• Contact
  • Abonnez-vous
  • Contribuez
Panier / 0,00 €

Votre panier est vide.

Lire Le dernier numéroLe dernier numéro
Revue Politique et Parlementaire
  • Se connecter
S'abonner
  • Politique
  • International
  • Economie
  • Culture
  • Société
  • Science et technologie
  • Nos événements
    • Événements à venir
    • Événements passés
  • Boutique
    • Les numéros
    • Abonnement
  • La cité des débats
    • Aimons-nous encore la liberté ?
    • Faut-il avoir peur de l’avenir ?
Aucun résultat
Voir tous les résultats
Revue Politique et Parlementaire
  • Politique
  • International
  • Economie
  • Culture
  • Société
  • Science et technologie
  • Nos événements
    • Événements à venir
    • Événements passés
  • Boutique
    • Les numéros
    • Abonnement
  • La cité des débats
    • Aimons-nous encore la liberté ?
    • Faut-il avoir peur de l’avenir ?
Aucun résultat
Voir tous les résultats
Revue Politique et Parlementaire
Aucun résultat
Voir tous les résultats
dans Culture, N°1097

L’engagement poétique et politique de l’écrivain Sergueï Lebedev : une recherche du temps présent

Julie GerberParJulie Gerber
25 janvier 2021
L’engagement poétique et politique de l’écrivain Sergueï Lebedev : une recherche du temps présent

Aujourd’hui, il s’avère difficile de se dispenser, à l’occasion du trentième anniversaire de la chute du Mur de Berlin en 1989 suivie de l’implosion de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) en 1991, de réexaminer la période soviétique et post-soviétique. Largement présente dans les médias français ces dernières années, la Russie demeure pourtant lointaine, semble-t-il, aux yeux des Européens. L’œuvre romanesque du jeune écrivain Sergueï Lebedev offre un état des lieux mouvant de la mémoire russe et de son héritage dans la société contemporaine.

Cet écrivain moscovite habitant aujourd’hui en Allemagne a d’abord été géologue, puis journaliste. Entre 2010 et 2018, il a publié une tétralogie qui entrecroise des fragments de son histoire familiale avec les événements majeurs de l’histoire de son pays. Cette œuvre, curieusement mieux connue en Occident qu’en Russie, couvre une période comprise entre le début du XVIIIe et le début du XXIe siècle. La Révolution, le culte de Lénine, le Goulag et les purges staliniennes, la fin de l’époque soviétique sous Brejnev, la pérestroïka de Gorbatchev, la mise sur le devant de la scène de la Fédération de Russie et les années Eltsine, la guerre de Tchétchénie puis l’avènement de Poutine en constituent quelques jalons.

Les trois premiers romans La limite de l’oubli (2010 pour la première parution originale), L’année de la comète (2013) et Les hommes d’août (publié d’abord en Allemagne en 2015, puis en Russie en 2016) sont rédigés à la première personne : chaque récit est assumé par un narrateur anonyme qui enquête sur le passé de sa famille. Le quatrième roman, Gus Fritz (2018)1, écrit à la troisième personne, se distingue des autres à cet égard : tout en gardant la forme de l’enquête familiale, il tient davantage du roman d’aventure ou du roman historique.

Dans ces œuvres, le temps n’est pas linéaire mais circulaire. La grande Histoire s’éprouve dans la petite histoire, dans l’espace clos de la datcha, dans les non-dits de la famille et les lacunes des lettres, des journaux intimes. Chaque roman s’inscrit dans un tissage narratif complexe qui multiplie les récits enchâssés sous forme de souvenirs et de récits de rêves prémonitoires, dans un va-et-vient permanent entre ce qui fut et ce qui est. La tétralogie est conçue de manière à ce que chaque roman puisse être lu indépendamment, pourtant l’ensemble forme un tout organique, parcouru par la même question : comment vivre avec notre héritage, que faire de notre mémoire ? L’œuvre touche à des thèmes sensibles non seulement en Russie, mais aussi dans nos civilisations européennes hantées par la mémoire des régimes totalitaires du XXe siècle, les problèmes liés à l’écriture et la transmission de l’Histoire, mais aussi les tensions politiques Est/Ouest. Sergueï Lebedev, tout comme Svetlana Alexievitch (prix Nobel de littérature en 2015), offre un témoignage dévoilant le passé au cœur du présent.

Nous souhaitons présenter la logique et les enjeux de cette tétralogie de la mémoire avant d’exposer l’engagement de l’écrivain, à l’intersection entre investigation littéraire et militantisme politique.

La transmission de la mémoire en Russie

Après les nombreux témoignages à notre disposition sur les tragédies du XXe siècle, c’est la question de l’ « assimilation » de l’événement par les générations suivantes qui se pose au XXIe siècle. Ce vaste champ a commencé à être exploré dans différentes disciplines. Dans le domaine scientifique, des travaux en neurogénétique suggèrent que la mémoire modifie l’expression de nos gènes, et donc qu’un individu peut transmettre à sa descendance une trace du traumatisme personnel ou collectif qu’il a vécu2. Une telle découverte ouvre un vaste champ pour les sciences humaines : explorée par le domaine psychanalytique3, elle corrobore également une intuition que la littérature manifeste depuis longtemps. L’écrivain-chercheur américaine Marianne Hirsch propose ainsi la notion de « post-mémoire » pour désigner la manière dont un traumatisme peut se transmettre aux générations suivantes. Cette notion est devenue un important outil d’analyse pour l’étude des littératures concernant non seulement la Shoah, mais également la colonisation, l’esclavage aux États-Unis, les dictatures en Amérique du Sud et en Europe de l’Est, les génocides arméniens, rwandais et cambodgiens et bien d’autres encore. Il apparaît que les générations d’après se « souviennent » de ces expériences par le biais d’histoires, d’images et de comportements au milieu desquels elles ont grandi. Ces mises en résonance annoncent de nouvelles directions de travail dans le domaine en pleine expansion des memory studies4.

L’histoire de la mémoire de la Russie soviétique, et notamment des répressions et du Goulag, fait aujourd’hui l’objet de nombreux travaux dans les sciences humaines en Europe5.

En Russie, la mémoire des répressions demeure un sujet extrêmement sensible, marqué par un dissensus dans la société civile entre les « pro » et les « anti » Staline, alors que la ligne du gouvernement est assez claire à cet égard.

