Pour la Revue Politique et Parlementaire, Michel Dray a interviewé l’écrivain algérien Boualem Sansal à l’occasion de la sortie de son dernier ouvrage Vivre – Le compte à rebours paru chez Gallimard.
Revue Politique et Parlementaire – Avec votre nouveau roman Vivre – Le compte à rebours on découvre un Sansal qu’on ne connaissait pas : un auteur de science-fiction. Vous y racontez la fin du monde et l’aventure d’une poignée d’hommes et de femmes, les Appelés, qui auraient la mission de désigner les Élus qui seront sauvés. Laissons au lecteur le soin de découvrir leurs aventures. Auriez-vous donc eu le besoin soudain d’opter pour ce genre littéraire comme moyen d’observer autrement le monde tel qu’il est aujourd’hui ?
Boualem Sansal – Dans mes romans je n’ai jamais parlé que de cela, la fin du monde, depuis Le Serment des Barbares jusqu’à 2084 et Abraham. La fin du monde est un invariant dans l’histoire humaine, il y a eu commencement, il y a aura fin, inévitable et irréversible, il faut s’y préparer dès la naissance, et tout au long de sa vie s’employer à trouver le moyen d’y échapper. Il n’y a rien de plus important à faire. Vivre, le compte à rebours est de cette veine, avec une fin inhabituelle. Elle ne vient pas de notre monde lui-même mais d’un monde par-delà l’espace et le temps.
L’homme, cet être périssable, ce terrien prisonnier de sa pauvre planète, a atteint ses limites, il n’a plus rien à attendre de lui-même, de la Terre et des croyances qu’il s’est inventées pour apaiser la peur de la mort et de l’ignorance qui le minent.
La solution, si solution il y a, viendra d’ailleurs et ailleurs c’est l’espace. Les progrès accomplis ces dernières années dans notre connaissance de l’univers, de la matière grâce à la révolution quantique qui se précise et à l’intelligence artificielle qui promet d’immenses bouleversements commencent à faire de nous ce que nous serons bientôt et qui est programmé de toute éternité : des extraterrestres dotés de pouvoirs surhumains. Il faut en urgence nous préparer psychologiquement à ce changement. L’immortalité sera un terrible choc pour l’être éphémère que nous sommes. Vivre n’est pas un livre de science-fiction, il est un récit précis de la mutation en cours. Le terrestre est mort, vive l’extraterrestre.
RPP – À vous lire, on devine un auteur inquiet, peu amène envers ses contemporains, un peu anarchiste quand vous critiquez les gouvernements, beaucoup Alceste quand vous écrivez. « aujourd’hui j’ai la haine féroce » et qui rappelle ce vers de Molière dans le Misanthrope « c’est n’estimer personne que d’estimer tout le monde » Êtes-vous un auteur désabusé ou bien un philosophe dubitatif ?
Boualem Sansal – Ni l’un ni l’autre, je ne mange pas de ce pain, je me veux optimiste, rassurant, fraternel, pleinement engagé, le problème n’est pas moi, c’est notre monde, il est réellement mal fichu, de plus en plus sinistre et radicalement porté au malheur. L’espoir est certes au programme de tous les marchands de soupe et de bimbeloteries, à commencer par les gouvernements mais comme une perspective théorique, une publicité débilitante pour ceux qui y croient, alors que notre quotidien est réellement et très irrémédiablement désespérant.
Cela dit, je pense que les lanceurs d’alerte et les philosophes engagés n’ont pas à être sympathiques avec les lecteurs, ils viennent les alerter, secouer les dormeurs et les engager à entrer hardiment dans la grande bataille pour la vie et la pérennité des espèces. Chercher à leur plaire c’est leur vouloir du mal et jouer le jeu de leurs oppresseurs.
RPP – Depuis l’essai Gouverner au nom d’Allah jusqu’au Train d’Erlingen en passant par Le serment des Barbares pour arriver à 2084, vous ne ménagez pas vos efforts pour alerter le monde des dangers de l’islamisme politique. Avec Vivre, vous abordez la question d’une façon plus subtile en vous posant la question de savoir si l’islam est un danger pour l’humanité ? Le pensez-vous vraiment ?
Boualem Sansal – Oui je confirme que l’islamisme est un terrible danger pour les sociétés, il les brise, les divise et dresse les uns contre les autres, ceux qui croient au ciel et ceux qui n’y croient pas, et se donne des idiots trompeurs qui œuvrent à le dédouaner et à culpabiliser ses victimes. C’est sa foi, il serait investi par Allah d’une mission messianique, apocalyptique, la victoire totale des fidèles sur les infidèles. C’est nouveau comme ordre de préséance, habituellement les fidèles sont les gentils et les infidèles les méchants. J
e crois de même que l’islam est fondamentalement nuisible, il dépossède l’humanité ce qui précisément la constitue et qui en fait un être d’exception, d’essence quasi divine, la liberté de conscience, l’esprit critique et le sens de la dérision et le transforme un islamiste malfaisant et pis, fait de Dieu un père fouettard borné.
