Pour la Revue Politique et Parlementaire, Jean-Yves Archer a lu Les barons du gaullisme, le dernier ouvrage de Pierre Manenti. En voici la recension.
Pierre Manenti est un historien désormais reconnu de la Ve République. Il a rencontré un vrai succès d’estime avec son Histoire du Gaullisme social et sur ce site, nous avons rendu compte de sa bibliographie éclairée de l’estimé Albin Chalandon. (https://www.revuepolitique.fr/albin-chalandon-ce-gaulliste-hors-pair/)
Pour 2024, l’auteur nous propose un thème intéressant et peu exploité à savoir les sillages respectifs des Barons du Gaullisme.
Son livre documenté et rigoureux commence par le « club des Six » : Gaston Palewski, le doyen. Michel Debré, l’architecte. Jacques Chaban-Delmas, le fauve. Roger Frey, l’énigmatique. Jacques Foccart, l’insondable et Olivier Guichard, le cadet.
La partie II s’intitule : « Barons, vous avez dit Barons ? » et représente une mine d’informations et une invitation à la réflexion sur ceux qui ont servi le Général et la France. Ainsi est ici retracée l’épopée de Georges Pompidou, celles de Maurice Couve de Murville et de Pierre Messmer.
Afin de parer le risque de l’indécence, cette recension comporte un parti pris et un solide a priori. Ainsi, elle considère que le lectorat de la présente Revue Politique et Parlementaire maîtrise le sujet traité par l’auteur. Des noms précités supra, le lecteur assidu de la RPP est en capacité de détecter les grands enjeux. Ce point fondamental étant énoncé, ce livre n’en demeure pas moins un socle de connaissances servi par une bibliographie aussi exhaustive que pertinente. Encore un fait qui porte, en reflet, le volume d’heures de travail que Pierre Manenti a dédié à sa réflexion et à cette écriture rigoureuse et intelligible.
S’agissant de Gaston Palewski, les faits paraissent lointains mais ses profonds désaccords avec Jacques Soustelle du temps des prémices du RPF rafraîchissent nos mémoires, qu’elles fussent familiales ou universitaires. La force de cet ouvrage est là : il est aussi confirmatif qu’exploratoire et de portée quasi-académique. Dans mon cas, j’ai ainsi redécouvert la pensée étoffée d’Olivier Guichard (descendant d’un authentique baron d’Empire) que j’avais eu le privilège de servir pour un mémoire sur la DATAR (1982) monitoré par l’estimé Simon Nora.
Ces barons n’ont guère été dans le camp de Valéry Giscard d’Estaing. Ainsi devenu directeur de la Revue des Deux Mondes, Gaston Palewski écrit le 18 décembre 1974 : « Le gaullisme est absent de tout cela. Nous regrettons que ce soit à nous, qui sommes éloignés de toute constellation politique, qu’il revienne de le dire ».
A ce sujet, les lignes dédiées à Chaban-Delmas sont explicites et dévoilent l’âpreté du combat politique. Combat d’autant plus sévère que bien des participants étaient d’anciens membres de la Résistance et que cette épreuve les avaient formés comme le démontre Catherine Nay dans la biographie de Albin Chalandon (auteur P. Manenti).
Compte-tenu de la période de fortes mutations que traverse l’Afrique sub-sahelienne et le Sénégal, le chapitre consacré à Jacques Foccart est à lire avec minutie et avec la prudence que l’Histoire requiert et impose. Qui oserait nier la complexité des liens entre l’Afrique et la France ?
La politique étrangère du Général était ardente mais jamais confuse. Servie par Maurice Couve de Murville (que l’auteur ne classe pas parmi les barons), elle a connu des succès. Le chapitre sur le brillant protestant est – selon mon analyse – captivant : le lecteur apprend ainsi que Couve a « adoubé » en avril 1999 le jeune Nicolas Sarkozy en tant que successeur de Philippe Seguin comme président du RPR.
Vraiment, ce chapitre est pertinent.
Tout autant qu’un extrait à valeur de présente conclusion du livre d’Olivier Guichard (Un chemin tranquille, 1975) :
« Être gaulliste ! En 1947, c’était un péché ou une espérance ; en 1951, une erreur ; en 1955, un enfantillage ; en 1957, un placement ; en 1958, de l’opportunisme ; en 1962 un combat ; en 1965, une habitude ; en 1969, un entêtement ; en 1970, un chagrin ; aujourd’hui ( en 1975 ) une étoile jaune. ( sic ).
Jean-Yves Archer
Economiste
Pierre Manenti
Les barons du gaullisme
Passés composés, 2024, 368 p.