Ce livre pose la problématique du retour de la question des religions dans la diplomatie contemporaine. Alors qu’il revient en puissance sur la scène internationale et qu’il est souvent utilisé comme arme politique, il constitue en effet un véritable défi pour les États comme pour l’ensemble des croyants.
Ce livre est le fruit d’un colloque organisé par le Centre d’études et de recherches internationales (Ceri)-Sciences-Po à la demande du ministère des Affaires étrangères.
En mettant fin à la guerre de Trente ans, la dernière des grandes guerres de religion qui ont ensanglanté l’Europe Occidentale pendant plus d’un siècle, les traités de Westphalie (1648) ont permis en quelque sorte “l’autonomisation du politique” : la souveraineté des États, reconnue par ces traités, neutralise les conflits confessionnels internes et se pose comme principe de base dans les relations internationales. Le retour en force des conflits à caractère confessionnel remet-il en cause ce principe ? se demande Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères. “La religion, parce qu’elle influence le comportement individuel et collectif, relève de notre mission de connaissance des réalités, ou de connaissance du terrain… aucune politique étrangère ne peut se passer de l’expertise sur les religions et d’outils diplomatiques adéquats”, reconnaît-il, ajoutant : “Il est d’autant plus important de se pencher sur le sujet que ces évolutions et ces perceptions bien réelles dans certaines parties du monde ont accrédité des idées fausses, comme celles dites du choc des civilisations”.
Les contributions multidisciplinaires qui composent cet ouvrage tentent de répondre à des questions complexes : quelle est la place des faits religieux dans les relations internationales ? Pourquoi les politologues négligent-ils les facteurs religieux alors que les sociologues et les historiens leur accordent une grande importance ? Quelles sont les conséquences de la politisation des faits religieux ? Les conflits dits “religieux” ne sont-ils pas d’abord des conflits sociaux ou des conflits de souveraineté dont les enjeux dépassent la simple question des croyances ? Pourquoi les élites politiques et les diplomates de pays de tradition laïque, comme la France, sont-ils si réticents à prendre position sur des sujets de nature religieuse ? Les nouveaux conflits du Moyen-Orient ont-ils mis fin à cette réticence ? Tels sont les questionnements posés comme base de réflexion par l’essayiste et philosophe Régis Debray qui a lui-même développé le thème du “religieux dans la mondialisation”.
Le livre s’évertue à démêler les facteurs religieux, politiques, sociaux, ethniques ou territoriaux et à varier les approches, en analysant ces conflits par zones géographiques : en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie, en les situant dans le temps, tout en insistant sur la “mémoire longue des conflits religieux et le lent travail de réconciliation que cela nécessite” c’est ce à quoi s’emploient l’historien Olivier Christin, le sociologue Jean-Paul Willaim et le politologue Theodor Hanf. Par la suite, entraîné par la subtilité de l’analyse d’Olivier Roy, grand connaisseur du monde arabo-musulman, le lecteur plonge dans la complexité des conflits contemporains qui ne se laissent pas réduire à un affrontement entre le religieux et le séculier. Maha Abdel Rahman examine avec minutie la trajectoire politique des Frères musulmans dans l’ère post-Moubarak en Égype ; Christophe Jaffrelot se penche sur l’une des plus grandes démocraties dans le monde : l’Inde et teste la moderation thesis, théorie selon laquelle la participation au jeu démocratique aurait pour effet de “déradicaliser les partis les plus extrémistes”. Jonathan Laurence, quant à lui, soutient qu’en dépit d’une certaine libéralisation politique, les gouvernements démocratiquement élus en Turquie et en Afrique du Nord ont renforcé le monopole étatique sur les affaires religieuses.
L’ouvrage réserve enfin une place de choix aux politiques de laïcités et au rôle difficile des diplomates qui doivent composer entre neutralité face aux conflits de nature religieuse et nécessité d’intervenir à l’étranger au nom des droits de l’homme, pour défendre les libertés religieuse de certaines communautés vulnérables.
La dernière partie regroupe des témoignages de diplomates, professeurs et même chefs d’entreprise qui nous font bénéficier d’autres approches, plus concrètes des questions religieuses au niveau international et nous permettent de mieux saisir l’importance du rôle des médiateurs qui servent de complément utile aux négociations politiques. Une constatation s’impose : dans une situation de conflit, la variable religieuse est intriquée à d’autres facteurs politiques, sociaux, identitaires ou territoriaux. Il revient aux politiques de les démêler.
Le sujet abordé dans cet ouvrage n’est pas aisé à traiter d’autant plus que les enjeux religieux ne cessent d’évoluer. Les regards croisés de chercheurs de différentes disciplines offrent l’avantage de cerner en profondeur et avec objectivité tous les thèmes traités évitant le piège de juger selon des apparences trompeuses et des explications simplistes des conflits de nature religieuse.
Avec les contributions de Laurent Fabius et Régis Debray
La diplomatie au défi des religions – Tensions, guerres et médiations
Avec les contributions de Laurent Fabius et Régis Debray
Sous la direction de Denis Lacorne, Justin Vaïsse, Jean-Paul Willaime
Odile Jacob, 2014
260 p. – 24,90 €