Jeanne Chabbale, docteure en science politique, collaboratrice de députés à l’Assemblée nationale pendant plusieurs années, se propose dans “Changer la prison. Rôles et enjeux parlementaires” d’examiner les processus qui ont contribué, sur plus d’un demi-siècle, à faire de la prison un sujet politico-médiatique et des droits des personnes détenues un objet de loi à part entière.D’année en année, les chiffres sur les suicides en prison ne cessent d’exprimer une réalité tragique : surpopulation carcérale qui ne trouve pas encore de solutions, vétusté, insalubrité, échec de la prévention de récidive… autant de dysfonctionnements qui traduisent une grave défaillance de la politique carcérale dénoncée par les observateurs des prisons et des droits de l’homme. Si les sujets carcéraux reviennent régulièrement à la une des médias et des préoccupations politiques, ils sont restés longtemps confinés dans des espaces de traitement relativement discrets. Les acteurs politiques ne s’en saisissaient que de manière indirecte délaissant la gestion à une administration pénitentiaire puissante qui impose une prise en charge technico-administrative des structures carcérales au sein d’une « communauté de politique publique » relativement fermée.
À partir de l’analyse du cas de la politique pénitentiaire depuis 1945, Jeanne Chabbale souligne le rôle du Parlement dans la réforme d’un secteur d’action publique relativement fermé et montre comment la mobilisation de députés et de sénateurs peut contribuer à redéfinir les problématiques, à redessiner les contours de son réseau d’intervenants et à susciter des changements dans son traitement.
Une partie des changements intervenus en matière pénitentiaires au cours des quinze dernières années est imputable selon l’auteure à la mobilisation de députés et sénateurs et leur intrusion dans le réseau d’action publique carcéral, dominé par l’administration pénitentiaire. Une spécialité parlementaire sur la prison émerge et se consolide sur une décennie, au terme de laquelle la prison est susceptible d’être ramenée dans le domaine de la loi et de la décision politique.
Elle explore enfin les conditions et les possibilités du Parlement et de ses élus à procéder à des réformes de l’action publique au-delà de la seule activité juridique. Au fil des ans et des programmes de construction-rénovation successive, une évolution est en marche souligne l’auteure « la prison d’aujourd’hui, écrit-elle, n’a plus grand-chose de commun avec les vieilles geôles insalubres décrites par Véronique Vasseur dans son livre témoignage “Médecin-chef à la prison de la Santé”, éditions Cherche Midi, 2000), le monde pénitentiaire est désormais scruté par une multitude d’acteurs qui l’ont sorti de son vase clos : instances européennes, contrôleur général, parlementaires, délégués du Médiateur de la République etc… ».
Le livre de Jeanne Chabbal constitue une bonne référence sur la dimension historique du processus d’amélioration de la situation carcérale et une base de réflexion sur les nouvelles mesures à prendre dans un contexte complexe de lutte contre le terrorisme, et de période préélectorale.
Malheureusement, la prison n’est pas un thème porteur politiquement. Les initiatives sont freinées par la perspective de l’ampleur de la tâche. S’attaquer à la sur-occupation, à la vétusté des bâtiments, à la précarité qui y règne, supposent un investissement financier très lourd et, en matière d’image politique, le retour n’est perceptible qu’à long terme ce qui sort du cadre habituel du court terme des mandats politiques. Les projets en cours ne manquent pas, mais se pose-t-on réellement les bonnes questions : comment réprimer ? De quelles façons ?
Jeanne Chabbale
Presses universitaires de Rennes, 2016
234 p. – 20 €