Après la mort de Staline en 1953, la population vivait encore dans la crainte. Le processus de déstalinisation lancé en 1956 par Khrouchtchev6 lors du XXe congrès du Parti communiste avait commencé à délier relativement les langues7, l’opinion officielle était négative à l’égard du chef d’État défunt. Or, quelque cinquante ans plus tard, en avril 2011, un sondage réalisé par le centre Levada a montré que le rôle de Staline dans l’histoire du pays était considéré comme « positif » par 45 % de la population russe8. Après ce résultat, le président Medvedev avait proposé un projet de déstalinisation, sans succès si l’on en juge par le fait qu’aujourd’hui, la moitié de la population éprouve « du respect et de la sympathie » pour la figure de Staline9. Le sociologue Lev Goudkov souligne que la popularité du « Petit père des peuples » concorde exactement avec l’arrivée de Poutine sur la scène politique10. Depuis le début du XXIe siècle, plus de cinquante bustes ou statues de Staline ont été installés dans l’espace public en Russie, en particulier dans des musées locaux ou des écoles, la plupart de ces monuments étant le résultat d’initiatives populaires. Ce renouveau du culte de la personnalité a certes des raisons complexes11, il n’est pas uniquement le résultat d’une propagande de l’État. Toutefois, bien instrumentalisé par lui, il permet de légitimer certaines valeurs et méthodes du stalinisme comme la violence, la primauté de l’État sur l’individu et l’idée que « la fin justifie les moyens ». Les répressions staliniennes sont présentées comme un mal nécessaire à l’industrialisation du pays afin de recréer une continuité entre l’époque soviétique et l’époque contemporaine.

À l’autre pôle, une ONG russe de défense des Droits de l’homme, Mémorial, travaille à entretenir la mémoire des répressions : elle établit des monuments et des lieux de mémoire12, constitue et entretient un fonds d’archives contenant les dossiers des victimes et offre son appui à ceux qui souhaitent connaître le sort de leurs proches disparus. En 2014, l’association a été classée « agent de l’étranger »13 par le gouvernement, ce qui la décrédibilise auprès de certains acteurs et complexifie l’ensemble de ses démarches. Une telle décision est cohérente de la part d’un pouvoir qui entend réécrire l’Histoire pour restaurer son image.

Nous ne reviendrons pas sur la question des musées du Goulag et de l’histoire soviétique en Russie : il est connu qu’ils sont souvent partiels et ne présentent pas forcément une vision objective ou cohérente des faits14. Quant aux lieux souvent reculés ayant abrité des Goulags, ils risquent de sombrer dans l’oubli puisque la nature y reprend ses droits et efface les traces dans l’indifférence générale. Sur l’absence alarmante de patrimonialisation de ces espaces, nous renvoyons à une documentation éclairante déjà constituée15. En revanche, les apports de la littérature contemporaine pour comprendre ces phénomènes n’ont pas été suffisamment soulignés.

La littérature semble pourtant la plus à même d’exploiter à la fois le récit familial et ses failles pour mobiliser la mémoire collective et ses oublis.

La prose de Lebedev, classée en Russie dans la catégorie « littérature intellectuelle », trouble par sa dimension à la fois poétique et analytique. Le lecteur peut y sentir des influences proustiennes : à travers des phrases étirées, le narrateur décrit minutieusement ses souvenirs, s’efforçant de saisir l’insaisissable. La prose pourrait être qualifiée de postmoderne dans sa structure végétale, « rhizomique » pour reprendre les termes de Deleuze et Guattari. Le rêve, l’hallucination et la réminiscence s’entrecroisent dans une trame principale très relâchée. Les points de contacts entre les divers récits, les différentes couches de conscience et de souvenirs, sont flous : le lecteur peut s’y perdre, mais cela relève du jeu.

Cet univers fictionnel prend place dans les territoires désertés de la Russie et de l’ex-URSS. Il s’inscrit parfaitement dans la sphère de l’« abandonologie »16, que la chercheuse italienne Claudia Pieralli définit dans un article comme un « champ de recherche pluridisciplinaire qui porte sur des lieux abandonnés et déchus dont l’histoire est reconstruite à travers diverses formes de narration17 ». Les récits sont semés d’ekphrasis, descriptions détaillées et évocatrices portant sur des espaces marginalisés où se mêlent des fragments d’objets, des machines rouillées et des ossements dans une composition marquée, justement, par la décomposition. Explorateur de ces espaces en marge dont il nourrit sa réflexion, le héros de Lebedev présente toutes les caractéristiques de l’abandonologue. Il s’attribue lui-même plusieurs rôles, ce que résume la chercheuse en affirmant qu’il est à sa manière « un anthropologue, un historien et un témoin, mais aussi un visionnaire, un passeur de la parole des morts, un thaumaturge18. »

Lebedev a assisté, enfant, au temps des grands bouleversements puisqu’il avait une dizaine d’années lors de l’effondrement de l’URSS. En tant que jeune adulte, il a appris à composer avec le poids du passé et la mémoire lacunaire qui l’accompagne, et cherché à comprendre les mécanismes psychologiques qui ont entraîné les événements historiques. C’est également la situation de son narrateur. Ainsi, même si rien ne laisse penser que ces romans sont d’inspiration autobiographique, les différents entretiens dans lesquels se livre volontiers Lebedev suggèrent que le narrateur serait pour lui une forme d’alter ego.

Aperçu d’une tétralogie de la mémoire

Si le narrateur semble toujours le même dans les quatre romans, il est chaque fois légèrement remodelé pour s’adapter aux conditions historiques qu’il décrit. Selon l’auteur, chaque nouveau roman implique un nouveau thème donc un nouveau style et, d’une certaine manière, un nouveau genre19. La continuité entre les œuvres est toutefois assurée par le fait que le narrateur montre le même « regard », la même sensibilité au réel. Les problématiques qui surgissent tracent un fil continu : les secrets familiaux, l’héritage de la peur, le poids du silence…

En outre, le narrateur ne se départ jamais de son ethos d’enquêteur ni de son style analytique et minutieux. Le fait que les données autobiographiques varient (selon les romans, il est né en mars 1977 ou en août 1980) ne remet pas en question l’impression qu’il s’agit d’une seule et même personne. Ce n’est pas un personnage consistant, ni vraiment agréable. Les épisodes qu’il relate, y compris les plus introspectifs, semblent détachés de lui-même, comme s’il analysait scientifiquement le fonctionnement de son propre cerveau. Très cérébral, tout en retenue, il apparaît comme un personnage assez froid, auquel on peine à s’attacher. Sa sensibilité exacerbée à toutes sortes de signes du réel – comme les reflets, les échos, les vibrations… – ne le rendent pas sympathique pour autant, car c’est d’une sensibilité presque mécanique, sismographique qu’il s’agit. D’une personnalité inquiète, il analyse les moindres détails de son environnement pour y trouver des réponses à ses questionnements existentiels. Ses hallucinations visuelles et auditives, ses interprétations, son impression générale que le monde est mû par des forces diaboliques font de lui un narrateur paranoïaque, particulièrement dans le premier roman.

