Rarement comme aujourd’hui la science n’aura été autant en tensions. C’est bien du scientifique que la société attend désormais la lumière.
L’espoir suscité par le Professeur Raoult à Marseille est de ce point de vue révélateur de l’immense « croyance » qui s’est levée dans nombre de pans de la société. Or, comme toute « croyance » , cette foi-là comporte sa part d’incertitudes. L’opinion, à la faveur de cette crise, découvre maladroitement le fonctionnement scientifique, ses convulsions aussi, son intrinsèque autonomie. C’est une constante de l’histoire des sciences que cette dernière est traversée de controverses.
Pour la première fois peut-être, sous l’aiguillon d’un événement mondial hypertrophié par une loupe médiatique permanente, une dispute entre savants sort des cercles académiques pour épouser tout le périmètre de l’espace public. C’est en France que cette subite sur-visibilité de la confrontation entre chercheurs se développe avec le plus de passions, une passion toute « française » comme pourrait l’écrire le grand historien britannique Théodore Zeldin. La science avance dans le débat entre pairs, ces débats sont parfois violents, ils n’excluent pas non plus des sentiments humains où se déploient parfois aussi des arrière-pensées travaillées par d’autres intérêts que ceux de la seule recherche de la vérité.
Les enjeux de pouvoir sont tout autant présents dans le champ scientifique que dans les autres secteurs de la société.
La querelle autour de l’usage de l’hydroxychloroquine est traversée tout à la fois par des querelles méthodologiques mais aussi par des luttes d’ego, des réflexes corporatistes entre tenants de l’ordre politique de l’académisme et partisans d’une science qui s’en défient. Ce que laisse transparaître la polémique relève également d’un registre où se mêle des affrontements épistémologiques qui objectivent les lignes de fracture au sein du paysage institutionnel de la recherche.
La position de Didier Raoult va au-delà de la seule question de l’opportunité ou non de l’administration d’un traitement : elle constitue une critique paradigmatique d’une certaine doxa, celle notamment des grands essais cliniques « randomisés » qui à ses yeux traduisent une bureaucratisation de la démarche scientifique et une inhibition de l’esprit médical confronté à l’épreuve des patients.
C’est aussi cette crise des institutions scientifiques que dit la crise sanitaire.
Il y aura forcément un « monde d’après » pour ces dernières dont le quasi-silence ne contribue pas à infléchir « le bruit et la fureur » du moment.
Arnaud Benedetti
Rédacteur en chef