Dans son ouvrage Le paradoxe du macronisme, Luc Rouban s’attache à décrypter ce qu’est réellement ce mouvement.
L’émergence à la présidence de la République en 2017 d’Emmanuel Macron, le plus jeune chef d’État depuis la création de la République française, continue de provoquer questionnements et débats. Plusieurs essais s’intéressent au sens politique de cette élection qui constitue une rupture du point de vue de l’équilibre des forces politiques. Les analystes et commentateurs se penchent sur la personnalité du chef d’État qui s’avère difficile à cerner, énigmatique, complexe, paradoxal, de droite et de gauche, philosophe et financier, théoricien et pragmatique ayant le sens des affaires visionnaire et réformateur, certains le qualifient même d’illusionniste.
Comment définir en réalité le macronisme ? Est-il un mirage ou l’expression d’une volonté de renouvellement du paysage politique français pour l’inscrire dans un nouveau monde innovant ?
Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), analyse la portée du « paradoxe du macronisme » sous l’angle d’un phénomène sociopolitique. Il focalise ses réflexions sur le sens même de l’innovation préconisée, les conditions de sa construction politique et de ses limites théoriques et pratiques. Son analyse s’appuie sur des enquêtes d’opinion de grande ampleur notamment sur l’enquête électorale française du Cevipof qui portait sur 25 000 enquêtés suivis entre 2015 et 2017. Il se fonde également sur ses propres enquêtes auprès de l’entourage présidentiel et de la nouvelle Assemblée nationale.
Que révèlent ces données ? Elles montrent d’abord que le choix du vote pour E. Macron est largement un choix par défaut : soit parce que les électeurs craignaient la victoire de M. Le Pen soit, surtout à gauche, parce qu’ils voulaient éviter un second tour qui aurait opposé F. Fillon à celle-ci.
Elles font ressortir également que dans l’électorat d’Emmanuel Macron du premier tour on trouve le plus d’électeurs indécis et des déçus du politique.
Luc Rouban démontre aussi que l’élection d’Emmanuel Macron ne peut pas être simplement étudiée comme l’avènement d’un centrisme à la fois de droite et de gauche. En réalité, explique-t-il, le macronisme repose idéologiquement sur la convergence de deux libéralismes : le libéralisme économique et le libéralisme sociétal, En ce sens, le macronisme n’est pas le centrisme représenté par le MoDem ou l’UDI et le clivage gauche-droite existe toujours, qu’il s’agisse du libéralisme économique ou du libéralisme sociétal.
Le macronisme voulait « se situer à l’articulation de deux grandes attentes politiques : la première est celle d’une participation élargie des citoyens à l’élaboration, à la mise en œuvre et au contrôle des décisions publiques, la seconde est la recherche d’un pouvoir exécutif fort ».
Le paradoxe souligné par Luc Rouban est que ce pouvoir, qui se veut horizontal, renforce en réalité la verticalité, crée de nouvelles oligarchies et accentue la fracture sociale.
La révolte des « gilets jaunes » révèle, en effet, une fracture profonde entre le président et la population, preuve d’une verticalité de l’exercice du pouvoir que les différentes crises gouvernementales n’ont cessé d’illustrer. Les manifestants revendiquent précisément de prendre part au processus politique hors des échéances électorales. Comment impliquer de nouveau les citoyens ? Le président le souhaite-t-il seulement ? se demande Luc Rouban.
Cette question d’ailleurs en appelle une autre. Le macronisme constitue-t-il un véritable rempart contre le populisme qui s’est imposé comme un élément central du débat politique car il exprime la question sociale du XXIe siècle ? L’auteur en doute. « Le macronisme va se déployer contre les populismes en adoptant une posture intellectuelle ambigüe, faisant appel à la société civile pour combattre le système » ajoutant que la base sociale du macronisme est étroite, car il s’adresse non pas à la France des riches mais à la France des gagnants.
Il ne permet nullement l’intégration des couches populaires dans le débat démocratique dont elles se séparent toujours un peu plus.
Il ne résout pas la fracture sociale béante qui nourrit les populismes et ne fait pas disparaitre le clivage gauche droite. En voulant faire populiste, il a finalement fait élitiste. Puiser dans la société civile et dans la véritable vie de l’économie l’a conduit à fermer comme jamais le recrutement social du personnel politique. La volonté de réinterpréter la Ve République dans le sens d’une recherche de l’efficacité et du résultat, fait du macronisme une « idéologie managériale étendue au politique ».
À travers le macronisme s’affirme une dualité politique, celle qui oppose un « pouvoir financier abstrait, désincarné, lointain, celui des chiffres et de l’économie, du raisonnement, fut-il philosophique, de l’autre celle du vécu et de la proximité physique, des pratiques professionnelles et des histoires locales, des affects et du ressenti. C’est en cela que le macronisme est un puissant révélateur politique », écrit le politologue.
L’ analyse et les réflexions socio-politiques de Luc Rouban, appuyées par des sources statistiques sérieuses et des graphiques significatifs donnent un éclairage utile à ce phénomène socio-politique.
Le paradoxe du macronisme
Luc Rouban
Les presses de Sciences Po, 2018
180 p. – 12 €