Cependant, cet effacement du « moi » est nécessaire, cohérent. Dans la mesure où le narrateur se déclare porte-parole d’une communauté : il met l’accent sur son projet et non sur son individualité.

Dans les quatre romans, le narrateur mentionne le fait qu’il est le produit d’un mélange entre deux principes vitaux difficilement compatibles : dans L’année de la comète, il s’agit de ses deux grands-mères issues de milieux différents, l’une paysanne, l’autre aristocrate, qui incarnent des rapports antithétiques au passé et à la mémoire. Dans Gus Fritz, la dualité se joue entre ses ancêtres allemands et russes : après des siècles d’échanges, leurs deux nations s’affrontent dans un combat meurtrier ; or, « L’Allemand – c’est l’Allemand, et l’image spécifique russe de l’étranger d’une manière générale, […] un homme proche, presque nôtre, mais en même temps étranger, autre. […] Nôtre Autre20. человек близкий, почти что свой, и вместе с тем иной, чуждый […]. Свой Чужой » (N.T.)]. » Le narrateur se plaît à se considérer comme le fruit « impossible » de ces forces contradictoires.

Le premier roman tient à la fois du récit de voyage et de l’enquête métaphysique. L’action de La limite de l’oubli se déroule dans les années 1990. Le début du roman campe la relation ambiguë entre le garçon et celui qu’il appelle l’Autre Grand-Père, un vieillard aveugle mystérieux et menaçant dont il sent qu’il cache un secret. Après sa mort, il découvre des lettres indiquant qu’il avait été directeur de Goulag. Le jeune homme part alors dans la taïga à la recherche des traces du camp. Le narrateur de ce premier roman et l’auteur ont la même passion pour les grands espaces et sont tous les deux géologues. La géographie du roman correspond à des espaces visités par l’auteur lors d’expéditions géologiques, comme il l’indique dans un entretien : « C’est lors de cette expédition [en 1996] que j’ai découvert des traces des camps dans la péninsule de Vorkuta, vers Mourmansk21 ». L’intrigue s’inspire donc de données personnelles, ce qui apparaît également dans un entretien de Lebedev pour la maison d’édition Verdier22. Tous ces éléments figurent dans le roman de manière « radicalisée ». Du grand-père que l’auteur n’a jamais connu, la fiction fait un personnage manipulateur, sadique et même vampirique, qui se dissimule sous une discrète politesse. Le récit fonctionne comme une sorte d’extension fictionnelle de la vie de l’écrivain puisqu’il imagine la relation qu’il aurait eue avec ce grand-père de substitution s’il l’avait connu, à la manière de l’historien Ivan Jablonka dans Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Comme l’auteur, le narrateur est confronté au silence étouffant de sa famille : « Mes paroles allaient se perdre, faute d’autres mots qui auraient dû être prononcés plus tôt, par d’autres – et ne l’avaient pas été23 ». Auteur et narrateur se sentent investis d’une mission : exprimer une parole pour les vivants au nom des morts.

Il ne s’agit pas de revenir comme un historien sur l’expérience du Goulag, ni de se substituer au témoin mais, dans un entretien, Lebedev place son œuvre dans le prolongement de celle de Varlam Chalamov et Alexandre Soljenitsyne : « Ils n’étaient pas intéressés par la “présence” du camp dans la vie normale : ils s’occupaient de révéler l’atrocité. Moi, j’ai voulu parler de l’héritage de ce passé. » La parution de Une journée d’Ivan Denissovitch en 1962 a provoqué un séisme en URSS comme en Occident, la découverte de Chalamov en Europe a été tardive mais exponentielle : la force de ces écrivains du camp est d’avoir trouvé un langage juste pour révéler la vérité. Lebedev, lui, cherche à résoudre un problème qui se pose à sa propre génération : vivre avec un héritage personnel et collectif qui n’a pas été discuté, construire sur le silence et l’oubli.

Le second roman, L’année de la comète, prend la forme plus traditionnelle d’une chronique intime et se présente comme une enquête du passé familial. Ce roman est au plus près de l’expérience biographique de l’auteur24. Le narrateur y fait le portrait de ses grands-mères qui ont chacune façonné sa personnalité et influé sur son destin : Tania, d’ascendance noble, et Mara, d’origine paysanne. En 1986, la famille se prépare à voir la comète de Halley déjà observée en 1910 : autour des deux événements qui n’en font finalement qu’un, des liens entre les temps se tissent. Ce roman survient, semble-t-il, comme une parenthèse entre le premier et le second. Plus que tous les autres, il est centré sur les protagonistes et sur l’espace du cocon familial.

Le troisième roman, Les hommes d’août, est un roman d’aventure mais il comporte également une part biographique. Il commence en août 1991, au moment du putsch auquel s’oppose Eltsine. L’auteur raconte dans une interview pour le journal russe SNC qu’il avait trouvé, dans la maison de ses parents, une médaille reçue en 1937 par le deuxième mari de sa grand-mère, un tchékiste ensuite disparu25. D’autres éléments concernant la biographie de sa grand-mère paternelle « réelle » sont présents dans le roman, comme sa profession de rédactrice dans un journal, son origine aristocratique, sa nombreuse famille décimée. Le journal intime de la grand-mère dont le narrateur a hérité ressemble en tous points à celui qui a été transmis à Lebedev par sa propre grand-mère. Le narrateur, enquêteur de l’âme dans les deux premiers romans, devient un enquêteur professionnel. En plus de son projet personnel qui consiste à élucider la biographie de son grand-père, il travaille pour des « clients ». Il consulte les archives du KGB, les bibliothèques, se fait fabriquer de fausses cartes de visite, fréquente un polygone top-secret. Toujours en quête de racines, mais cette fois de celles des autres, le narrateur devenu un véritable détective parcourt des régions reculées de l’ex-URSS jusqu’au fin fond du désert, où il est confronté aux bandits de tous bords, et traverse les guerres de Tchétchénie. Beaucoup plus riche en dialogues, en ponctuation, en noms et en dates, ce troisième récit semble expliciter tout ce qui est contenu en germe dans le premier.

