Symbolisme, « mimétisme historique », prêches enflammés, usage immodéré des moyens de communication constituent des armes percutantes de la stratégie de persuasion de l’ organisation de l’État islamique. Lorsque le 29 juin 2014, le chef de cette organisation, Abou Bakr al-Baghdadi, s’autoproclame « calife » sous le nom d’Ibrahim, à la grande mosquée de Mossoul, il annonce ainsi avec autorité la restauration du califat. Son prêche entérine le retour d’une institution plus que millénaire. Ni la date ni le lieu ne sont anodins, c’était le premier jour de ramadan de l’an 1435 de l’hégire. Mathieu Guidère plante ainsi le décor.
Connaisseur avisé du monde arabo-musulman, professeur des universités, professeur d’islamologie à l’Université de Toulouse, il aborde avec clarté et pédagogie les origines du califat, analyse son évolution au fil des siècles pour affirmer enfin que le projet de cette organisation est « plus enraciné qu’il n’en a l’air ». Même si le mot Khalîfa signifie littéralement « successeur », tous les successeurs de Mahomet admettaient que la fonction prophétique s’était éteinte avec lui, d’où l’expression « sceau des prophètes » le concernant, mais ils entendaient tous assumer des fonctions de chef spirituel et de chef temporel de la communauté musulmane et appliquer la charia, explique l’auteur. Le calife devient avec le temps un personnage suprême du pouvoir et les dynasties califales s’acheminent vers des théocraties de droit divin qui allaient « modifier l’image du calife et le sens de sa mission. Désormais, au cœur de la relation entre le souverain et la communauté se trouvait le serment d’allégeance, qui fut sanctuarisée, comme un contrat moral indéfectible, prenant Dieu à témoin, liant le calife représentant de Dieu à tous les fidèles de la foi ; et non pas seulement aux tribus alliées. Le principe de choix pratiqué sous les premiers califes passait au second plan ; il était remplacé par l’idée d’élection divine » écrit-il.
Mathieu Guidère détaille les orientations et les objectifs des califats d’Orient : les Omeyyades à Damas, les Abbassides à Bagdad, le califat du Caire. Il aborde ensuite les trois dynasties califales d’Occident musulman (Maghreb et Andalous). Le premier est d’obédience chiite ismaélite qui s’implante au Maghreb oriental et central, le deuxième d’obédience sunnite qui domine l’Espagne musulmane (Andalous), le troisième est le califat almohad de nature hybride chiite et sunnite qui règne sur le Maghreb et une partie de l’Andalous. Quelles que soient les obédiences et orientations, tous ces califats « reflètent dans l’histoire musulmane et dans la perception contemporaine un désir d’unité et de communion par-delà les dynasties et les frontières ».
Un chapitre spécifique est consacré au califat ottoman marqué par un double processus de « désacralisation » du titre islamique suprême et de « turcisation » de la fonction califale. Il demeure le seul califat panislamique et non arabe inscrit dans la durée. « Sa domination au cours de l’époque moderne a permis de détacher, dans la conception du gouvernement islamique, la direction spirituelle de l’islam (commandeur des croyants) de l’origine ethnique du souverain (arabe) » précise l’auteur.
Malgré la suppression du califat en 1924, le rêve d’unité de la communauté musulmane est toujours d’actualité. Il est le résultat de l’échec d’une autre idée celle de « l’État-nation » longtemps promue par l’Occident. Mathieu Guidère soulève enfin une idée défendue par certains intellectuels arabes « au-dessus de tout soupçon islamiste » à savoir l’avènement d’« un califat panislamique » qui « semble plus en phase avec l’ère de la mondialisation, de l’ouverture des frontières nationales et de l’affirmation des grands ensembles politico-culturels ». « Cette idée-là sera difficile à déraciner en l’absence d’une alternative idéologique et d’un projet politique crédible » affirme l’auteur.
Le livre de Mathieu Guidère a le mérite de guider le lecteur dans le labyrinthe complexe des multiples organisations islamistes. La dimension historique des différents califats procure à l’ouvrage une plus grande intelligibilité au phénomène du « retour du califat » prôné par l’organisation de l’État islamique.
Mathieu Guidère
Gallimard, le Débat
176 p. – 16 €