De mieux en mieux et de pire en pire, deux visions contradictoires sur notre temps traversent chacun d’entre nous. Si tout va mal, et même de mal en pis, pourquoi personne ne désire revenir en arrière ? « Entre l’improbable nostalgie du passé et la crainte d’un futur incertain, nous adorons détester notre époque, qui va, pensons-nous souvent, de mieux en mieux et de pire en pire. » Comment comprendre cette ambivalence ? se demande Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférence en philosophie.
Il propose dans cet ouvrage, sous forme de chroniques, une analyse de certains sujets qui suscitent des attitudes paradoxales reflétant « une crise des valeurs qui est davantage une crise de croissance qu’une lente disparition. Elle ne vient donc pas d’un affaiblissement des réponses ou d’une perte du sens moral, mais d’une forte augmentation et complexification des interrogations » : Quelle est la portée de la crise de l’autorité ? Comment appréhender cette montée de peurs ? Comment expliquer le rapport paradoxal à la santé (progrès thérapeutiques rassurants et pourtant une angoisse grandissante à l’égard des maladies) ? Pourquoi une justice extrême entraînerait-elle une suprême injustice ? La culture générale est-elle introuvable ? Il suffit de nous attarder sur deux versions différentes de deux analystes célèbres : d’un côté Allan Bloom impute à la culture démocratique elle-même le déclin de la culture générale ; d’un autre côté Pierre Bourdieu dénonce le caractère foncièrement antidémocratique de l’idée même de culture générale. La « laïcité à la française » est-elle en crise ? « On pourrait le penser au regard de l’incompréhension qu’elle suscite à l’étranger et de la vivacité des débats en France depuis l’affaire du voile islamique de 1989, écrit l’auteur. D’un côté on l’accuse d’être liberticide à l’égard de la diversité culturelle, de l’autre on lui reproche d’être laxiste à l’égard de l’identité nationale. D’où l’idée qu’il serait urgent de la « refonder » notamment en modifiant, dans un sens ou dans un autre, la loi inaugurale de 1905. »
Faisant suite à la crise des valeurs, l’auteur analyse les dilemmes d’une société d’individus. Société et individu, une équation qui semble impossible à résoudre. La société réussit tellement bien à façonner l’individu que lui-même devient plus exigeant à l’égard du social et de l’État qui l’a fait. La société d’individus existe mais c’est désormais la manière de la gouverner qui est devenue énigmatique. La société est-elle plus violente ou y a t-il plus de sensibilité à la violence ? Quelle portée donner au travail, est-il contre le loisir ou bien est-il un salut ? Le travail est-il aliénant ou libérateur ? Qu’est ce que l’humanisme, quelles sont ses facettes et ses différents contenus ? Peut-on parler de la fin des idéologies ? : « l’échec salutaire des idéologies à se reconstituer en bloc tient à la puissance de l’autocritique. Ce faisant notre époque a fait un pas de plus vers une maturité qui reste pourtant lointaine ».
Au terme de ce parcours, sur tous ces sujets abordés au fil des pages, l’auteur propose des clés pour penser notre époque ambivalente et complexe et la rendre plus lisible.
« Ne pas rire ne pas pleurer ne pas détester, mais comprendre », disait Spinoza. « Il faudrait plutôt dire : d’abord comprendre ; puis chacun fera ce qu’il voudra, car c’est poser un regard d’adulte sur notre temps que de percevoir qu’aucun progrès n’abolira jamais le tragique », écrit Pierre-Henri Tavoillot.
Pierre-Henri Tavoillot
Odile Jacob, 2017
260 p.- 22 €