Dans Gus Fritz, le quatrième roman, le héros porte enfin un nom : il s’appelle Kirill. Cette fois-ci, il n’est pas géologue mais historien. Sa grand-mère, peu de temps avant sa mort, lui révèle un secret : toute sa famille était allemande. Kirill interrompt ses projets de carrière dans de prestigieuses universités étrangères et entreprend l’écriture d’un livre pour retracer l’histoire de ses mystérieux ancêtres allemands. Pourquoi son arrière-arrière-grand-père Balthazard Schwerdt, médecin homéopathe, a-t-il décidé d’émigrer en Russie à la fin du XIXe siècle ? Quel a été son parcours et celui de sa famille ? Kirill se rend en Allemagne pour tenter de reconstituer en lui-même ce que ses ancêtres ont éprouvé. L’enquête se poursuit chronologiquement jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, entrecoupée des réflexions et doutes du jeune historien qui prend toujours soin de comparer et mettre en perspective les différentes époques, de souligner leurs convergences, les effets d’échos. Là encore, les éléments biographiques comme la profession des ancêtres, les dates et les lieux concordent en grande partie avec la fiction. C’est tout le liant entre les événements qui relève de la création : le héros formule des hypothèses, il reconstruit sa propre « microhistoire ».

Malgré cette continuité, le lecteur constatera une évolution dans la manière de traiter le sujet, qui correspond à une évolution du narrateur lui-même. D’abord contemplatif et méfiant, s’exprimant dans un long monologue méditatif, le narrateur se transforme dans le troisième roman en un homme d’action mûr, énergique et sûr de lui. Les relations avec les autres personnages évoluent. Le « premier » narrateur, solitaire, ne nomme pas les gens qu’il rencontre et ses interactions avec eux sont minimales. Il n’y a quasiment pas de dialogues au discours direct. Les deux mentions furtives de relations amoureuses sont marquées par l’échec, l’impossibilité de partager quelque expérience que ce soit, dans le corps ou dans la parole. Le « deuxième » narrateur, au contraire, est entouré de collègues, d’amis, d’ennemis aussi, et finit par se marier. Il affirme ses émotions de manière explicite, et un certain humour vient apporter un peu de fraîcheur dans une prose d’un grand sérieux. Le premier narrateur est tout en nuances, en hésitations, son élément est l’eau : il se déplace en barque, longe les fleuves, erre dans les marais, fait face à l’océan. Comme l’eau, la prose coule abondante, lente et dense ; et comme l’eau, le narrateur est transparent. Au fil des romans, le narrateur s’affirme, devient adulte et c’est l’élément minéral qui le caractérise alors qu’il traverse les déserts sableux des anciennes républiques socialistes : « Je voyageais à travers des territoires disloqués, sur des lignes de fracture intérieures de l’URSS »26, « L’au-delà de l’URSS. Le paysage convenait parfaitement pour ce rôle. Ce n’était plus une steppe desséchée comme au début de mon voyage, mais un semi-désert pierreux parsemé de mamelons de granit27. » Les réponses ne sont plus à trouver dans les replis de sa mémoire ou dans ses rêves mais sont données par des archives et des témoins. De « visionnaire de la mémoire », le narrateur devient, selon sa propre expression, « psychothérapeute de l’histoire28». Le quatrième roman, sans doute le plus harmonieux et aussi le plus classique par sa structure, retrouve le ton méditatif et poétique des deux premiers tout en empruntant l’esprit d’aventure et les méthodes d’investigation du troisième.

Ainsi, la tétralogie peut se lire comme une somme de diptyques dont les deux premiers seraient plutôt consacrés à l’exploration du monde intérieur et les deux derniers à celle du monde extérieur. Tout au long de ce cycle romanesque, la quête familiale est prétexte à approcher l’histoire de la Russie. D’une rare densité poétique, cette prose n’en est pas moins politique.
Elle s’ancre en effet dans une réalité qui affecte en ce moment même la Russie, du moins la partie civile qui se préoccupe de son héritage mémoriel. Lebedev s’est engagé ces deux dernières années dans une affaire au cœur de la guerre des mémoires.

La place de l’écrivain : un engagement politique

Cet engagement s’est exprimé à l’occasion de l’affaire concernant Iouri Dmitriev, historien des répressions staliniennes poursuivi par la justice russe pour ses activités « dérangeantes »29.

Dmitriev est le représentant en Carélie de l’association Mémorial. Pendant vingt ans, il s’est donné pour mission de documenter les répressions de la Grande Terreur stalinienne de 1937-1938, localiser les fosses communes et identifier les corps. Son plus gros chantier est celui de Sandarmokh, un important lieu d’exécutions dans une forêt de pins, non loin de la frontière finlandaise. Près de neuf mille victimes sans sépulture y reposent. Transformée en lieu de mémoire, la forêt est visitée chaque année par des personnes issues de différents pays et confessions pour rendre hommage aux victimes. Le rassemblement a lieu le 5 août, anniversaire de la circulaire n° 409 du 5 août 1937 qui établit des quotas de fusillés dans les camps du Goulag. Parmi les victimes, soixante nationalités et onze confessions ont été répertoriées. Dmitriev a contacté différentes communautés (Baltes, Polonais, Ukrainiens, Biélorusses…) et les a encouragées à édifier elles-mêmes des monuments, à réfléchir leur sentiment d’appartenance à la communauté. Il a également réalisé plusieurs Livres de Mémoire répertoriant les noms des victimes.

L’affaire a débuté en décembre 2016 : Dmitriev a été accusé de production de pornographie juvénile, puis de détention illégale de parties d’une arme à feu. Son arrestation présente un caractère clairement politique. Une campagne a donc été lancée pour sa défense en Russie et à l’international30. Dmitriev a été acquitté en avril 2018 mais un nouveau procès a été ouvert deux mois plus tard. Dmitriev risque quinze ans de prison. Cette histoire s’inscrit dans le contexte de réécriture du discours public déjà évoqué concernant les répressions staliniennes. L’État montre de plus en plus d’hostilité envers certains militants, qui se voient marginalisés et suspectés. L’engagement de Lebedev pour cette affaire prend la forme de quatre actes que nous nous proposons d’examiner en nous appuyant sur des articles de la presse russe.

En septembre 2017, Lebedev rédige une tribune pour Solta, un journal culturel indépendant en ligne, intitulée « Dmitriev. L’écrivain Sergueï Lebedev écrit sur l’homme qui nous sauve tous31 », dans lequel il affirme son soutien à cette cause et à l’homme qui l’incarne. L’écrivain y fait l’éloge de la personnalité et des méthodes de l’activiste. Il souligne la finesse de son approche : Dmitriev n’accomplit pas le travail de mémoire à la place des autres, mais travaille à faire prendre conscience de l’importance du passé pour chacun. Les tombes symboliques, les déclarations abstraites, les constructions muséales dans lesquelles personne ne se reconnaît ne l’intéressent pas. Ce qu’il cherche, ce sont des preuves aussi concrètes que des corps, des crânes percés. Ensuite, il revient à chacun d’édifier son propre monument à sa manière, de prendre en charge sa partie de l’Histoire.

