Le 21 novembre 2017, la Fondation « Res Publica » présidée par Jean-Pierre Chevènement, organisait un hommage à Max Gallo, décédé le 18 juillet dernier, intitulé : « Max Gallo, la fierté d’être français ». A cette occasion furent abordés nombre d’aspects de l’œuvre de ce biographe prolifique à la puissance de travail hors du commun, qui sut, tout au long de sa vie, fidéliser un lectorat populaire avide de culture et d’histoire.
Mais au-delà de l’œuvre et des idées, ce fut également l’occasion pour les intervenants, tous des amis très proches, de parler d’un homme généreux et fidèle, sensible et attachant, fraternel et bon vivant. Regis Debray, Philippe Meyer, Jean-Claude Casanova, Stéphane Rozès et Jean-Pierre Chevènement prirent successivement la parole. Hélène Carrère d’Encausse, empêchée, fit lire une très belle lettre confraternelle et amicale par un membre de l’association des professeurs d’histoire et de géographie, tandis que Gilles Kepel, en déplacement, avait enregistré auparavant un chaleureux hommage empreint d’une grande délicatesse et d’une forte charge émotive, articulé autour des six titres de chapitre en latin des « Mémoires d’Hadrien » depuis « Animula vagula blandula » jusqu’à « Patientia ».
Max Gallo était d’abord pour Régis Debray ce fils de prolétaires italiens, pudique et mystérieux à la trajectoire déconcertante. Alors qu’aujourd’hui pour beaucoup la France est un problème, une étrangeté à interroger, pour l’auteur de « la Baie des anges » c’était une personne à animer avec des citoyens et non une technostructure à gérer. Max Gallo n’était pas seulement fier d’être français, formule avec laquelle Regis Debray avoue avoir un problème ; après tout, la plupart d’entre nous l’étant par naissance, ne sommes pas responsables de notre état ; mais lui « a fait France » de par ses qualités et son parcours hors normes : l’existence vaut plus que l’essence.
Max la tornade, entonne d’emblée Philippe Meyer ; il faut souligner d’entrée de jeu cette fraternité entre niçois, ville qui sut si bien jusque dans un passé récent, avant de se transformer en paradis pour anciens Kgbistes reconvertis en milliardaires, susciter cet attachement indéfectible et si particulier de ses natifs ; on n’aime pas sa Patrie si l’on ne connaît pas et n’aime pas sa petite patrie. Max aimait Nice, l’Italie et la cuisine italienne ainsi que chanter, faux d’ailleurs, ajoute avec une indulgente tendresse Philippe Meyer qui relate leurs nombreux et incertains duos dans Bella Ciao ; et d’ajouter malicieusement qu’avec les femmes il a mis du temps et procédé par erreurs et essais successifs avant de rencontrer Marielle. Il était la liberté dans l’engagement et l’engagement dans la liberté ; qu’aurait-il été sans les excès ? excès de travail pour ses livres, pour la préparation de ses émissions (L’Esprit public) où il arrivait avec de nombreuses fiches et où il se serait senti déshonoré s’il avait eu le sentiment de n’avoir pas été à la hauteur. Il avait l’art de la conversation et aimait les gens, son public, « en gros, pas en détail ».
En politique, son expérience de Porte-parole du gouvernement fût plus qu’un choc, un traumatisme.
Il y découvrît la grande lâcheté du personnel politique et la servilité volontaire ; et de citer l’épisode de la réhabilitation par François Mitterrand des généraux félons d’Algérie alors que, disait-il, les postiers niçois grévistes en 1953, venaient chaque jour lui dire qu’eux n’avaient pu bénéficier d’une telle mansuétude. Doit-on ajouter qu’il y fît également l’expérience du courage physique lors de sa campagne municipale à Nice, lorsque sa voiture fût sabotée avec l’intention probable de l’envoyer dans le décor et d’attenter à sa vie. Il était un patriote républicain et ce qui l’intéressait en tant que biographe de grandes figures historiques (Garibaldi, Jaurès ou Napoléon) c’était l’authenticité de la personne et la construction de son unité.
