouest et de l’Est, présentée par Rainer Eppelmann, ministre du Désarmement et de la Défense de RDA, est rejetée par son homologue de l’Ouest Gerhard Stoltenberg. Le reste est une affaire de semaines qui conduisent au démembrement, puis à la transformation, sous la houlette du général Schönbohm – récemment décédé de ce qui fut l’une des armées les plus redoutables du pacte de Varsovie en une nouvelle entité de l’Otan.
A la veille du 30è anniversaire de la chute du Mur, Alexandre Wattin nous propose non seulement un récit historique sur la naissance, le développement et la mort de la NVA, mais aussi, et peut-être plus encore une réflexion, nourrit par les souvenirs des principaux personnages de l’armée allemande de l’Est, sur la fin d’une institution et d’un pays encore méconnue à ce jour.
L’armée de la RDA – Die Nationale Volksarmee, L’autre pilier du Pacte de Varsovie
Paris, SPM, 2019, 179 p.