100 ans de journalisme écrit par l’universitaire Christian Delporte, spécialiste de l’histoire des médias, nous fait traverser un siècle de lutte du Syndicat des journalistes, depuis sa naissance le 10 mars 1918 et la déclaration du premier code déontologique de la profession, jusqu’à nos jours.
Un centenaire marqué par le souvenir d’un « lutteur né », Georges Bourdon, cet « éveilleur de consciences » n’a pas ménagé ses efforts pour refonder le syndicat (devenu Syndicat national des journalistes SNJ). Il redéfinit sa stratégie, organise méthodiquement le combat collectif ; grâce à sa ténacité, le SNJ a commencé sa longue marche vers l’obtention d’un statut pour les journalistes avec la « clause de conscience » qui garantit l’indépendance du journaliste. La loi sera adoptée en mars 1935, elle est toujours en vigueur aujourd’hui. Le SNJ devient ainsi une organisation attachée aussi bien à la défense individuelle des journalistes qu’à leurs intérêts matériels collectifs et animée par une mission capitale : celle du contrôle moral sur la corporation. « Le véritable journaliste est celui qui, respectant son métier, possède un canon moral » déclare Bourdon en 1931 dans Le journalisme d’aujourd’hui.
Avec le décès de Georges Bourdon, le 9 novembre 1938, une partie de l’histoire du SNJ s’achève. Une page sombre s’ouvre, l’occupation a meurtri aussi bien la France que le journalisme. À la Libération en 1944, le SNJ doit faire face à une rude réalité, le « retour à la normale » qui n’est pas sans conséquence sur sa reconstruction. Plus tard, les tensions entre le pouvoir gaulliste et le SNJ minent le syndicat. La question de la liberté d’expression éclate en colère en mai 1968 à l’ORTF avec le fameux slogan « libérez la parole ». Les combats des années 1970 ne sont pas moins faciles. « L’année terrible, l’année fatale c’est 1975 bien sûr », par cette parole, Pierre Viansson-Ponté dans Le Monde du 4-5 mai 1975, traduit l’inquiétude collective devant la situation de la presse quotidienne : Hersant surnommé le « papivore », « les appétits financiers » et la concentration mettent en péril les emplois, le pluralisme et l’information libre.
Si dans les années 2000, l’empire Hersant est démantelé, la concentration de la presse quotidienne régionale, conduite par les grands groupes, s’accélère et la réforme de l’audiovisuel public ainsi que la nomination des présidents de France Télévision et de Radio France par l’exécutif provoquent la colère du SNJ qui dénonce le « retour à l’ORTF, « voix de la France ». Plus largement, les plans d’économies drastiques dans la presse écrite, à l’AFP comme dans l’audiovisuel public, suscitent de nombreux appels du SNJ à la mobilisation.
Cet ouvrage, agrémenté par d’intéressantes illustrations et des encadrés reproduisant des « unes » de journaux, nous invite à mieux comprendre un siècle de luttes pour la liberté d’informer et à réfléchir sur l’histoire sociale du journalisme.
Au-delà des acquis réalisés par le SNJ, il reste néanmoins beaucoup à faire et de multiples défis à relever, notamment sur les questions de liberté de la presse et d’indépendance des rédactions.
À cet effet, il serait intéressant de lire « Journalisme et éthique » de Pierre Bourdieu (Actes du colloque fondateur du centre de recherche de l’École supérieure de journalisme (Lille), Les cahiers du journalisme, juin 1996, n°1).
« Une des propriétés les plus importantes du jeu journalistique réside dans sa faible autonomie – en comparaison, par exemple, avec le champ scientifique – c’est-à-dire dans le fait qu’il est fortement soumis à des contraintes externes comme celles que font peser, directement ou indirectement, les annonceurs, les sources et aussi la politique. […] De façon générale, l’univers journalistique étant relativement peu autonome, toute action visant à instaurer les conditions favorables à la vertu trouvera moins qu’ailleurs des appuis dans la logique interne du milieu : les censures externes y sont beaucoup plus puissantes (à des degrés différents selon la position dans le champ) que les censures internes, imposées par le respect des règles et des valeurs impliquées dans l’idéal de l’autonomie. Les premières s’exercent à travers les incertitudes, faciles à transformer en menaces, liées à l’insécurité de l’emploi qui mettent les jeunes journalistes devant l’alternative de disparaître très vite ou de faire leur trou en essayant de faire des « coups », c’est-à-dire bien souvent en acceptant de transgresser les normes de la déontologie journalistique, ou de se résigner à la soumission désenchantée ou au « fayotage » cynique ou désespéré. Pareille conjoncture ne peut que renforcer l’arbitraire des « chefs » qui, souvent promus pour leur opportunisme et leur soumission, trouvent un autre renforcement dans la pression de l’audimat qui donne raison, en apparence, à leur démission et à leur cynisme.
Pour que le poids des censures internes se renforce par rapport aux censures externes, il faudrait que le collectif des journalistes s’institue en instance efficace de jugement critique, capable d’opposer à l’audimat sa légitimité spécifique.
Il faudrait essayer de concevoir quelque chose comme une instance de régulation des entrées dans la profession capable de protéger le corps contre l’intrusion de gens qui n’accepteraient pas certaines règles du jeu, ou ne seraient pas en état de les accepter ».
Cet extrait donne matière à réflexion à un moment où la vie démocratique est en crise. Les médias en général constituent un pilier essentiel de notre démocratie. Leur autonomie et leur liberté d’expression sont garantes de la bonne santé de notre démocratie.
Christian Delporte
Éditions nouveau monde, 2018
160 p.- 29 €