Tarik Ramadan avait un jour proposé un moratoire sur la lapidation, qui serait selon lui un premier grand progrès, je le suis dans son merveilleux raisonnement et je propose un moratoire sur l’islam lui-même, le temps qu’on trouve le moyen de l’amender et de le mettre à hauteur d’homme et d’abord des femmes qui ne sont plus ce qu’elles ont toujours été, soumises, peureuses et ignorantes. La chose devrait être facile dans un pays comme la France où l’islam est encore bénin et coopératif. Pour le moment et après avoir longuement, minutieusement et honnêtement cherché, je n’ai pas trouvé un endroit au monde où l’islam a fait le bonheur des siens à la grande joie, voire l’envie, des peuples voisins. J’accepte naturellement qu’on dise que je me trompe et qu’on me reproche de ne pas avoir assez cherché, errare humanum est. Suivons la lumineuse idée de maître Ramadan et adoptons des moratoires dans tous les domaines riches en menaces pour l’humanité: l’ultra-libéralisme, le consumérisme, le wokisme, l’écriture inclusive, la mauvaise gouvernance, etc, etc.
RPP – J’en arrive tout naturellement à un des aspects omniprésents dans votre roman : la question de Dieu et que vous différenciez nettement de la question religieuse. Déjà dans Abraham ou La cinquième Alliance vous donnez de vous une image assez proche d’un homme en recherche mystique. Pensez-vous qu’être athée comme vous vous revendiquez de l’être soit conciliable avec une recherche incessante de spiritualité ?
Boualem Sansal – Les vrais chercheurs sont ceux qui n’ont rien, ni religion, ni foi, sur lesquelles se reposer et qui ne savent pas même quoi chercher, par quels chemins et quels moyens. Pour être franc, je ne sais pas ce que ces jolis mots Spiritualité et Vérité veulent dire. Existent-elles réellement ? Un chercheur qui trouve se condamne au chômage, à l’ennui, voire à la régression et devenir dangereux. Une méthode simple et sans risque pour s’instruire est de regarder les gens chercher ce que déjà ils savent nommer, et qu’ils croient par avance, voire par principe être vrai et indispensable, et voir jusqu’où ils peuvent aller dans leur démarche. Si on s’était intéressé à temps aux recherches des islamistes, on aurait évité bien des souffrances à l’humanité, on les aurait déradicalisés, et mieux stérilisés.
RPP – Vivre est, on l’aura compris, est une allégorie, presque même un conte où l’humour ravageur qui est le vôtre n’est jamais très loin. Vous vous attaquez férocement au wokisme, à la dérive de l’université, à la manipulation idéologique de l’écologie, aux travers du transhumanisme pour ne citer que ces dysfonctionnements. Considérez-vous le wokisme et ses produits dérivés idéologiques comme un effet de mode ou au contraire un totalitarisme qu’il nous faut prendre très au sérieux ?
Boualem Sansal – Rien de nouveau sous le soleil, ces maladies sont vieilles comme le monde. Les grandes civilisations sont toutes mortes de ces maladies.
Rome est morte du wokisme elle est tombée quand elle a ouvert ses portes aux barbares de Gengis Khan.
Comme la peste et le choléra, ces maladies n’ont jamais cessé de ravager le monde et de rabaisser l’humanité. Leurs noms changent mais leur effet est le même. Le drame est qu’on n’arrivera jamais à les éradiquer, il faut donc sans cesse s’occuper à renforcer nos systèmes immunitaires et apprendre à toujours agir à temps. Une fois mort, le médicament ne sert à rien.
RPP – Quel message entendez-vous donner à vos lecteurs avec ce nouveau roman ?
Boualem Sansal – Moi, je raconte des histoires, dont je ne connais pas moi-même toutes les subtilités. C’est à eux de voir ce qu’ils peuvent ou veulent en tirer. Si j’ai un conseil à leur donner c’est d’écrire eux-mêmes leurs histoires car personne ne les connaît mieux qu’eux. L’écriture est un formidable outil de recherche, meilleur que la lecture qui comporte le risque de nous faire contracter une autre terrible maladie, la paresse intellectuelle. Lire est une dépense légère, une vingtaine d’euros pour acquérir le livre (qu’on peut emprunter à la bibliothèque) et autant en heures de lecture tranquille. Écrire est une dépense lourde, des mois de travail intense solitaire stressant et des budgets conséquents en recherche documentaire, sans compter l’angoisse épuisante de l’échec en bout de chaine. Lire, écrire et compter voilà la base du succès.
Boualem Sansal
Ecrivain
Membre du Comité scientifique de la Revue Politique et Parlementaire
Propos recueillis par Michel Dray