Avec le « Désenchantement Américian », Hervé Pierre lance un réquisitoire contre une Amérique impérialiste dont le mythe de super puissance ne tient plus.
L’Amérique suscite incontestablement des sentiments contradictoires surfant entre fascination et indignation. Les contradictions sont-elles inhérentes à la réalité américaine ? Hervé Pierre se demande comment expliquer le passage de la dynamique d’une cause noble : la lutte des révolutionnaires américains contre l’oppression britannique au XVIIIe siècle et son glissement à « l’Empire malfaisant de Guantanamo du XXIe siècle ? »
Hier les États-Unis étaient le modèle, aujourd’hui nous assistons à une dégradation de leurs mœurs politiques et sociales : les écoutes intolérables des citoyens américains et celles visant le monde entier, des fusillades quasi-quotidiennes internes, des guerres contestables qui impliquent des destructions civiles sur le plan extérieur.
Le livre d’Hervé Pierre, fin connaisseur des États-Unis, diplômé de l’École nationale supérieure de police, de l’Université de Virginie, du FBI et du Police College de Royaume-Uni, dépeint avec lucidité l’évolution récente des États-Unis qui, selon lui, était en réalité en germe dès l’origine de ce pays.
Le mot désenchantement utilisé en titre signifie bien le sentiment du déclin de valeurs censées participer à l’unité harmonieuse de la société américaine. Après la Deuxième Guerre mondiale , le monde a voulu croire au rêve américain, le rêve de la poursuite du bonheur par le capitalisme. « L’Amérique triomphante des années 1950 a prétendu, et elle était authentiquement persuadée qu’elle le réaliserait pour tous les peuples, pour peu qu’on soit de son côté, obligatoirement le bon, puisque les Américains seraient vertueux de nature ! » écrit l’auteur. Ce rêve élevé au niveau d’un mythe, les Américains étaient persuadés de pouvoir l’exporter. Les illusions ne tarderont pas à surgir. Hervé Pierre explique largement les illusions sur la Constitution américaine qui n’assure plus la séparation des pouvoirs laissant les présidents libres d’agir contre les lois internationales. Il démontre comment l’économie est bâtie sur la seule force de l’endettement imposé au monde obligé de subir.
L’auteur offre par la suite au chapitre 6 une approche peu explorée à partir d’une série de questionnements : pourquoi les Américains se croient-ils exceptionnels ? Qu’est ce qui distingue l’exceptionnalisme américain de l’exception française ? Il rappelle pour ce faire que pour Jefferson les droits « self evident », c’est-à-dire naturels, étaient la vie, la liberté et la poursuite du bonheur. Que disent les Français ? Liberté, égalité, fraternité. Un seul terme commun : liberté. En analysant chacune de ces devises, l’auteur démontre que les Français pensent être guidés par une mission universelle exceptionnelle sur les autres, ce qui suppose de les fondre dans une masse pour l’accomplir, en oubliant l’individu. Les Américains, quant à eux, pensent que chaque citoyen américain est exceptionnel grâce à son régime politique qui permet de laisser toutes les formes d’individualités s’épanouir. La Nation américaine s’avère être exceptionnelle parce qu’elle cumule les exceptionnalités. Les Américains seraient-ils les seuls et uniques juges de ce qu’est le progrès de l’Homme ? Faut-il que celui-ci passe par leurs critères y compris ceux de l’économie de marché ultra-libéral ? La réponse se trouve au chapitre 7, Hervé Pierre tente de démontrer pourquoi les Américains ne sont pas si exceptionnels que cela, en développant la notion « d’Hubris impérial » dont sont atteints les États-Unis : c’est-à-dire l’excès, la démesure et l’orgueil.
Au total l’Amérique dispose aujourd’hui, malgré ses anciennes qualités républicaines, de peu de points forts pour continuer à exercer un magistère mondial soutient l’auteur. « Sa stratégie internationale est en panne, sans diplomatie sans résultats, ses ennemis ou concurrents sont partout, avec des apprentis terroristes qui rêvent déjà de recommencer le 11 septembre ». L’Amérique est hyperpuissante mais assiégée, lézardée, pas encore touchée mais surveillée de partout où l’on guette ses faux pas. Condamnée à l’emploi de la force, dont elle ne veut plus entendre parler cependant, si elle veut faire prévaloir un exceptionnalisme en lequel plus personne ne croit.
Après ce réquisitoire, il est compréhensible que l’auteur, dans un dernier chapitre, se défende d’anti-américanisme primaire. Dans cette veine, il émet le souhait que le désenchantement actuel soit l’occasion d’un sursaut moral et institutionnel susceptible de redonner à ce pays le leadership dont le monde a encore besoin.
Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage les orientations et réflexions bibliographiques nécessaires : presse, sites Internet, livres d’historiens et de philosophes, des références sur l’importance de la maçonnerie dans la jeune République, sur l’économie des États-Unis et des ouvrages qui analysent le passage d’une planète unipolaire à une autre multipolaire.
Hervé Pierre
L’Harmattan, 2016
254 p. – 25,50 €