L’essai de l’historien Ibrahim Tabet lui a été inspiré par la poussée de la violence au nom de la religion source d’une succession de tragédies au Proche-Orient et d’ actes terroristes au quatre coins du monde. Ces événements montrent les effets pervers du “retour du religieux” dans la sphère politique depuis le dernier quart du siècle dernier.
Les sphères politique et religieuse ont longtemps été indissociables que ce soit sous la forme d’une théologie civile dans l’Antiquité gréco-romaine ou sous celle de “l’augustinisme politique” qui évoquait une unité politique et religieuse de la société médiévale. C’est bien cette étroite intrication entre pouvoir spirituel et pouvoir temporel que la philosophie moderne a déliée progressivement : Machiavel, Hobbes et Spinoza y ont largement contribué. Pourtant dans nos sociétés sécularisées débarrassées de toute tutelle théologique, nous assistons actuellement à l’irruption du phénomène religieux dans l’espace public.
L’essai de l’historien Ibrahim Tabet lui a été inspiré par la poussée de la violence au nom de la religion source d’une succession de tragédies au Proche-Orient et d’ actes terroristes au quatre coins du monde. Ces événements montrent les effets pervers du “retour du religieux” dans la sphère politique depuis le dernier quart du siècle dernier. “Alors que, le monde semblait être sorti du religieux, la thèse du “désenchantement du monde” a fait place à celles de la “revanche de Dieu” voire du “choc des civilisations”, écrit-il.
L’auteur analyse les enjeux des rapports entre pouvoir religieux et pouvoir politique au sein de la chrétienté et de l’islam dans une perspective historique et critique. Son champ d’étude se limite à l’Europe et au Proche-Orient, berceau des trois monothéismes et accorde une plus grande importance relative à certaines périodes de l’histoire. Comme par exemple celle de la Réforme et des guerres de religion en Europe. Il traite successivement des interactions entre religion et politique ; de l’Europe chrétienne et postchrétienne, des rapports conflictuels entre l’Occident chrétien et l’islam, enfin de la religion musulmane, de la résurgence de la fracture entre chiites et sunnites au Proche-Orient. Il soulève des problématiques importantes : pourquoi la violence est-elle souvent liée au sacré ? Quelle influence l’islam a-t-il eu dans l’échec du monde arabe en termes de démocratie et de droits de l’homme ? Enfin quel système politique est-il le mieux à même d’assurer le vivre-ensemble à l’heure de la montée des crispations identitaires ?
Des idées fortes ressortent de l’essai : les religions monothéistes ont fait preuve dans leur histoire de plus d’intolérance et de fanatisme que l’Empire romain païen, ou les croyances indienne, chinoise et japonaise.
Dans la même veine, l’auteur rappelle que la violence n’est pas uniquement le fait du fanatisme religieux, elle est également le produit de certaines idéologies qui se veulent laïques, et qui ont été à la source des massacres et des génocides qui ont ponctué le XXe siècle. Dans le monde arabe, les massacres qui ont marqué la fin du XXe et le début du XXIe siècle ont été le fait d’un parti nationaliste, le Baas – dans ses deux composantes irakienne et syrienne –, qui se voulait laïc.
La religion, dont la raison d’être est de permettre aux hommes de vivre ensemble et en paix, devient source de violence lorsqu’elle est utilisée comme instrument politique de pouvoir pour satisfaire des projets de conquêtes comme cela a été longtemps le cas dans l’histoire ou qu’elle devient une référence identitaire divisant la société en groupes antagonistes. L’autre devient ainsi source de menace. Les exemples ne manquent pas dans l’histoire.
Cette division sur base de repère identitaire, l’Europe l’a connue au XVIIe siècle avec une “guerre de trente ans” qui a opposé des chrétiens, catholiques et protestants, de la Baltique à la Méditerranée. Le monde arabe en fait aujourd’hui l’expérience avec une nouvelle guerre de trente ans ! opposant cette fois musulmans sunnites et musulmans chiites, de l’Irak au Yémen.
Le Liban l’a connue au cours de sa guerre qui a commencé par opposer des chrétiens et des musulmans avant d’opposer des chrétiens entre eux et des musulmans entre eux.
Le livre d’Ibrahim Tabet est une riche synthèse qui analyse scrupuleusement les véritables problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés actuelles.
Parvenant au terme de l’ouvrage, le lecteur ne manquera pas de s’exclamer “ô Dieu que de crimes on commet en ton nom !”
Ibrahim Tabet
Le monothéisme, le pouvoir et la guerre – De la conversion de Constantin au jihad islamiste
Essai, L’Harmattan, 2015
352 p. – 36 €