Le pays des Européens de Sylvain Kahn et de Jacques Lévy entre en Europe sous l’angle singulier de l’espace : ses territoires, ses réseaux et les temps longs de la géohistoire. Ce faisant, il éclaire le citoyen européen par ses propositions innovantes, soulignant que l’Europe est le laboratoire d’un monde habitable ici et maintenant.
Le Parlement européen, élu au suffrage universel direct, fête ses quarante ans. Mais c’est la première fois de leur histoire que des élections européennes sont aussi cruciales, aussi clivantes et aussi décisives que des élections nationales. Avec cette élection, c’est l’idée même d’Europe et de ses effets, qui est en jeu, non seulement au niveau local et régional, mais également au niveau international.
Ce livre aborde l’Europe sous l’angle de l’espace. Il entre dans les problématiques européennes par la dimension géographique du monde social : « par la dynamique territoire/réseau, par les spatialités des Européens et par les temps longs de la géohistoire ». Se réclamant d’une démarche de « science citoyenne », il vise à éclairer les citoyens européens dans un débat, souvent faussé par les approximations et les contre-vérités, sur la vie politique de l’Union européenne et les enjeux de l’Europe.
Quatre orientations de la pensée guident la démarche des auteurs. Il s’agit en premier de « changer de lunettes » pour se donner les moyens de regarder l’Europe en dehors des clichés qui l’encombrent. L’Europe est en effet tout d’abord une société, un ensemble multidimensionnel de réalités sociales mettant en cohérence des composantes fortement interreliées : l’économique, le sociologique, le spatial, le temporel. Les auteurs montrent la force des liens puissants et multiples qui unissent les Européens, les distinguent des habitants d’autres régions du Monde et font de l’Europe une société.
L’Europe n’est pas un miracle c’est une histoire et une géographie ».
« Protégée des multiples invasions, l’Europe s’invente. C’est parce qu’elle se trouve en position d’abri géopolitique qu’on peut commencer à parler d’Europe comme véritable espace et non comme d’une simple localisation sur le globe ». Le développement de cette idée s’appuie sur le devenir forgé jour après jour par les Européens qui ont pu inventer dans leur société quelque chose de nouveau : « un ensemble de pluralités en matière de religion, d’idées et de systèmes politiques, de courants culturels ou de modes de vie ; une pluralité qui porte sur la diversité des conceptions du monde […] L’Europe d’aujourd’hui n’est pas une lutte abstraite, elle est la condensation de processus qui ont forgé son espace et abouti à une demande d’intégration » affirment les auteurs soulignant néanmoins le problème avec le futur de l’Europe « aggravé par les lourdeurs nationales ».
À travers l’histoire de la construction européenne déjà pleine de rebondissements, les auteurs abordent la seconde orientation de leur pensée qui vise à réfuter l’idée selon laquelle le processus de la construction européenne n’aurait été démocratique qu’en apparence. Se fondant sur des exemples précis de nombreuses exceptions arrachées non seulement par le Royaume-Uni, mais aussi par l’Irlande, le Danemark, la Pologne etc, ils affirment que « La géographie variable témoigne de la plasticité coopérative et non contraignante de cette fédération européenne d’États-nations dont la souveraineté demeure dans de nombreux domaines, à rebours de tout néo-impérialisme ». « Le cas du Brexit rappelle de façon visible que l’UE fonctionne selon un principe de fédéralisme démocratique. La construction européenne s’accroît sur la base d’adhésion volontaire, la totalité des territoires fédérés respecte le choix de celui qui décide de se retirer de leur union et de leurs institutions et de l’accompagner dans ce processus par la négociation. L’Europe est le pays des alteridentités, le fédéralisme est l’une des réponses institutionnelles à la multi-appartenance » affirment Sylvain Kahn et Jacques Lévy.
Pour prendre la mesure des enjeux contemporains, ils n’hésitent pas à aborder le thème de « l’illibéralisme contre les Lumières » qui se joue essentiellement en Europe de l’Est. « Le Rideau de fer est tombé mais il serait toujours dans les têtes, dans les mentalités dans les pratiques, dans la culture politique » écrivent-ils. « Les Européens de l’Est n’avaient pas demandé à être des pays communistes. Mais la liberté retrouvée s’accompagnerait de la résurgence et du réveil de la nature profonde de ces sociétés : la démocratie n’y aurait pas vraiment pris souche » ajoutant que l’illibéralisme n’est pas propre à l’Europe orientale.
Dans ce qu’il est convenu d’appeler l’illibéralisme il y a deux éléments : le nationalisme et la dévalorisation de l’État de droit.
Conscients de la problématique migratoire, les auteurs recommandent de sortir de l’affrontement européen du « manichéisme migratoire » en posant clairement les problèmes. À cet effet, un vaste débat citoyen sur les principes d’une politique migratoire mériterait d’être mené dans l’ensemble de la société européenne en tirant part de toutes les ressources de la démocratie interactive ; aux Européens d’en décider pour montrer en quoi les citoyens ont leur rôle à jouer et auront au bout du compte le dernier mot, soulignent Sylvain Kahn et Jacques Lévy.
Les seize chapitres qui composent ce livre brossent une image de l’Europe d’aujourd’hui et peuvent se lire séparément. Ils avancent des propositions pour une Europe qui témoigne de son histoire, sa géographie, son identité et qui ne cesse de se construire.
Le pays des Européens
Sylvain Kahn, Jacques Lévy
Odile Jacob, 2019
222 p. – 19,90 €