Lebedev énumère les facteurs qui ont fait que le lieu est resté marginalisé : « Les camps staliniens sont commodes pour l’oubli – ils sont tout simplement détruits par les constructions urbaines, l’industrialisation des années soixante, ou bien se trouvent dans un “là-bas” indéfini, proche de l’abstraction du cercle polaire, loin des yeux et de la mémoire32. » Dans cet essai, le lecteur de Lebedev peut reconnaître tous les thèmes présents dans son premier roman, parfois même certaines formulations : « On a privé [les morts] non seulement de vie, mais aussi de mort, de cette mort culturelle, rituelle qui exprime la valeur de chaque vie humaine, l’idée de l’immortalité de l’âme et pose les fondements de la mémoire33 ». C’est ce qu’exprime le héros de son dernier roman : « Être fusillé en secret, incinéré en secret et jeté dans une fosse commune signifie ne pas mourir, mais s’enfoncer dans le Métro des morts, dans le souterrain des fantômes, des âmes errantes, privés de sépulture, privés de la mort qui se produit dans les cœurs des vivants, dans le rite d’adieu ouvert34. » Il est encore question de ces corps de condamnés parfois simplement recouverts de neige, qui ne se sont pas décomposés jusqu’à aujourd’hui, ce que le héros de Lebedev constate de ses propres yeux à la fin du récit. La mort en ce sens-là n’est donc advenue ni physiquement, ni symboliquement.

En février 2018, à la demande du même journal, Lebedev se rend à Pétrozavodsk pour un entretien avec Dmitriev35. Au début de l’interview, Lebedev le décrit comme quelqu’un qui cherche à « rétablir les liens entre les temps, les liens du destin, se tenir sur la trace du passé36 », ce qui correspond à ce que son narrateur dit de lui-même. Dmitriev évoque sa propre histoire : « Voilà, je demande à ce que les diasporas nationales mettent des monuments à Sandarmokh. Et je me dis : peut-être que c’est une manière pour moi de chercher mes racines37 ? » Cette quête de soi, c’est aussi ce qui motive le narrateur de Lebedev lorsqu’il part sur les traces de l’Autre Grand-Père. Dmitriev raconte la manière originale dont il a constitué le Livre de Mémoire, en classant les victimes selon le village dans lequel ils se trouvaient lorsqu’ils ont été arrêtés : « Beaucoup m’ont reproché le fait que le livre soit construit non par ordre alphabétique, mais selon un principe territorial. “Comme ça j’aurais pu feuilleter vite fait, trouver facilement…” Et moi je dis : non, garçon, tu ne vas pas trouver “vite fait”. Si tu ne sais pas d’où vient [ton ancêtre], où sont ses racines, tes racines, tu reliras le livre trois fois, tu m’injurieras, mais tu n’oublieras pas d’où tu viens38. » Lebedev lui demande des précisions sur ses méthodes de recherche : « Quand tu arrives sur place, il faut travailler avec les gens. Les gars, où est-ce que vous n’allez pas ? Bon, vous allez bien chercher des champignons, où est-ce que vous en avez le plus ? Là, là, là. Et où vous n’allez pas ? Ben, là, là, là. Et il y a quoi là-bas ? Pas de champignons ? Si, si, il y en a… Mais on ne va pas là-bas. C’est qu’à un niveau inconscient, depuis ce temps-là, à travers les grands-parents, à travers les parents se transmet l’idée qu’il ne faut pas aller là-bas. Même s’il y a des champignons, c’est un mauvais endroit. Évidemment, c’est dans ces mauvais endroits que tu dois aller voir en premier39. » À la question de Lebedev concernant la capacité à se confronter à tant d’horreur et de douleur, Dmitriev répond sobrement : « Ma mission consiste à convaincre les autorités qu’il s’agit des tombes de victimes des répressions. Et du point de vue purement religieux, à faire de ces fossés incompréhensibles des ci-me-tières. Un lieu où les gens pourront se re-cueill-ir40. » Le parallèle entre ce qui se trouve dans le premier roman de Lebedev et ce qui se joue en Carélie septentrionale est frappant, et laisse penser que si le personnage de Lebedev avait un visage (et plus d’humour), ce serait celui de Dmitriev.

Quelques mois plus tard, en août 2018, Lebedev écrit une troisième fois pour Solta sous la forme d’un essai sur ce que doit être une politique mémorielle. Le thème est le même mais cette fois le ton est plus radical, la critique du gouvernement est tout à fait explicite41 : « Il n’y a qu’en Russie que [la Seconde Guerre mondiale] est, et de plus en plus, la ressource stratégique d’une actuelle propagande politique ; la source d’un capital moral qui “légitime” le droit du gouvernement à l’agression intérieure et extérieure au mépris de la vie humaine42. » Lebedev dénonce un culte de Staline toujours actif sous différentes formes : « La guerre sainte et la Victoire sont les objets d’un culte qui se compte en décennies, et que l’on peut parfaitement appeler une religion laïque. Ce culte en appelle à la foi et à la vénération, il est hors de toute rationalité et donc se trouve en contradiction profonde avec la mémoire, l’histoire, qu’il prétend servir43. » Lebedev n’hésite pas à qualifier le régime de totalitaire et explique les fondements du culte qui s’est mis en place : « Tout régime totalitaire a besoin d’une légitimation surnaturelle, étant donné qu’il ne peut la recevoir par des moyens ordinaires, démocratiques. Pour l’URSS de Staline, la légitimation était pour beaucoup Staline lui-même. Il est mort. Il reste un vide béant dans la représentation métaphysique du monde. Et ce vide, il fallait le remplir. Personne ne pouvait plus devenir un nouveau dieu. Et il est apparu que dans l’espace sacré il y a un phénomène qui lui est comparable : la Victoire44. »

Le dernier acte de cette défense est encore en germe. Après avoir publié son premier texte pour la défense de Dmitriev, Lebedev est entré en contact avec Irina Galkova, responsable de l’antenne moscovite de Mémorial à Moscou. Cette rencontre a posé les bases d’une collaboration. Lors de notre entretien avec elle, Irina Galkova a expliqué qu’elle envisageait de poursuivre avec Lebedev un projet engagé avec Dmitriev concernant la mise en valeur de baraques du Goulag abandonnées : « Il y aurait un travail d’expédition à faire, “Topographie de la terreur”, qui inclut Moscou. Nous avons une masse d’informations incroyablement importante à traiter […] puisque le Nord entier est un territoire des camps45. » Plusieurs expéditions dans le Nord, au bord de la mer Blanche, ont déjà été effectuées pour prendre la mesure du terrain. En plus des quelques documents d’archives à sa disposition, Irina Galkova a compris, en discutant avec les gens qui vivent là-bas, qu’il s’agissait d’un véritable phénomène : personne ne s’étonne de la présence de ces baraques. Certains savent, d’autres non. Les restes des constructions du Goulag ne sont pas indiqués sur la carte et aucun panneau ne fournit la moindre information. La responsable de Mémorial précise que Lebedev a proposé cette collaboration. L’idée paraît pertinente puisqu’en tant que géologue, l’écrivain avait effectué des recherches sur le terrain : « Même si ce n’est pas ça qu’il cherchait, il a déjà été confronté aux traces des camps : il sait ce que c’est… » Si ce projet voit le jour, il serait le début d’une aventure mémorielle d’envergure, un bel épilogue à la saga romanesque, et un passage inédit de la fiction à la réalité, du papier du livre au bois pourrissant des baraques.

*
*    *

Ainsi, la production littéraire de Sergueï Lebedev révèle non seulement ses qualités de conteur, mais aussi son besoin de fouiller dans le passé pour continuer à vivre. Sa tétralogie de la mémoire porte sur des temps qui excèdent toujours les limites historiques qu’on leur assigne. C’est une œuvre-somme qui décortique les moments charnières de l’histoire en restant toujours du point de vue d’un homme à la fois vulnérable et résistant. Lebedev joint le geste à la parole. Son engagement auprès de Dmitriev et de Mémorial en tant que journaliste, écrivain mais aussi, potentiellement, en tant qu’homme de terrain offre un autre éclairage sur son œuvre. L’interpénétration entre le monde littéraire et le champ politique tel qu’il est reflété dans la presse russe prouve la porosité entre ces deux univers qui, ici, ne font qu’un. Différentes expressions sont possibles pour redonner une mémoire au pays. Les romans sont traversés par l’image d’une mosaïque représentant Charon, le guide des âmes mortes dans la mythologie grecque : c’est peut-être bien une traversée du Styx qu’a engagée l’écrivain.

Julie Gerber
Docteur en Littérature comparée. Sa thèse de doctorat en littérature intitulée « Écritures du Goulag : du témoignage à l’expérience contemporaine. Varlam Chalamov, Jacques Rossi, Sergueï Lebedev » a été préparée à l’Université de Strasbourg (École doctorale des Humanités 520, EA 1337 Europe des Lettres, « Configurations littéraires ») sous la direction de Tatiana Victoroff, en cotutelle avec l’Université d’État de Tioumen (Russie), où elle est assistante de français au département de philologie française. Parmi ses publications, elle a notamment rédigé, avec E. Ertner : « GULAG v russkoj i francuzskoj proze: poètika telesnosti » [« Le Goulag dans la prose russe et française : poétique de la corporéité »], Vestnik Tûmenskogo gosudarstvennogo universiteta – Gumaniternye issledovanie, t. 3, n° 3, 2017, pp. 68-79.

