Le projet de loi de protection de la nation avait été annoncé par le président de la République lors du Congrès du Parlement réuni à Versailles le 16 novembre 2015, deux jours après les attentats ayant frappé la France et tué 130 personnes.
Il comprend deux articles relatifs, d’une part, à l’état d’urgence et, d’autre part, à la déchéance de nationalité de binationaux nés français qui ont été condamnés pour des crimes très graves. Le président de la République et le Gouvernement ont décidé de suivre l’avis rendu par le Conseil d’État.
L’article 1er érige dans la Constitution l’état d’urgence dont le régime était fixé par une loi ordinaire. La loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence faisait suite à l’insurrection menée par le Front de libération nationale (FLN) algérien et à une série d’attentats, perpétrés dès novembre 1954, la Toussaint sanglante.
Le Gouvernement considère que les conditions de déclenchement de l’état d’urgence ne pourront ainsi plus être aisément modifiées. D’autre part, la constitutionnalisation de l’état d’urgence permettra aux forces de l’ordre de disposer de moyens renouvelés pour prévenir les atteintes à l’ordre public.
L’état d’urgence est déclaré en Conseil des ministres. Des mesures de polices administratives nouvelles pourront être prises, comme des retenues administratives pendant les perquisitions ou comme des contrôles d’identité sans justifier de circonstances particulières. Ces mesures ne pourront être privatives de liberté. Elles seront placées sous le plein contrôle du juge administratif.
La prorogation de l’état d’urgence au-delà de douze jours ne peut être autorisée que par la loi qui en fixe la durée.
L’article 2 du projet de loi initial vise à permettre la déchéance de nationalité pour les binationaux nés Français. Cette mesure vise à sanctionner les auteurs des seuls crimes les plus graves, à l’exception de tout délit. Les règles qui leur seront applicables sont ainsi rapprochées de celles actuellement en vigueur pour les binationaux devenus Français. À la suite de la révision constitutionnelle, une loi ordinaire sera nécessaire pour fixer les modalités d’application de ces dispositions, notamment la liste des crimes pouvant conduire, en cas de condamnation, à la déchéance de nationalité.
Le projet de loi constitutionnelle de protection de la nation en débat à l’Assemblée nationale
Rapporteur à l’Assemblée nationale : M. Dominique Raimbourg (SRC, Loire-Atlantique).
Il convient de rappeler que conformément à l’article 42 de la Constitution « la discussion en séance des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la Sécurité sociale porte, en première lecture devant la première assemblée saisie, sur le texte présenté par le Gouvernement et, pour les autres lectures, sur le texte transmis par l’autre assemblée ».
La commission des lois a adopté un amendement du rapporteur sur la réunion de plein droit du Parlement. Elle a aussi adopté un amendement de Mme Marie-Françoise Bechtel (SRC, Aisne) ayant pour objet de préciser que « la loi prévoit les conditions dans lesquelles le Parlement exerce un contrôle de mise en œuvre des mesures résultant de l’état d’urgence. »
Mme Cécile Duflot (Écologiste, Paris), MM. Noël Mamère (Écologiste, Gironde), Paul Molac (Écologiste, Morbihan) et Sergio Coronado (Écologiste, Français établis à l’étranger) ont considéré « anormal de procéder à une constitutionnalisation de l’état d’urgence alors que nous sommes en état d’urgence ».
M. Alain Tourret (RRDP, Calvados) a déposé un amendement d’abrogation de l’article 16 de la Constitution.
M. Jean-Frédéric Poisson (LR, Yvelines) a fait valoir que « la constitutionnalisation de l’état d’urgence, à tout le moins dans sa rédaction actuelle, emporte une restriction très importante des libertés publiques ». Celui-ci a proposé par ailleurs d’inscrire dans la Constitution les racines chrétiennes de la France.
Un amendement de MM. Roger-Gérard Schwartzenberg (RRDP, Val-de-Marne) et Alain Tourret (RRDP, Calvados) tendait à préciser qu’« il peut être mis fin à l’état d’urgence par décret en Conseil des ministres avant l’expiration du délai prévu par la loi le prorogeant ».
