Trente sept ans se sont écoulés depuis la loi du 2 mars 1982 présentée comme l’acte 1 de la décentralisation. Depuis lors de nombreuses réformes se sont succédé. Jean-Pierre Sueur, Vice-président de la Commission des lois du Sénat et ancien ministre, revient sur ces années qui ont refaçonné en profondeur le territoire administratif.
Une loi novatrice en termes d’intercommunalité
Lorsque, en 1991, j’ai été nommé secrétaire d’État chargé des Collectivités locales, j’ai trouvé sur mon bureau le projet de loi sur l’administration territoriale de la République (ATR). Ce texte, qui avait été préparé par Pierre Joxe, avait été voté en première lecture à l’Assemblée nationale avec une voix de majorité sous le gouvernement de Michel Rocard. Aussitôt, un débat s’engagea au sein de mon cabinet, et puis du gouvernement : fallait-il persévérer au risque de perdre la précieuse unique voix d’avance et d’enterrer pour de nombreuses années ce projet novateur en termes d’intercommunalité ? Je n’étais nullement partisan du renoncement. Je finis par obtenir gain de cause, mais avec une obligation de résultat ! Je commençais donc pas revoir le projet pour me préparer à proposer ou à soutenir des amendements qui prendraient mieux en compte la réalité des communes, et particulièrement des petites et moyennes communes, et à en prévoir une application plus progressive, plus adaptée, plus modulable.
Je rappelle que ce projet comportait, entre autres sujets, la création, d’une part, de communautés de communes pour le monde rural et pour les villes moyennes et, d’autre part, de communautés de villes dans les grandes villes. Il y avait des compétences spécifiques dédiées à chacune de ces catégories, en partie obligatoires et en partie facultatives. Mais la différence entre les deux dispositifs tenait principalement à la fiscalité. L’impôt économique local d’alors était la taxe professionnelle. Les communautés de communes pouvaient se constituer sans choisir obligatoirement d’adopter une taxe professionnelle commune ; elles pouvaient même choisir de mettre en œuvre, sur une part de leur territoire ne correspondant pas forcément au périmètre d’une ou de plusieurs communes, une taxe professionnelle de zone (TPZ). Au contraire, pour les communautés de villes, l’instauration d’une taxe professionnelle unique était obligatoire.
Après la première lecture à l’Assemblée nationale, le texte arrivait donc au Sénat où j’avais pour mission de le défendre au nom du gouvernement. J’avais mesuré que la tâche ne serait pas facile. Aussi, me suis-je d’emblée engagé auprès des sénateurs à respecter deux principes que je martèlerais tout au long du débat.
Premier principe et premier engagement : les communautés se feraient dans le respect le plus absolu des communes.
Il n’y aurait aucune suppression de communes. La philosophie du projet serait très claire : les intercommunalités seraient au service des communes et non l’inverse ; les intercommunalités ne seraient, en aucun cas, une étape transitoire vers la suppression des communes ou la fusion des communes dans un ensemble intercommunal plus vaste. Pourquoi ai-je autant insisté sur cet engagement ? Parce que je sais, pour avoir été élu local et maire moi-même, combien les Français sont intimement attachés à leur commune. Il faut se souvenir que la première loi qui fut adoptée en décembre 1789 portait précisément sur les communes et que l’une des premières tâches à laquelle s’employa la Révolution française fut de créer les communes. La République est en France indissociable de la commune. Toute notre histoire le montre. Les Français ont la commune dans le cœur. Vouloir nier cette réalité c’était – et c’est toujours – se préparer à l’échec.
Second principe et second engagement : les périmètres des communautés de communes seraient définis par les élus eux-mêmes, et principalement par les maires.
