Déplorant que la culture soit la grande oubliée de la crise, Jean-Michel Ribes, metteur en scène et directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris, interpelle Emmanuel Macron sur l’urgence à agir pour sauver le spectacle vivant.
Il aura donc fallu des milliers de morts, des millions de chômeurs, la dégringolade de l’économie mondiale pour que nous puissions entendre le gazouillement de la mésange dans les villes, le sanglier traverser les Champs-Élysées, le dauphin se mouvoir dans une mer transparente, les bouquetins bondir à flan de montagne où le crocus et l’Edelweiss rejaillissent, le tout sous l’azur d’un ciel purifié.
Pendant ce long confinement, la nature a repris ses droits.
Qu’aurait-il fallu pour que la culture cloîtrée, enfermée, interdite, dans ce même moment, reprenne les siens ? Que de temps en temps quelques danseurs étoiles virevoltent à l’aube sur les ponts de Paris, qu’une fanfare défile d’un quartier à l’autre, que les acteurs clament poèmes et chefs-d’œuvre de la littérature dans les parcs ? Non. Il aurait simplement fallu que la culture ne soit pas oubliée par nos gouvernants, jamais évoquée, jamais citée dans les revigorants discours officiels, jamais citée dans les lyriques « quoi qu’il en coûte » ou parfois murmurée du bout des lèvres par le chef de l’État ou le Premier ministre au cours d’une énumération rapide de préoccupation mineure. Si la Covid-19 a démontré la possibilité du retour de la mésange sur les balcons du Boulevard Malesherbes, il a aussi dévoilé l’indifférence teintée de mépris de nos gouvernants pour la culture.
Loin de moi l’indécence de réclamer quelques privilèges ou priorités de traitement pour les artistes avant le secours aux hôpitaux, banques alimentaires, précaires de toute sorte et autres victimes en première ligne de cette pandémie, mais de là à regarder disparaître lentement la culture dans ce silence qui mène à l’oubli, c’est trop. Il aura fallu une pétition signée par un grand nombre de créateurs parue dans un quotidien du soir pour que le pouvoir s’aperçoive que « l’art qui nous protège des vérités qui tuent » comme l’écrivait Nietzche, faisait partie d’un des organes de la nation, que les 90 millions d’étrangers qui visitent chaque année la France ne viennent pas pour voir comment on fabriquait des radiateurs, qu’il y a plus de gens qui assistent à des spectacles vivants que de supporters dans les stades de foot, que le Louvre et les milliers de nos musées et opéras de région font rayonner la France autant si ce n’est plus qu’Airbus ou le TGV et que tout bien compté un pays sans culture coûte plus cher qu’un pays avec.
Enfin le président de la République vint, à travers le petit écran, s’adresser au peuple de la culture. Alerte, souriant, chemise blanche et manches retroussées, Emmanuelle Macron à l’évidence est l’ami des artistes. Premier conseil du chef de l’État pour que la culture puisse tenir dans la tempête : « Inventez ! ». Surprise ! Effarement même ! C’est comme encourager des coureurs cyclistes en difficulté en leur lançant : « Pédalez », en clair « Démerdez-vous ! ». S’ensuivent quelques offrandes concrètes, aides aux films en cas d’interruption de tournage, cadeau d’une année blanche aux intermittents en manque d’heures pour cause de pandémie, puis vint l’heure de la métaphore tout comme Robinson Crusoé échappé du naufrage qui choisit avant toute chose le jambon et le fromage pour survivre sur cette île inconnue, nourrissons-nous de concret et d’espoir plutôt que d’aléatoire. Oubliant sans doute que c’est Vendredi, indigène croisé par hasard, qui permit à Robinson de s’emparer d’un bateau pirate accosté sur l’île et de rejoindre ainsi son pays natal. Monsieur le président soyez au plus vite notre Vendredi. Accourez vite avant que n’arrive samedi ou dimanche et qu’il soit trop tard pour sauver la culture de la gangrène qui se saisit déjà du spectacle vivant.
Inventez Monsieur le président comme nous essayons de le faire pour rendre ses droits à la culture, sœur de la nature qu’elle a tant embelli, car ne l’oublions pas les arbres étaient-ils beaux avant que Corot ne les peigne ?
Jean-Michel Ribes
Directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris
Metteur en scène