Jean-Claude Casanova qui a connu Max Gallo à l’Express et à « L’Esprit public » n’aime pas trop lui non plus cette expression « fier d’être français ». Max possédait selon lui les deux vertus latines que sont la lucidité et la fidélité. Pour les latins, par nature méfiants, la parole n’est qu’un moyen pour parvenir à une fin. Pour l’ancien président de la Fondation nationale des sciences politiques, Max Gallo avait « la joie mélancolique » ; il était un homme naturel, contrairement à « l’homme artificiel » qui se construit une identité. Il avait su se tenir à bonne distance de deux passions, celle de gauche, le ressentiment, et celle de droite, la peur. Il craignait les effondrements mais ne cédait pas à la panique. Il admirait Jaurès et préférait la hauteur, la grandeur et même la raideur du Général de Gaulle à la personnalité d’un François Mitterrand. Il était fidèle. Son amour de la patrie fût au cœur des vingt cinq dernières années de sa vie ; être patriote était, pensait-il, nécessaire à la survie de la collectivité. Il y eut enfin son retour à la religion, après la mort tragique de sa fille, parce qu’il jugeait nécessaire de dépasser la vie par quelque chose de plus élevé.
Fier d’être français ; il fallait bien que quelqu’un monte sur le ring pour le dire, selon Stéphane Rozès, qui rappelle le titre de l’ouvrage de Max Gallo de 2006 ; la France était pour lui un bloc avec un héritage mais sans testament. Il pensait que la question nationale est indissociablement liée à la question sociale. Il s’était par ailleurs intéressé à la « dynamique Macron ». Pour Max, la France est d’abord une idée ; les Français ne se comprennent pas eux-mêmes ; le rapport à l’Etat, à la langue, à la centralité, à la religion, l’immigré italien lui, le voit immédiatement et appréhende ce qu’est la France. De même avait-il compris ce qu’était l’aristocratie ouvrière et les origines du vote en faveur du Front national ; Max avait très vite intégré que si l’on retire à la classe ouvrière sa fierté, elle la remplacerait par la fierté d’être français. La mémoire nationale reste dans la Nation et beaucoup moins au sommet de l’Etat où l’on raisonne en termes économiques.
Pour Max Gallo, la France dépasse les Français et lorsque les Français ne sont pas à la hauteur ce sont les étrangers qui le leur rappellent.
Vint le temps de la conclusion par Jean-Pierre Chevènement pour qui Max Gallo avait vu dans la trajectoire de François Mitterrand, de la droite vers la gauche, la trajectoire de l’ambition et non celle de la rédemption. La France était pour Max Gallo une mère adoptée plus qu’une mère adoptive. Il aurait pu être un grand homme politique car il en avait toutes les qualités : prestance, talent d’orateur, charisme, culture. Premier président du « Mouvement des citoyens », il fût député de 1981 à 1983, ministre jusqu’en 1984, puis député européen de 1989 à 1995. En 2007, Max Gallo accorda son soutien à Nicolas Sarkozy ce que le fondateur du CERES n’approuva ni ne désapprouva. Il fut néanmoins comme une sorte de grand instituteur national répondant à la déconstruction méthodique du récit national par des élites soucieuses de ringardiser la Nation et d’imposer un patriotisme constitutionnel à la Habermas. Et de rappeler la vision de Michelet d’une France conçue comme une personne, loin de l’idée d’une France dont le passé serait soluble dans « une histoire mondiale ». Max Gallo refusait la repentance et préférait la lucidité. Son « Napoléon » lui valut un procès d’associations communautaristes. Il considérait que, depuis 1918, la France était entrée dans une crise de longue durée mais attendait la surprise, qui est la loi de l’histoire. Les Français ne sont pas à la hauteur mais de grands hommes peuvent apparaître. Il opposait la dimension sacrificielle du patriotisme gaullien à la trajectoire individuelle de Napoléon dont il reconnaissait qu’il incarnait dans certains domaines les idées de la Révolution française. Pour lui la gauche ne devait pas être le ressentiment mais l’ouverture et la générosité. Avec « La Fontaine des Innocents », il se plut à décrire une sorte de « Comédie Humaine » de la fin du XXème siècle. Il consacra enfin plusieurs de ses derniers livres (Saint Martin, Clovis, Bernard de Clairvaux) à la christianisation de la France, laquelle, quoi qu’en disent certains, existait avant 1789. Façon de rappeler que quelque chose surplombe nos vies, pensait ce grand communiquant, généreux, sensible et tourmenté.
L’émotion était forte ; sur la suggestion de Philippe Meyer, la salle entonna un timide Bella Ciao, dans un ultime hommage qui, en dépit de quelques larmes furtivement essuyées sur certains visages, se voulait joyeux.
Alain Meininger
Photo : Wikimedia Commons