Il y eut ainsi toutes sortes de configurations, de tailles différentes, et de stratégies locales pour prendre en compte un certain nombre de réalités, qu’elles fussent géographiques, sociologiques ou politiques. Dans un rapport de la Cour des comptes, son président de l’époque, Philippe Seguin, a fait remarquer que le périmètre des communautés n’était pas « rationnel ». Je lui ai répondu que si nous avions voulu inscrire dans la loi que ces périmètres étaient décidés par les préfets et imposés aux élus locaux, il n’y aurait tout simplement pas eu de loi car il n’y aurait pas eu de majorité à l’Assemblée nationale, et encore moins au Sénat, pour voter une telle disposition. Je lui ai aussi répondu que si certains découpages avaient été au départ justifiés, en effet, par des considérations politiques – certaines communes se regroupant par affinités politiques, ou s’unissant pour se démarquer d’une grande ville constituant ainsi ce qu’on a pu appeler « des communautés croissants » –, tout cela s’annulerait ou se modifierait bientôt, comme l’histoire l’a montré, au gré des alternances politiques liées aux élections municipales successives. Et surtout, l’histoire a montré que la liberté était féconde. En effet, il ne fallut pas plus de dix ans pour que 90 % des communes françaises se regroupent en communautés. Aucune contrainte n’aurait conduit à une telle efficacité. Et il fallut une période à peu près comparable pour boucler le processus, la loi n’intervenant qu’au moment où seule une petite minorité de communes n’étaient pas encore membres d’une communauté.
Il faut noter que la situation fut très contrastée entre les communautés de communes, d’une part, et les communautés de villes, d’autre part. Le succès fut rapide pour les communautés de communes.
En revanche, pour les communautés de villes, ce fut un échec – du moins provisoire – car seules cinq se constituèrent à l’initiative d’élus courageux.
La raison principale de cet insuccès temporaire tint au fait que, comme on l’a vu, cette formule imposait la taxe professionnelle unique. Cela était théoriquement logique car on pouvait et on devait attendre, pour nos grandes agglomérations, une unité et une totale cohérence pour ce qui est de la perception et de l’utilisation de l’impôt économique. Pour ne prendre qu’un seul exemple, le fait que la taxe professionnelle soit perçue par les communes, et non par l’intercommunalité, a joué un grand rôle dans le désastre urbanistique que sont encore nos entrées de ville. Comment un maire peut-il résister aux revenus induits par le développement de zones commerciales situées le long des routes nationales, à l’extérieur des centres urbains, consommant énormément de foncier, distendant la dimension des aires urbaines, favorisant le tout-automobile et se caractérisant par une esthétique trop souvent de médiocre qualité ? D’autres arguments ont milité dans le même sens.
Mais la réalité est que, en 1992, les esprits n’étaient pas mûrs pour que l’on adopte une telle disposition dans les agglomérations urbaines au motif qu’il fallait préserver à tout prix l’indépendance de chaque commune en matière de ressources tirées de l’économie, et cela en dépit des lourds inconvénients induits. Il fallut sept ans pour que les esprits évoluent. J’ai pu mesurer combien l’Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) a joué un rôle décisif dans cette évolution. En 1999, les esprits étaient prêts. Et sous l’impulsion de Jean-Pierre Chevènement, une nouvelle loi fut votée qui créa les communautés d’agglomération, qui allaient se substituer aux communautés de villes. La taxe professionnelle – et donc l’impôt économique – devenait un impôt d’agglomération. Et cela aurait des conséquences très positives pour la maîtrise du développement des aires urbaines.
Une carte territoriale qui évolue
Avec les lois de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) et portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), le paysage de l’intercommunalité devait encore évoluer. En particulier, des métropoles étaient créées.
Et trois séries de questions devaient donner lieu à des évolutions et aussi à nombre de débats : d’abord la taille des intercommunalités, en second lieu leur compétence et, en troisième lieu, la question de l’exercice de la démocratie dans le cadre intercommunal.
S’agissant tout d’abord de la taille ou de la dimension des communautés de communes, la loi NOTRe a instauré un seuil de 15 000 habitants pour les communautés de communes. Celui-ci a provoqué quelques critiques puisque le seuil avait été porté précédemment à 5 000 habitants et que des communautés de communes de taille inférieure à 5 000 habitants avaient été créées en nombre non négligeable dans le cadre de la loi ATR de 1992. Il faut cependant ajouter aussitôt que des dérogations ont été rendues possibles par la même loi NOTRe, lorsque la configuration géographique du territoire – on pense particulièrement aux vallées de montagne – ou une faible densité démographique le justifiait. Mais je considère pour ma part que dès lors que ces dérogations, totalement justifiées, étaient adoptées, il y avait et il y a toujours une pertinence à ce que les communautés de communes aient une certaine taille afin de pouvoir se doter des personnels, des ressources et des instruments nécessaires pour exercer des compétences aussi déterminantes que le développement économique et l’aménagement du territoire. Il est utopique de penser qu’une multitude de communautés de très petites tailles auraient pu ou pourraient exercer ces compétences dans de bonnes conditions d’efficacité.
