Ces dernières années la parole s’est enfin libérée au sein du milieu sportif. Nous avons tous en tête un exemple, un témoignage poignant et révoltant, sur un fait plus ou moins ancien, qui nous rappelle avec une émotion saisissante la gravité de ce sujet. Et l’urgence à agir pour que cela n’arrive plus. Des athlètes de très haut niveau, des sportives et sportifs en activité, des retraité(e)s des terrains, de jeunes enfants aux nouveaux adultes encore en pratique, des femmes, des hommes, des filles, des garçons, ont raconté ce qu’ils ont pu subir dans le cadre de leur pratique sportive. Ce sont des humiliations, des sévices physiques, du racisme ordinaire, des influences néfastes, des manipulations, des moqueries, du harcèlement, des attouchements et même parfois des viols… Il faut mettre des mots sur les actes, surtout quand ils sont aussi graves.
Le milieu du sport est le reflet de notre société, il en est un extrait conforme
S’il réunit des individus autour d’une activité commune, le sport est un lieu de mixité unique et essentiel, un lien puissant et indispensable qui permet de faire société.
Il est donc par définition une concentration de ce que l’homme peut montrer de meilleur, mais aussi de pire.
S’il existe un nombre important de types de violences, qu’elles soient physiques, morales, discriminatoires, sexuelles, etc… il convient aujourd’hui d’affirmer que « nous savons ».
Qu’il n’est plus possible de ne pas voir, de faire comme si cela n’avait pas eu lieu ou ne pouvait pas arriver, de ne pas mieux protéger, prévenir, informer, écouter, agir…
D’abord informer, éduquer
Avant tout il faut faire savoir aux enfants, trop souvent victimes, ce qu’un encadrant, un entraîneur, un responsable, un coéquipier ou adversaire peut faire ou ne pas faire.
Quels gestes, quelle influence, quelle emprise psychologique, quelles méthodes d’entraînements, relèvent de ce qui est acceptable ou ne l’est pas.
L’école pourrait être le lien de cette instruction nécessaire, dans lequel l’activité physique doit être mieux valorisée et donc mieux maîtrisée dans la connaissance de son environnement. Un rapprochement local des associations sportives de proximité avec les écoles, collèges et lycées, à l’échelle des quartiers ou arrondissements dans lesquels ils sont implantés, serait un moyen efficace d’assurer un encadrement, pour un suivi éducatif plus efficient.
Cette méthode a prouvé son efficacité dans le cadre des dispositifs spéciaux – mais trop peu nombreux –, qui permettent l’adaptation de parcours personnalisés dans lesquels le sport, ou encore les arts ou la musique, sont un composant essentiel de la réussite scolaire.
Cela nécessite un investissement public massif pour prendre mieux en charge les parcours éducatifs de celles et ceux qui seront les forces de notre nation dès demain.
La complémentarité des éducateurs, sportifs, sociaux et scolaires est essentielle dans les réussites personnelles d’enfants qui parfois perdent pieds, sortent du système scolaire, sont en panne de repères et pour lesquels le sport s’impose comme une bouée de sauvetage.
Ils sont, pour l’immense majorité d’entre eux bien évidemment, des guides, des boussoles dans la vie de nombreux pratiquants, à des âges où la construction personnelle est en cours.
Ils sont souvent ceux qui trouvent les mots, qui comblent des insuffisances familiales, qui dessinent un chemin pour les jeunes qu’ils encadrent et qu’ils guident à travers une pratique sportive.
Il faut ici le souligner et saluer ce travail remarquable au travers d’une implication éducative dévouée. Je me permets de remercier ces bénévoles, éducatrices et éducateurs, présidentes et présidents de clubs, parents et dirigeants pour leurs rôles essentiels.
Eux-mêmes, souvent, n’ont d’ailleurs pas toujours reçu la formation ou les informations adaptées pour faire face à certaines situations auxquelles ils se trouvent confrontés.
Je ne fais ici aucunement référence à des actes de violences volontaires, perverses et intentionnelles réalisées en conscience.
Je pense à des cas de discriminations parfois inconscientes, qui peuvent avoir un impact dévastateur dans le chemin d’une sportive ou d’un sportif, dans sa construction de vie.
Il faut donc former
Il est donc de la responsabilité de chaque structure sportive – avec le soutien primordial de leurs fédérations, des acteurs publics et d’organismes spécialisés – de mettre en place ces outils de prévention, mais aussi à terme de permettre une meilleure détection.
Nous connaissons maintenant très bien les mécanismes récurrents de la violence : instauration de la peur, intimidation, inversion de culpabilité, isolement, création d’un système d’impunité.
Il s’agit bien souvent des mêmes mécanismes pour arriver aux mêmes fins.
Il est possible aujourd’hui d’identifier les comportements de prédateurs, de questionner des attitudes déplacées, d’anticiper des déviances en les identifiant, de percevoir des personnes en souffrance, victimes de violences, afin de les aider dans les meilleurs délais.
Ces signaux doivent être connus par le plus grand nombre afin de proposer une aide adaptée et indispensable dans la reconstruction nécessaire d’une victime.