La commission a adopté une nouvelle rédaction de l’article 2 proposée par le Gouvernement et ne précisant plus que la déchéance de nationalité ne peut s’appliquer qu’à des personnes ayant également une autre nationalité. Un amendement de suppression de l’article avait été déposé par MM. Jean-Marc Germain (SRC, Hauts-de-Seine), François Lamy (SRC, Essonne) et Christian Assaf (SRC, Hérault). Ceux-ci ont considéré que la mesure initiale introduisait dans la Constitution une rupture d’égalité en distinguant deux catégories de Français. Ils ont en revanche proposé une peine d’indignité nationale s’appliquant sans distinction à tous ceux qui prennent les armes contre leur pays et les privant de certains droits qu’ils soient civils, civiques, politiques, familiaux, d’accès à la fonction publique.
Mmes Barbara Pompili (Somme) et Cécile Duflot (Paris), MM. Paul Molac (Morbihan), Sergio Coronado (Français établis à l’étranger) et Noël Mamère (Gironde), Écologistes, ont eux aussi déposé un amendement de suppression de l’article car celui-ci « divise la nation ».
Mme N. Kosciusko-Morizet (LR, Essonne) et M. Édouard Philippe (LR, Seine-Maritime ont déposé un amendement de suppression car « il ne faut pas créer deux catégories de Français. Il ne faut pas mener une politique de gribouille aboutissant à diviser les Français alors que l’unité doit être préservée dans la lutte contre le terrorisme. Qu’ils soient binationaux ou uninationaux, la même peine doit être appliquée à tous les Français condamnés pour terrorisme. »
Mme Marie-Françoise Bechtel (SRC, Aisne) a proposé d’étendre la déchéance de nationalité, binationaux ou non, condamné pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation, car « l’atteinte à l’égalité de traitement entre Français selon l’origine de leur nationalité est à la fois incompréhensible et inéquitable. Si un crime mérite la déchéance, alors il la mérite toujours. »
M. Olivier Faure (SRC, Seine-et-Marne) a déposé un amendement relatif à une peine de déchéance nationale et M. Yann Galut un amendement relatif à une peine d’indignité nationale.
En séance publique onze amendements de suppression de l’article 1er ont été déposés et rejetés. M. André Chassaigne (GDR, Puy-de-Dôme) a déclaré que l’article n’apportait aucune garantie contre les abus et les dérives liberticides.
Un amendement de M. D. Raimbourg (SRC, Loire-Atlantique) tendant à préciser que l’état d’urgence est décrété, au lieu d’être déclaré, en Conseil des ministres a été adopté.
A été adopté contre l’avis du Gouvernement un amendement de M. Sébastien Denaja (SRC, Hérault) : « Pendant toute la durée de l’état d’urgence, le Parlement se réunit de plein droit et l’Assemblée nationale ne peut être dissoute. »
L’Assemblée nationale a adopté le 9 février 2016 un amendement rectifié du rapporteur selon lequel « les règlements des assemblées prévoient les conditions dans lesquelles le Parlement contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence. »
L’article 1er a été adopté le 8 février 2016 par 103 voix contre 26.
M. Manuel Valls, Premier ministre, a demandé une nouvelle délibération de l’article 1er afin que soient supprimées les dispositions issues d’un amendement de M. Sebastien Denaja visant à empêcher la dissolution de l’Assemblée nationale en période d’état d’urgence. « Restons sur les sujets qui concernent cette révision constitutionnelle » a-t-il déclaré après que les députés du groupe Les Républicains eurent menacé de voter contre le projet de loi constitutionnelle ainsi modifié. L’article premier a été adopté en seconde délibération par 116 voix contre 19.
Le nouveau Garde des Sceaux, M. Jean-Jacques Urvoas, a déclaré que l’insertion de ces dispositions dans la Constitution n’était pas souhaitable, que cette mesure n’était pas souhaitable. « Il convient de respecter dans la Constitution une gradation entre les régimes de crise. En effet, à la différence de la situation de crise permettant de déclencher l’article 16, l’état d’urgence n’entraîne aucune interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Le régime constitutionnel de la Ve République repose sur un équilibre entre la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement et le pouvoir de dissolution conféré au président de la République. Dès lors, rendre impossible toute dissolution alors même que la possibilité de censure du Gouvernement demeurerait possible et que simultanément le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ne serait pas interrompu pose problème. Nous devons maintenir l’équilibre voulu en 1958 entre les pouvoirs exécutif et législatif. »
S’agissant de l’article 2, M Manuel Valls a rappelé qu’il avait proposé, au nom du Gouvernement et avec l’accord du président de la République, une nouvelle rédaction à la commission des lois, qui l’a adoptée, pour tenir compte des éléments du débat. « Nous avons donc proposé que la loi fixe les règles concernant la nationalité […] les conditions dans lesquelles une personne peut être déchue de la nationalité française, ou des droits attachés à celle-ci, lorsqu’elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation. Le texte initial du Gouvernement transmis au Conseil d’État comportait la mention des crimes ; puis, comme proposé par l’opposition, la mention des délits a été rétablie car l’on peut être condamné aussi pour des délits de terrorisme. […] Nous procédons déjà à des déchéances de la nationalité de binationaux ayant acquis la nationalité française et condamnés non pour des crimes, mais pour des délits de terrorisme, a-t-il, indiqué. Nous avons considéré qu’il s’agissait là d’une rupture d’égalité […].
Le Premier ministre a déclaré que le Gouvernement avait « entendu les arguments invoquant une éventuelle rupture d’égalité entre les plurinationaux et les mononationaux. Cet article 2 a donc évolué […]. Les binationaux ne sont plus mentionnés dans la Constitution et, le Gouvernement ayant affirmé une volonté d’unification et de cohérence : les mêmes délits et les mêmes crimes sont prévus pour tous. […]. » Mais il a mis en garde les députés « tout amendement qui réécrirait l’article 2, qui reviendrait sur l’idée de déchéance partielle ou viserait à la mise en place d’une peine d’indignité nationale […] remet en cause l’engagement du président de la République pris devant le peuple français dans le cadre du Congrès de Versailles. ».
34 amendements de suppression de l’article 2 ont été déposés dont ceux de Mme Cécile Duflot (Écologiste, Paris), Noël Mamère (Écologiste, Gironde) et de Mme Barbara Pompili (Écologiste, Somme), ainsi que ceux de MM. Benoît Hamon (SRC, Yvelines), Pouria Amirshahi (SRC, Français établis hors de France), Pascal Cherki (SRC, Paris) et Christian Paul (SRC, Nièvre). Les amendements de suppression ont été discutés et rejetés le 9 février 2016 par 176 voix contre 118 et 23 abstentions : 60 députés SRC ont voté pour la suppression, 132 contre et 17 se sont abstenus alors que 30 députés LR ont voté pour et 33 contre. 14 députés Écologistes ont voté pour la suppression et un contre, M. François de Rugy (Loire-Atlantique).
L’Assemblée nationale a ensuite rejeté de nombreux amendements relatifs à la déchéance de citoyenneté. Elle a adopté à main levée un amendement du gouvernement adopté en commission tendant à supprimer la référence aux binationaux. L’article 2 a été adopté au scrutin public par 162 voix contre 148 et 22 abstentions.
Adoption en première lecture de l’ensemble du projet de loi constitutionnelle le 10 février 2016 par 317 voix pour, 199 voix contre et 51 abstentions.
165 députés membres du groupe SRC ont voté pour et 83 contre, dont M. Benoît Hamon et Mme Aurélie Filipetti, des députés socialistes « frondeurs », d’autres proches de Mme Martine Aubry ainsi que Mme Laurence Dumont (Calvados), Vice-présidente de l’Assemblée nationale et Mme Catherine Lemorton, Présidente de la commission des affaires sociales. 36 se sont abstenus dont Mme Delphine Batho (Deux-Sèvres), M. Patrick Bloche, Président de la commission des affaires culturelles, Mme Sandrine Mazetier, Vice-présidente de l’Assemblée nationale, M. Bernard Roman, Prelier questeur et M. Michel Vauzelle.
25 députés UDI ont voté pour et 4 contre, MM. Yves Jégo (Seine-et-Marne), Bertrand Pancher (Meuse), Michel Piron (Maine-et-Loire) et Arnaud Richard (Yvelines).
10 députés radicaux (RRDP) ont voté pour et 5 contre et 3 se sont abstenus dont le Président du groupe M. Roger-Gérard Schwartzenberg (Val-de-Marne).
13 députés Écologistes ont voté contre, 4 pour, MM. Denis Baupin (Paris), François-Michel Lambert (Bouches-du-Rhône), Mme Barbara Pompili (Somme) et M. François de Rugy (Loire-Atlantique).
12 députés du groupe GDR, Front de gauche, ont voté contre, 1 a voté pour, M. Bruno-Nestor Azerot, ultramarin, et 2 se sont abstenus MM. Marc Dolez (Nord) et Gabriel Serville (Guyane).
En ce qui concerne le groupe Les Républicains les partisans de M. Nicolas Sarkozy étaient favorables à la révision de la Constitution et ceux de M. François Fillon étaient contre. Or, 11 députés du groupe ont voté pour, dont le Président Christian Jacob, et 74 contre, dont M. François Fillon, et 8 se sont abstenus.
Au Premier ministre, auquel il a reproché « d’avoir posé les conditions d’un débat cacophonique » M. Christian Jacob a lancé : « La confusion que vous récoltez, c’est celle que François Hollande et vous-même avez semée. Sans modification de ce projet de loi constitutionnelle par la majorité sénatoriale, il pourrait même devenir plus difficile de déchoir de la nationalité après votre réforme. Vous pouviez pourtant recueillir un large consensus car pour ce qui nous concerne, nous sommes quasiment à l’unanimité favorables à la déchéance de nationalité. Ayez conscience que la tentation aurait pu être forte pour notre groupe de mettre le Président de la République et votre gouvernement en minorité. »
« Nous souhaitons éviter toute coïncidence entre état d’urgence et dissolution, a déclaré M. Roger-Gérard Schwartzenberg, comme le prévoyaient la loi initiale du 3 avril 1955, puis l’ordonnance du 15 avril 1960, signée par le général de Gaulle, Michel Debré et Pierre Mesmer. […] L’Assemblée avait adopté un amendement en ce sens. Mais, à l’issue d’une seconde délibération, cet amendement a été supprimé hier soir, à la demande du Gouvernement qui préfère s’en remettre au Sénat. Cela peut surprendre. » Plutôt que la déchéance, M. Schwartzenberg a préconisé « l’interdiction des droits civiques, civils et de famille, une peine prévue par l’article 131-26 du code pénal, et que les auteurs de crimes ou de délits terroristes peuvent encourir à titre complémentaire ».
Mme Brigitte Allain (Dordogne) a rappelé l’opposition à la déchéance de nationalité d’une nette majorité des députés écologistes.
M. Jean-Christophe Lagarde (Seine-Saint-Denis) a considéré que contrairement à ce qu’était la première version proposée par le Gouvernement, la déchéance « de leur nationalité des Français qui haïssent la France » doit s’appliquer clairement à tous les terroristes, quelle que soit la nationalité de leurs parents. « À nos yeux, il ne peut pas y avoir dans notre Constitution d’inégalité entre les Français, il ne peut pas y avoir deux catégories de Français. »
Pour M. François Fillon le texte va être profondément modifié par le Sénat. « Il reviendra à l’Assemblée, où la gauche ne pourra pas le voter. Nous allons encore passer des semaines à débattre d’un texte qui n’ira jamais au Congrès parce qu’il n’y a pas la majorité des 3/5èmes pour le voter. »
Le texte est discuté en séance publique au Sénat à partir du 16 mars 2016.