J’ajouterai un argument lié à la création des métropoles. Au début, l’idée était de limiter l’appellation métropole à un nombre très limité de très grandes agglomérations urbaines (moins de dix) dont la population et le potentiel économique justifiaient cette appellation. Et puis, les demandes se multipliant et les gouvernements finissant par y souscrire, on est arrivé aujourd’hui à un nombre de 22 métropoles. Le concept même de métropoles et la multiplication de ces nouvelles structures ont induit de véritables peurs dans le monde rural où un discours s’est développé, selon lequel le risque existait de voir les métropoles absorber une part importante des ressources publiques et susciter une grande attractivité aux dépens des espaces de la ruralité et des petites et moyennes communes. Or, je suis persuadé qu’il y a une manière purement défensive de défendre la ruralité qui, en définitive, n’est pas efficace. Il est plus efficace, dans le contexte créé par les métropoles, de constituer des communautés de communes ayant une certaine taille et de réelles compétences pour aller de l’avant et établir un dialogue fécond entre des agglomérations urbaines et des espaces ruraux structurés et dotés de toute l’efficacité requise, tout particulièrement pour les compétences précitées de développement économique et d’aménagement du territoire.
S’agissant toujours des dimensions des communautés, je souhaite revenir sur les communautés d’agglomération. Dans l’esprit de la loi de 1999, celles-ci devaient correspondre clairement à des espaces urbains continus agglomérés. Mais la réduction de la population de la ville principale autour de laquelle peut se constituer une communauté d’agglomération (15 000 habitants) et de la population globale minimale retenue pour celle-ci (50 000 habitants) a conduit à la constitution de communautés que je qualifierai d’hybrides. En effet, les avantages – réels ou vécus comme tels – apportés par les communautés d’agglomération en termes de dotation de l’État et de compétences ont amené quelques grandes villes à constituer une agglomération en intégrant un grand nombre de communes rurales situées dans leur aire d’influence géographique ou des communes moyennes à former, elles aussi, de pseudo agglomérations avec de nombreuses communes de petite dimension. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit opportune puisque l’appellation « communauté d’agglomération » recouvre en fait aujourd’hui deux types de structures assez différentes : d’un côté, de véritables entités urbaines agglomérées et, de l’autre, des ensembles qui ne sont pas clairement « agglomérés » et dont la configuration relèverait plutôt, à mon sens, des communautés de communes d’une certaine dimension que j’appelle de mes vœux, comme on l’a vu, pour promouvoir une politique dynamique au sein des espaces ruraux.
Venons-en maintenant au second point : les compétences. Les batailles furent rudes dans les hémicycles parlementaires pour définir les compétences propres aux communes, aux intercommunalités, aux départements et aux régions. Si l’on regarde les choses dans la durée des 37 années qui nous séparent de l’adoption des premières lois de décentralisation de 1982, on peut considérer que deux logiques existent, l’une ou l’autre ayant prévalu, selon les époques. Pour ma part, je reste attaché à la distinction des compétences, chacun des niveaux précités se trouvant doté de compétences spécifiques. Une autre tendance consiste au contraire à s’appuyer sur une conception de la « compétence générale » et des délégations qui revient peu ou prou à ce que les collectivités de chaque niveau puissent exercer, dans les faits, toute compétence. C’est ainsi que j’ai été amené très récemment à me démarquer, au Sénat, d’une version dite « assouplissante » de la répartition des compétences qui aboutissait, dans cette version sénatoriale, à ce que les communes puissent déléguer leurs compétences aux intercommunalités – ce qui est logique dès lors que cela s’inscrit dans le cadre de la loi –, mais aussi les communautés aux communes, mais encore à ce que les compétences des communautés fussent déléguées à la région ou au département sans d’ailleurs que les communes fussent consultées. J’ai dénoncé en séance ce qui m’apparaissait être une solution de facilité contraire à l’esprit des lois de décentralisation dues à Pierre Mauroy et à Gaston Defferre qui entraînerait la généralisation des compétences à la carte et, au total, une véritable illisibilité du dispositif. Je préfère la séparation des pouvoirs à la confusion des pouvoirs.
