Il n’existe pas de science de l’avenir ; il n’existe que des hypothèses. Ce sont ces dernières, et encore sans prétendre à l’exhaustivité, que nous envisageons dans le dossier qui suit.
Est-il possible de penser l’après-Covid, de poser en les renouvelant dans leurs réponses les questions que l’épidémie suscite, de traverser le miroir du présent pour se projeter dans le futur, de distinguer qui relève de l’immédiat de ce qui ressort à terme de la durée, d’embrasser les perspectives qui viennent sans exagérer la portée du présent ? Exercice complexe, délicat, incertain. Il faut s’y adonner avec la prudence que l’expérience du passé prodigue et avec l’audace qu’une prospective réaliste peut potentiellement générer. Science, technologie, économie, liberté, géopolitique, social, tout est revisité, réinterprété, réinterrogé dans un immense mouvement d’examen de nos certitudes, de nos pratiques, de nos représentations.
Depuis presque deux années maintenant, par sa longévité, son imprévisibilité, sa globalité aussi, la crise sanitaire incite à convaincre chacun d’entre nous que cette traversée épidémique transforme en profondeur nos sociétés.
Et elle constitue en effet un incommensurable levier de métamorphoses dont nous n’avons pas fini, loin de là, de mesurer l’impact. Reste à savoir et comprendre dans quel chemin tout ceci nous engage, car si « le monde d’après » promis par le Président en exercice est celui que nous vivrions d’ores et déjà, il faudrait légitimement s’en inquiéter. L’économie perfusée et les libertés entravées sont à ce stade l’empreinte d’une existence sous Covid. C’est un pis-aller et non un renouveau. C’est un stand-by à plus d’un titre régressif. Le provisoire s’est installé sous les vagues successives tant des différents variants que d’injonctions mandarinales contradictoires dont il conviendra, le moment venu, d’établir l’inventaire. Le brouillard à ce stade reste dominant, mais tout l’objet consiste à essayer d’en percer les nappes pour voir plus loin. Il faudra évidemment se réinventer en tirant tous les enseignements, pour reprendre la dichotomie féconde de Péguy, des périodes successives qui ont précédé le déclenchement de la pandémie et espérer très fort en l’assomption d’une époque refondatrice.
Plusieurs constats d’ores et déjà peuvent néanmoins être dressés : d’aucuns rassurants, d’autres moins optimistes. Parmi les premiers, le reflux des idéologies de la dérégulation et le rôle à nouveau reconnu de la puissance publique ; celle-ci sera nécessairement de retour, sa forme restant à déterminer ; parmi les seconds, les avancées techno-scientifiques dont la crise a souligné les fonctions ne promettent pas forcément une société plus libre, mais pourraient annoncer une montée en puissance d’un contrôle social, puissant allié des états d’exception. Là où l’État paraît revenir, la démocratie libérale semble, elle, entamée dans sa mission protectrice des droits et des libertés publiques. C’est le projet émancipateur né avec les Lumières qu’en viendrait à mettre à mal le bilan politique de l’épidémie. Cette conséquence n’est pas parmi les moins anodines, mais tout se passe comme si elle en était presque banalisée. D’où la nécessité de se poser la question du monde que nous voulons avant qu’il ne s’impose à nous…
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef de la Revue Politique et Parlementaire
Professeur associé à l’Université Paris Sorbonne