  1. Gus’ Fric, suivant la translittération ISO 9 (1995). Dans l’état actuel, l’ouvrage n’est pas traduit en français. Les trois premiers romans ont été traduits par Luba Jurgenson aux éditions Verdier. ↩
  2. Voir les travaux de la neurogénéticienne Isabelle Mansuy. ↩
  3. Nous faisons notamment référence à l’article du psychologue Jean Cournut, « Transmission de la honte et de la culpabilité », in Revue française de psychanalyse, 2003/5, vol. 67, pp. 1579-1583. ↩
  4. Voir les travaux de la chercheuse en littérature Veronica Estay-Stange. ↩
  5. Nous recommandons notamment, à propos des traces matérielles et symboliques du Goulag, l’ouvrage collectif sous la direction de Élisabeth Gessat-Anstett et Luba Jurgenson, Le Goulag en héritage. Pour une anthropologie de la trace, Paris, Pétra, 2009. Concernant la mémoire des répressions, l’article d’Élisabeth Gessat-Anstett, « Mémoire des répressions politiques en Russie postsoviétique : le cas du Goulag », URL : https://www.sciencespo.fr/mass-violence-war-massacre-resistance /fr/document/memoire-des-repressions-politiques-en-russie-postsovietique-le-cas-du-goulag, 2011 (consulté le 1er novembre 2019). Pour une approche historique, Nicolas Werth et Luba Jurgenson, Le Goulag : témoignages et archives, Robert Laffont, 2017. Sur l’obsession mémorielle en Occident mais aussi en dehors, voir l’ouvrage de Catherine Coquio, Le Mal en vérité ou l’utopie de la mémoire, Paris, Armand Colin, 2015. ↩
  6. Dans son « Rapport secret », le Secrétaire du Parti condamne les crimes de Staline, notamment les exécutions politiques, et appelle à abandonner le culte de sa personnalité. ↩
  7. Ce dont témoigne la parution en 1962 du roman de Soljenitsyne, Une journée d’Ivan Denissovitch, qui raconte la journée d’un détenu dans un Goulag. ↩
  8. Le sondage est consultable sur : URL : https://www.levada.ru/2011/03/29/o-xx-sezde-kpss-i-stalinizme/ (consulté le 1er novembre 2019). ↩
  9. Ce sondage a également été réalisé par le centre Levada en mars 2019, URL : https://www.levada.ru/2019/04/16/uroven-odobreniya-stalina-rossiyanami-pobil-istoricheskij-rekord/ (consulté le 1er novembre 2019). ↩
  10. Radio Svoboda, 26 juin 2019. URL : https://www.svoboda.org/a/30017102.html (consulté le 1er novembre 2019). ↩
  11. Voir : Sheila Fitzpatrick, Stalinism : new directions, Routledge, 1999, 396 p. ; Jochen Hellbeck, Revolution on My Mind : Writing a Diary under Stalin, Harvard University Press, 2009, 448 p. ; Ludwik Kowalski, Tyranny to Freedom : Diary of a Former Stalinist, Wasteland Press, 2009, 120 p. ↩
  12. Le plus récent, le Mur du Chagrin (Стена скорби, Stena skorbi) à Moscou, a été achevé en 2017. ↩
  13. Le terme s’applique à une personne physique ou juridique qui, tout en étant membre d’un pays, « représente les intérêts de pays étrangers » au sein de ce pays. ↩
  14. Le Musée de l’histoire du Goulag à Moscou constitue une exception par sa qualité, mais la période traitée s’arrête en 1953 alors que les camps ont continué à exister plusieurs décennies après la mort de Staline. Concernant les autres musées publics et privés sur l’ensemble du territoire russe, la directrice du Centre de recherche et d’information Mémorial de Saint-Pétersbourg, Irina Flige, en distingue quatre modèles : d’abord le musée type « Tribu des zeks » (un zek est un détenu dans l’argot des camps) d’approche pseudo-ethnographique, qui met en avant une « civilisation goulaguienne » apparue soudainement à un moment donné de l’évolution historique, et ne fournit aucun contexte. Ensuite, celui de « Négation du goulag », qui fait à peine référence aux camps mais exalte les exploits de la société soviétique. Le « Modèle pathétique » insiste sur les aspects inhumains et régressifs du Goulag et cherche avant tout à susciter l’émotion du visiteur. Enfin, le « Modèle explicatif » reconnaît la dureté du travail forcé, tout en rappelant la nécessité de ce sacrifice pour emporter la victoire sur le nazisme dans la Grande Guerre patriotique et propose une justification historique du Goulag. Cette typologie est mentionnée par Nicolas Werth dans La route de la Kolyma, voyage sur les traces du goulag, Paris, Belin, 2011, 240 p., p. 159. ↩
  15. Voir l’article de Luba Jurgenson, « L’œil comme outil de l’incertitude », in Revue des Deux Mondes, mars 2005, pp. 141-147. ↩
  16. Ce terme formé tout récemment s’est répandu parallèlement à la parution du roman italien Cade la terra de C. Pellegrino (Giunti, 2015). ↩
  17. Claudia Pieralli, « Abandonologie », Encyclopédie critique du témoignage et de la mémoire, paru le 23 mai 2016, URL : http://memories-testimony.com/notice/abandonologie/ (consulté le 22 octobre 2019). ↩
  18. Claudia Pieralli, ibid. ↩
  19. Entretien personnel avec l’auteur, février 2019. ↩
  20. Sergej Lebedev, Gus’ Fric, Vremja, Moskva, 2018. « То есть немец – это и немец, и специфически русский образ иностранца вообще [… ↩
  21. Entretien personnel avec l’auteur, janvier 2015. ↩
  22. Sergueï Lebedev, entretien pour Verdier, 2014. URL : http://editions-verdier.fr/livre/la-limite-de-loubli/ (consulté le 4 novembre 2019). ↩
  23. Ibid., p. 127. « Мои слова не прозвучат, потому что нечто не было сказано раньше – и не мной. », Sergej Lebedev, Predel zabvenia, Pervoe sentjabrja, Moskva, 2011, p. 164. ↩
  24. Entretien personnel avec l’auteur, mars 2019. ↩
  25. Journal SNC, URL : http://www.sncmedia.ru/entertainment/lyudi-avgusta-i-facebook-nachala-xx-veka/ (consulté le 4 novembre 2019). ↩
  26. Sergueï Lebedev, Les hommes d’août, traduit du russe par Luba Jurgenson, Verdier, 2016, p. 109. « Я путешествовал по распадающимся пространствам, по внутренним фронтирам СССР », Sergej Lebedev, Ljudi avgusta, Al’pina Pablišer, Moskva, 2016, p. 96. ↩
  27. Sergueï Lebedev, ibid., p. 120. « Тот свет СССР; и пейзаж вокруг идеально подходил для такой роли. Уже не сухая степь, как в самом начале пути, а каменистая полупустыня, усеянная гранитными всхолмьями », Sergueï Lebedev, ibid., p. 106. ↩
  28. Sergueï Lebedev, ibid., p. 152. « кем-то вроде исторического психотерапевта », Sergueï Lebedev, ibid., p. 134. ↩
  29. Voir le site de Mémorial France : « Dossier Dmitriev », http://memorial-france.org/category/dossiers/affaire-dmitriev/ (consulté le 20 novembre 2020). Voir aussi le dossier de Benoît Vitkine « Russie, la mémoire mutilée du goulag » est également paru le 11 octobre 2019 dans Le Monde. ↩
  30. Voir Luba Jurgenson « Le procès de Iouri Dmitriev. A qui profite le crime ? », revue Mémoires en jeu, n° 4, septembre 2017, p. 24-25. Pour les dernières actualités de ce procès lont et complexe, nous renvoyons au dossier de Mémorial France déjà cité. ↩
  31. Journal en ligne Solta, « Дмитриев. Писатель Сергей Лебедев о человеке, который спасает всех нас », 27 septembre 2017, URL : https://www.colta.ru/articles/society/16126-dmitriev (consulté le 4 novembre 2019). ↩
  32. Ibid., « А сталинские лагеря удобны для забывания – они либо уничтожены при градостроительстве, индустриализации шестидесятых, либо находятся в неопределенном «там», близко к абстракции полярного круга, далеко от глаз и памяти. » ↩
  33. Ibid., « их лишили не только жизни, но и смерти – той культурной, обрядовой смерти, что выражает ценность каждого человеческого существования, идею о бессмертии души и составляет основание памяти. » ↩
  34. Gus Fritz, « Быть тайно расстрелянным, тайно сожженным и брошенным в общую яму означает не умереть, а погрузиться в Метро мертвых, в подземелья призраков, скитающихся душ, лишенных похорон, лишенных той смерти, что происходит в сердцах живущих, в открытом обряде прощания. » (N.T.) ↩
  35. Journal en ligne Solta, « Юрий Дмитриев: “И такой то ли стон, то ли шелест ветра: и меня вспомни, и меня, и меня…” Писатель Сергей Лебедев съездил к освобожденному Дмитриеву в Петрозаводск », 2 février 2018. URL : https://www.colta.ru/articles/society/17237-yuriy-dmitriev-i-takoy-to-li-ston-to-li-shelest-vetra-i-menya-vspomni-i-menya-i-menya (consulté le 4 novembre 2019). ↩
  36. Ibid., « Он словно хочет восстановить связь времени, связь судьбы, встать на прежний след. » ↩
  37. Ibid., « вот я прошу, чтобы национальные диаспоры ставили памятники в Сандармохе. А сам думаю: может, я таким образом корни свои ищу? » (N.T.) ↩
  38. Ibid., « Меня многие упрекали, что книга построена не по алфавиту, а по территориальному принципу. Так бы пролистал быстренько, нашел… Я говорю: нет, милый, быстренько не получится. Если ты не знаешь, откуда его взяли, откуда его корни растут – твои корни, ты три раза книжку прочитаешь, меня обматеришь, но ты уже не забудешь, откуда ты родом. » (N.T.) ↩
  39. Ibid., « Когда приезжаешь на место, надо работать с людьми. Ребята, а куда у вас народ не ходит? Ну, за грибами вы ходите, где у вас грибов больше? Там, там, там. А куда не ходите? Ну, туда, туда, туда. А что там? Что, грибов нет? Да грибы есть… Но что-то не ходится в ту сторону. То есть на подсознательном уровне, с тех еще времен, через бабушку с дедушкой, через папу-маму передается, что туда ходить не надо. Пусть там есть грибы, но что-то место нехорошее. Естественно, такие вот нехорошие места в первую очередь проверяешь. » (N.T.) ↩
  40. Ibid., « Моя задача – убедить власти, что это захоронение репрессированных. И с чисто религиозной стороны – из этих ям непонятных сделать клад-би-ще. То место, куда люди приходят по-ми-нать. » (N.T.) ↩
  41. Journal en ligne Solta, « Алтарь Побед. Сергей Лебедев о войне между культом и памятью », 22 août 2018, URL : https://m.colta.ru/articles/specials/18384-altar-pobedy (consulté le 4 novembre 2019). ↩
  42. Ibid., « Однако только в России та война – и в степени все возрастающей – является важнейшим, стратегическим ресурсом актуальной политической пропаганды; источником морального капитала, «легитимизирующего» право государства на внешнюю и внутреннюю агрессию, на пренебрежение человеческой жизнью. » ↩
  43. Ibid., « Священная война и Победа – объекты насчитывающего десятилетия культа, который вполне можно назвать светской религией. Этот культ апеллирует именно к вере и поклонению, он внерационален и в этом смысле находится в глубоких противоречиях с памятью, историей, хотя якобы им служит. » (N.T.) ↩
  44. Ibid., « Любой тоталитарный режим нуждается в сверхъестественной легитимации, ибо не может получить ее обычным, демократическим путем. Для сталинского СССР легитимацией во многом был сам Сталин. Он умер. Осталась зияющая пустота в метафизической картине мира. И эту пустоту нужно было чем-то заполнить. Новым богом никто уже стать не мог. И оказалось, что в пространстве сакрального есть только одно явление, сопоставимое с ним: Победа. » (N.T.) ↩
  45. Entretien personnel avec Irina Galkova aux bureaux de Mémorial, Moscou, avril 2019. ↩

