Correspondant à la BBC à Paris pendant les deux septennats de Mitterrand et auteur de deux autres biographies : Mao Tsé-toung et Pol-Pot, Philippe Short brosse dans son ouvrage le portrait d’un homme aux talents et défauts exceptionnels, un esthète machiavellien qui pendant ses deux mandats a conduit la France dans la modernité.
Nombreuses sont les biographies qui retracent la vie de François Mitterrand. Toutes mettent l’accent sur l’ambiguïté du personnage, son art de l’équivoque. L’homme est multiple, insaisissable. L’historien Michel Winock, dans sa récente biographie de François Mitterrand (Gallimard) a dit “On appelait Talleyrand “l’homme aux six têtes”, et sur ce point Mitterrand pouvait rivaliser avec lui ! Ce qui est tout à fait passionnant, surprenant et original dans son cas est d’avoir été plusieurs personnes non pas de façon successive, ce qu’on est toujours plus ou moins dans une longue vie, mais de manière simultanée”. C’est peut-être cette ambivalence même du personnage qui suscite tant de fascination sur les autres et éveille la curiosité des écrivains et même des journalistes étrangers comme Philip Short.
Philippe Short voit en Mitterrand “un homme talentueux, retors, mi-visionnaire, mi-pragmatique, qui, lorsqu’il ne se tirait pas une balle dans le pied, éclipsait sans le moindre effort ses adversaires politiques”. Il établit une comparaison percutante entre “l’étrange tandem » Charles de Gaulle-Mitterrand : “De Gaulle, le héros de la guerre, avait redonné à la France sa fierté après l’occupation nazie, avait mis fin à la guerre d’Algérie et fait le premier pas décisif vers une réconciliation avec l’Allemagne et la création de l’Europe d’après-guerre. Mitterrand, en temps de paix, a transformé la France en une démocratie moderne […] et aux côtés d’Helmut Kohl il a poussé l’Europe vers une union politique, avec une monnaie unique et une Allemagne réunifiée fermement ancrée à l’Ouest”. Complétant cette comparaison, il poursuit “De Gaule évoquait la grandeur française. Mitterrand incarnait la France dans toutes ses imperfections, ses turpitudes et ses tragédies, sa lâcheté et sa gloire, ses faiblesses et ses forces. Tous deux changèrent leur pays en profondeur, mais de manières profondément différentes. De Gaulle reflétait les ambitions françaises, Mitterrand la réalité du pays”.
Pour réaliser cette biographie Philip Short a utilisé à bon escient des archives qui ne sont pas encore toutes ouvertes et exploitées, de nombreux documents américains et britanniques permettant de retracer les conversations secrètes de Mitterrand avec Margaret Thatcher, Reagan et Bush père. Il a interrogé de nombreux témoins, mené une enquête bien fouillée consulté plusieurs documents français qui l’ont amené à livrer de nombreux détails sur les financements politiques et amitiés d’affaires de Mitterrand. Cependant le caractère inédit de cette biographie revient aux confidences d’Anne Pingeot, la mère de Mazarine, qui avait été jusqu’alors d’une discrétion absolue sur sa vie commune avec l’ancien président de la République. “Il était intéressant, se souviendrait-elle… Et c’est merveilleux, les gens supérieurs… qui vous multiplient la vie par leur savoir”.
La culture et le savoir sont en effet un atout important dont jouissait Mitterrand . “Il aimait la littérature autant que la politique et se prit même à rêver un temps de devenir écrivain, mais, ajoute Philip Short, il eut le bon sens de reconnaître que ses talents étaient ailleurs. Il écrivit l’histoire de sa vie en actions plutôt qu’en mots. Cette histoire, à l’instar de sa personnalité, est souvent opaque”.
Cette biographie bénéficie du regard impartial de l’observateur étranger, fin connaisseur de la France. Elle est équilibrée, elle enchante aussi bien les partisans que les détracteurs du mitterrandisme.
Philip Short
François Mitterrand. Portrait d’un ambigu
Traduit de l’anglais par Madison Deschamps
Nouveau monde éditions, 2015
894 p. – 25 €