C’est une nouvelle donne que le résultat des élections législatives vient d’introduire : pour la première fois un Président de la République, tout juste réélu qui plus est, se trouve en situation d’empêchement démocratique. A la différence d’une cohabitation dont l’expérience a démontré qu’elle fixait mécaniquement des règles du jeu claires, le contexte post-électoral débouche sur une incertitude absolue dont notre revue avait été l’une des rares à envisager l’hypothèse voici quelques semaines déjà.
Sans fait majoritaire suffisamment explicite la Ve République ne peut opérer. La Constitution avait un caractère stabilisateur, elle permettait d’amortir et de traverser les épreuves depuis la fin de la guerre d’Algérie. Pour la première fois depuis 1958 elle n’est sans doute plus en mesure d’assumer ce rôle ; tout simplement parce que l’offre politique est débordée et fractionnée par toutes les anomies de la société française. Des lors les institutions sont collisionnées comme jamais par la défiance multiforme dont la relation au politique est l’objet. C’est cette réalité qui dimanche soir est advenue au grand jour : la crise de régime guette, tant la chambre impossible née du scrutin du 19 juin entrouvre sur des béances aussi incontrôlables qu’imprévisibles.
L’épée de Damoclès du vote majoritaire d’une motion de censure menace à tout moment le gouvernement.
L’agrégation des minorités inconciliables, si elle ne peut déboucher sur une alternative gouvernementale crédible, est en position néanmoins d’agir en négatif.
C’est un fait : la stabilité du gouvernement ne tient qu’a un fil, celui de l’opportunité du moment que les oppositions dispersées se choisiront pour renverser l’équipe gouvernementale de Madame Borne. Cette dernière est l’otage de la météo politique, et sans doute n’est-elle pas, comme l’a suggéré avec une science un peu trop visible de ses ambitions François Bayrou, la plus en capacité à affronter ce retour inattendu de la IVe République. Il faudra beaucoup d’habileté manœuvrière à la locataire de Matignon pour se départir des récifs inhérents à une mer parlementaire à nouveau fortement agitée. Ce d’autant plus que par leur vote les Français n’ont pas voulu, loin s’en faut, conférer au Président la plénitude des pouvoirs que la Ve lui octroie.
C’est aussi le mandat de cette Assemblée nationale que de contraindre l’exécutif à respecter la souveraineté et la délibération, la première au fondement de l’Etat-nation et la seconde au principe de la démocratie libérale.
Un scrutin qui de ce point de vue est peut-être beaucoup plus explicite que le résultat de la présidentielle deux mois plus tôt.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne