A l’heure où ces lignes sortiront, l’actuel locataire de l’Elysée aura fait une intervention télévisée. Cette dernière aura été conjuguée en deux temps : parler pour ne rien dire et s’écouter parler. Donc inutile de l’avoir attendu et de la narrer. Revenons-en à des choses plus sérieuses.
Le projet de loi sur la retraite, a donc été adopté aux forceps mais de justesse (9 voix une des marges les plus courtes depuis 1958). Depuis lors il continue de régner dans le pays ce qui s’assimile de plus en plus à un chaos. Et le pyromane de l’Elysée n’a pas manqué, comme à l’accoutumée, d’en rajouter : «la foule n’a pas de légitimité face au peuple qui s’exprime à travers ses élus ». Quel sens de la formule assassine et méprisante, quel sens des gens !
Cet homme ne nous aime pas c’est une certitude. Il pourrait bien finir par le payer. Plus que par le simple soufflet reçu durant son premier mandat…
Revenons au texte juridique qui borne cette loi sur la retraite, la Constitution.
Le Conseil des Ministres, présidé par le chef de l’Etat, avait donc décidé de recourir à l’art. 49-3 afin de faire passer son texte de loi. Redisons ce qui est énoncé dans cet article : Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un texte. Dans ce cas, ce texte est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Rappelons qu’au titre de l’al 2 : Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale. Le vote ne peut avoir lieu que quarante-huit heures après son dépôt. Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée. Sauf dans le cas prévu à l’alinéa ci-dessous, un député ne peut être signataire de plus de trois motions de censure au cours d’une même session ordinaire et de plus d’une au cours d’une même session extraordinaire.
En l’état actuel de la composition de l’Assemblée il fallait donc 287 voix pour l’emporter. Il a donc manqué 9 voix (LR essentiellement). Imaginons que la censure soit passée. Automatiquement c’‘était l’application de l’art. 50 C : Lorsque l’Assemblée nationale adopte une motion de censure ou lorsqu’elle désapprouve le programme ou une déclaration de politique générale du Gouvernement, le Premier ministre doit remettre au Président de la République la démission du Gouvernement. E. Macron n’aurait pas eu d’autre choix que d’accepter cette démission. Dès lors, dans le sillage du général de Gaulle en 1962, il n’avait plus qu’une seule et unique solution : dissoudre l’Assemblée Nationale sur la base de l’art 12 C : Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des Présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
Les élections générales ont lieu vingt jours au moins et quarante jours au plus après la dissolution.
L’Assemblée nationale se réunit de plein droit le deuxième jeudi qui suit son élection. Si cette réunion a lieu en dehors de la période prévue pour la session ordinaire, une session est ouverte de droit pour une durée de quinze jours.
Il ne peut être procédé à une nouvelle dissolution dans l’année qui suit ces élections.
Dans le contexte actuel d’un président rejeté par une majorité de l’opinion publique (à peine 28 % le soutiennent) et d’une crise sociale grave, les élections législatives auraient sans coup férir déboucher sur une quatrième cohabitation.
Mais contrairement aux trois précédentes (même si la première de 1986 fut la plus conflictuelle), celle qui se serait ouverte pour quatre ans n’aurait pas été une sinécure pour E.Macron. Il aurait dû faire avec la NUPES et le RN (les LR et le Modem étant devenus quantités négligeables) qui se détestent et ne peuvent cohabiter !! Et en tout premier lieu le chef de l’Etat aurait eu à choisir le ou la locataire de Matignon. JL Mélenchon, D.Panot, J.Bardella (M. Le Pen ayant déjà décliné) ? Un choix cornélien ! On pourrait en sourire s’il ne s’agissait pas de l’avenir d’un pays qui est économiquement sous assistance respiratoire. Or l’on sait que ces deux partis populistes n’ont aucune compétence en la matière. Entre marxisme assumé et ultra libéralisme affirmé, où irait-t-on ? Et puis, scénario de pure fiction, si le président lassé par l’ampleur d’une telle crise se démettait ? Cela signifierait présidentielle anticipée puis législatives. Un an de quinquennat pour rien en quelque sorte. Mais après tout abcès percé !
La réforme des retraites (pourtant rejetée aussi par la majorité des économistes, J. Attali en tête) est donc passée.
La rue, excitée par le président de la République lui-même, va redoubler de colère.
Que va-t-il se passer à présent ? La loi a vocation à s’appliquer. Très vite E. Borne a saisi le Conseil Constitutionnel. Le gouvernement va déclarer l’urgence et donc ledit Conseil va avoir 8 jours pour œuvrer. On sait presque comment il va juger. En effet en limite de son devoir de réserve, son président, Laurent Fabius, a estimé qu’en matière de texte financier « tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire, et dans ce cas, il faudrait un deuxième texte ».Exemple cité par l’ancien premier ministre socialiste : « L’index des seniors, les critères de pénibilités ne relèvent pas du PLFRSS». (Canard Enchainé, 18 janvier).
Selon nous pour que Laurent Fabius, prudent de nature et fin connaisseur de notre texte suprême, ait ce ton, via un off dans la presse, on peut s’attendre à ce que la jurisprudence soit assez sanglante.
Dès lors de quatre choses l’une. Soit le Conseil valide la loi. Ce qui serait assez inouï car il n’est pas interdit aux Sages (à l’instar du CE sur la réglementation anti-terroriste) de tenir compte aussi d’un certain réalisme social. Validée, la loi a donc vocation à s’appliquer (victoire pour l’exécutif).
Quid de la rue ? Soit le Conseil procède à une censure totale (humiliation cuisante pour l’exécutif) et il n’est plus de loi. Soit les Sages optent pour une censure partielle (la loi partiellement censurée s’applique). Soit enfin le Conseil émet des réserves d’interprétation (sorte de feux orange clignotants).
Pour achever notre analyse. La NUPES a déclenché le RIP (référendum d’initiative partagée), usine à gaz énoncée à l’art 11 C : Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. (ndlr : environ 4 millions de personnes). Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an.
Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.
Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.
Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin.
L’issue de ce RIP est aussi improbable qu’ingérable (cf RIP contre privatisation de l’Aéroport de Roissy qui a échoué). Dès lors, seule la saisine du Conseil Constitutionnel permettra d’y voir plus clair. E. Macron s’est quand même positionné dans un entêtement absurde, en soufflant même sur les braises au risque de mettre le pays à feu et (pas encore ?) à sang. Avant lui F. Mitterrand avait eu la lucidité en 1983 de retirer son projet restreignant la vie de l’enseignement privé qui avait réuni près de 2 millions de personnes dans les rues. J. Chirac, en 2006, sur le CPE, fit de même. Mais E. Macron n’est ni F. Mitterrand, ni J. Chirac. Il n’en a ni la hauteur de vue, ni l’épaisseur, ni surtout le sens politique et le goût des gens. Au pouvoir comme ailleurs, il faut savoir jusqu’où ne pas aller trop loin.
« Il y a deux sortes d’hommes : ceux qui font l’histoire et ceux qui la subissent. » (Camilo José Cela)
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public des Universités.