Les derniers articles

Le projet de loi « asile » : quel impact sur le rapport entre le traitement judiciaire des étrangers en France et le respect des droits de l’homme dans un monde complexe ? (Première partie)

Le projet de loi « asile » : quel impact sur le rapport entre le traitement judiciaire des étrangers en France et le respect des droits de l’homme dans un monde complexe? (Dernière partie)

ParJacques-Louis Colombani

Le 10 décembre 1948 au sortir du second conflit mondial, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été adoptée...

La chute d’Icare ?

La chute d’Icare ?

ParEric Cerf-Mayer

Dédale et Icare perdus dans le labyrinthe de la proposition de loi pour une  retraite "universellement juste"... Depuis quelques jours,...

L’édito d’Arnaud Benedetti avec notre partenaire Radio Orient

L’édito d’Arnaud Benedetti avec notre partenaire Radio Orient

ParArnaud Benedetti

Le quinquennat est-il en passe de basculer ? C'est la question qui se pose au lendemain de la mobilisation massive...

Le projet de loi « asile » : quel impact sur le rapport entre le traitement judiciaire des étrangers en France et le respect des droits de l’homme dans un monde complexe ? (Première partie)

Le projet de loi « asile » : quel impact sur le rapport entre le traitement judiciaire des étrangers en France et le respect des droits de l’homme dans un monde complexe? (Troisième partie)

ParJacques-Louis Colombani

Le 10 décembre 1948 au sortir du second conflit mondial, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a été adoptée...

Retrouvez nos dernières vidéos

«
Prev
1
/
63
Next
»
loading
play
Colloque "Afrique, Europe et France : réalités d'aujourd'hui, promesses de demain"
play
Colloque "Afrique, Europe et France : réalités d'aujourd'hui, promesses de demain"
play
Colloque "Afrique, Europe et France : réalités d'aujourd'hui, promesses de demain"
«
Prev
1
/
63
Next
»
loading

Suivez-nous sur twitter

Tweets de @RevuePol

Inscrivez-vous à notre Newsletter

Related Posts

Le chat sur la dune – Journal de marche et d’opérations d’un officier français au Sahel
Culture

Le chat sur la dune – Journal de marche et d’opérations d’un officier français au Sahel

Jürgen Habermas – Une histoire de la philosophie
Culture

Jürgen Habermas – Une histoire de la philosophie

Polynésie française : forces et faiblesses du mouvement indépendantiste (première partie)
Culture

Polynésie française : forces et faiblesses du mouvement indépendantiste (deuxième partie)

Polynésie française : forces et faiblesses du mouvement indépendantiste (première partie)
Culture

Polynésie française : forces et faiblesses du mouvement indépendantiste (première partie)

L’Etat est mort ! Vive l’Etat !
Culture

L’Etat est mort ! Vive l’Etat !

Nos enfants face à la pornographie
Culture

Nos enfants face à la pornographie

Hommage à Pierre Legendre
Culture

Hommage à Pierre Legendre

L’illettrisme, ce terrible mal français
Culture

L’illettrisme, ce terrible mal français

Article suivant
Emmanuel Macron

Narcisse et Jupiter

La Revue Politique et Parlementaire
10 rue du Colisée 75008 Paris
Email : contact@revuepolitique.fr
Téléphone : 01 76 47 09 30

Notre Histoire
L'équipe

Culture
Economie
Faut… de la géopolitique
International
La tribune du parlementaire
Libre opinion
Politique
Science et technologie
Société
Vie du parlement

Aucun résultat
Voir tous les résultats
  • Politique
  • International
  • Economie
  • Culture
  • Société
  • Science et technologie
  • Nos événements
    • Événements à venir
    • Événements passés
  • Boutique
    • Les numéros
    • Abonnement
  • La cité des débats
    • Aimons-nous encore la liberté ?
    • Faut-il avoir peur de l’avenir ?

Revue Politique et Parlementaire

Welcome Back!

Login to your account below

Forgotten Password?

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Se connecter

Add New Playlist