S’il existe des professionnels capables d’expliquer ces situations, il faut se faire l’écho de leurs voix au plus grand nombre. Ils trouverons des relais au plus près du quotidien des clubs et structures associatives pour éviter des débordements de violences, des actes terribles et terrifiants qui marqueront les vies de leurs victimes.
Des modules de formation doivent donc être mis à disposition des clubs, qui devront impérativement les suivre, sous contraintes de subventions ou d’attributions de créneaux si besoin, afin de permettre au plus grand nombre de mieux cerner ce problème des violences dans le sport.
Rendre l’information visible partout, un enjeu majeur
Un prédateur aura tendance à ne pas agir dans un lieu qui affiche clairement des informations précises, les risques encourus par les instigateurs, sur les violences sexuelles notamment.
Un référent désigné au sein même de chacune des structures sportives pourrait être de nature à trouver une oreille attentive et en capacité d’écouter et de trouver les réponses adéquates en cas de problème.
L’omerta, la capacité à contrôler le fonctionnement d’un club et donc à exercer une emprise influente sur ses membres, sont souvent des facteurs communs chez les prédateurs de violences.
Il ne faut donc pas s’appuyer uniquement sur ce schéma mais il est nécessaire de responsabiliser, de désigner un référent et de porter publiquement une identification et une action de lutte volontaristes au sein des structures sportives contre ces phénomènes de violence. Envers sa fédération de tutelle, mais aussi à l’égard des acteurs publics qui financent ces clubs.
Ces cas de violences sont suffisamment nombreux et graves pour faire de la lutte contre ces phénomènes un sujet hors querelles politiciennes, qui puisse réunir l’ensemble des responsables publics et des structures fédérales et associatives, pour enfin mettre en place une action efficace.
Si de nombreux parents ont été touchés, scandalisés, choqués – à juste titre – par les révélations de ces dernières années, il est essentiel que soit garantie la sécurité des pratiquantes et pratiquants, à tous les âges, dans le cadre de leurs activités physiques et sportives, et ce quel que soit le niveau dont on parle.
Souvent les filières de haut niveau, qui nécessitent une implication extrêmement forte à un âge charnière sur des personnalités en construction, peuvent favoriser des situations de fragilité que des prédateurs pourraient utiliser pour nuire.
Paris prendra sa part puisqu’un plan de lutte contre toutes formes de violences et de discriminations, reprenant ces éléments, est mis en place dès la rentrée de septembre, en se fondant sur cette nécessaire mise en lumière des actes violents, ce besoin de formation, d’informations, d’écoute et de responsabilisation du mouvement sportif.
L’activité physique au cœur du quotidien
Toutes les études nous le montrent, les unes après les autres, avec un constat sans cesse plus inquiétant. Une sédentarité accrue a des conséquences sanitaires catastrophiques sur nos enfants, mais aussi sur l’ensemble des adultes, jusqu’aux séniors, avec un coût massif pour la société.
Nous devons changer de regard sur la pratique sportive, la mettre au centre de l’éducation des plus jeunes et permettre une pratique continue durant notre vie active, tout en l’adaptant dans un âge plus avancé.
L’accueil du plus grand événement au monde à Paris en 2024 doit nous faire franchir cette étape vitale dans l’évolution de nos modes de vie. C’est essentiel.
Tout comme il faut adapter et changer notre façon de vivre pour diminuer notre impact environnemental, il est indispensable de bouger plus pour être en meilleure santé.
C’est aussi l’une des leçons à tirer de cette terrible épreuve que nous affrontons avec la pandémie mondiale de la Covid-19.
Je ne peux que m’associer à ce que dénonçait le récent vice-champion olympique de basket, Evan Fournier, quand il affirmait – en réponse aux déclarations du ministre de l’Éducation, de la Jeunesse et des Sports Jean-Michel Blanquer – l’insuffisance du sport et de l’activité physique dans le système éducatif français.
Alors dans une société où finalement le sport aurait une place plus forte, un rôle significatif et reconnu, la violence, les violences seraient-elles plus importantes ?
Je ne le crois pas.
Si nous prenons la responsabilité d’agir maintenant, massivement, en mettant en avant une politique volontariste et préventive, en formant et informant les nombreux acteurs de ce milieu, nous arriverons à un résultat plus efficace.
Il est bien sûr impératif de faire face à ces dérives de violences existantes dans le monde du sport.
Je suis absolument convaincu qu’un développement significatif du sport en France, un investissement important dans le secteur, qu’il soit humain et/ou matériel, serait même une solution face à la violence usuelle qui se développe dans nos sociétés.
Il faut se féliciter de la libération de la parole qui dénonce et encourage celles et ceux qui étaient enfermés dans un silence assourdissant et destructeur, mais il ne s’agit que d’un remède. C’est évidemment avant que les faits n’arrivent qu’il faut agir.
C’est donc bien une action globale, sur le long terme, avec un maillage fin et étendu, qu’il est nécessaire de mettre en place pour réduire autant que possible les violences dans le sport et se servir de sa force inclusive pour en faire un atout favorable du vivre-ensemble.
La violence est omniprésente dans nos quotidiens, mais si le sport n’en est pas épargné, il est sans aucun doute, une solution pour la réduire. À bon entendeur.
Pierre Rabadan
Adjoint à la Maire de Paris en charge du sport, des Jeux olympiques et paralympiques