J’ajoute que la clarté dans la dévolution des compétences n’interdit nullement la coopération entre les différents niveaux de collectivités locales, d’une part, et, d’autre part, entre les collectivités locales et l’État. À cet égard, je tiens à souligner le grand apport qui fut celui de Michel Rocard lorsqu’il créa les « contrats de plan ». On avait souvent dit que selon une conception gaullienne, l’élaboration de plans constituait une « ardente obligation ».
Mais au-delà de ces paroles martiales, la réalité était toute différente et les plans successifs qu’a connus la Ve République n’étaient que médiocrement mis en œuvre dans les faits.
Michel Rocard eut l’idée de proposer la planification contractuelle. Celle-ci se traduit par un document signé pour cinq ans par l’État et la région auxquels sont associés, selon les objectifs, les départements, les intercommunalités et certaines communes. Les contrats de plan sont des tableaux où, pour chaque année, figurent des actions structurantes et les financements apportés par l’État et chacune des collectivités locales concernées. On peut vérifier que le taux de réalisation des contrats de plan est relativement satisfaisant. Et cela pour une raison simple : chacun des cosignataires agit, si l’on peut dire, sous le regard de l’autre. Si l’un ne remplit pas son engagement, il sera bientôt dénoncé par l’autre. Et ce mécanisme est, au total, productif. Il montre qu’en termes d’aménagement et de développement des territoires, le contrat est souvent plus pertinent et plus efficace que les décisions régaliennes et unilatérales.
Troisième enjeu, celui de la démocratie. Sous la Révolution française, un principe fut instauré : l’instance qui levait l’impôt et décidait de son affectation devait être élue au suffrage universel direct. Cette conception était, dès l’origine, consubstantielle à la notion même de commune et au fait que les communes étaient gérées par des conseils municipaux élus au suffrage universel direct. Or, il se trouve qu’aujourd’hui une part importante des impôts est prélevée par les communautés qui sont également dotées de nombreuses compétences. Les décisions des conseils communautaires ont, en fait, dans nomtre de cas, beaucoup plus d’effets sur la vie des citoyens et sur l’avenir des territoires que les décisions des conseils municipaux. D’où l’idée relativement ancienne de faire élire les membres et les présidents des conseils communautaires au suffrage universel direct. Cette idée fut reprise et adoptée dès les années 1990, pour les agglomérations de plus de 100 000 habitants, au sein de l’Association des grandes villes de France qui la développa dans un ouvrage collectif intitulé Mon pays c’est ma ville. Pour séduisante qu’elle puisse apparaître, cette idée a toutefois été combattue dès l’origine, et le reste encore, par un grand nombre de maires. Ceux-ci craignent qu’une élection intercommunale au suffrage universel direct porte en fait atteinte au niveau et à la réalité de la commune. Ils font valoir que l’on entrerait alors dans une logique de supracommunalité pour eux très distincte de celle de l’intercommunalité. Ma position sur ce sujet est la suivante : je pense qu’il faut distinguer selon les différents types d’intercommunalité. Il m’apparaît, pour beaucoup travailler avec les élus sur le terrain, que le projet d’une élection au suffrage universel direct dans les communautés de communes n’est pas mûr, qu’il ne « passerait pas », et que cela s’explique et se comprend dès lors que l’on mesure tout le lien qui existe au sein de ces structures entre le niveau communal et le niveau intercommunal. Le même raisonnement me paraît valoir pour les communautés d’agglomération que j’ai qualifiées ci-dessus de « non agglomérées ». Il faut noter toutefois qu’un progrès a été accompli à l’initiative du Sénat avec l’instauration du système dit « du fléchage ». En effet, désormais, lors de l’élection municipale, les citoyens sont appelés à voter sur deux listes figurant sur le même bulletin de vote : la première est constituée des candidats au conseil municipal et la seconde de ceux qui, parmi ces candidats, sont appelés en cas d’élection à siéger au sein du conseil communautaire. Même si les effets de cette disposition sont limités, elle permet toutefois que chaque citoyen prenne en compte le fait que votant dans sa commune, il vote aussi pour l’intercommunalité.
En revanche, il m’apparaît que dans le cas spécifique des métropoles, il faudra arriver à mettre en œuvre un suffrage universel qui permette aux citoyens de s’exprimer sur les choix et les projets métropolitains.
En effet, les métropoles étant investies de compétences considérables dans de nombreux domaines, il m’apparaît justifié qu’au moins dans ce cas précis – cela pourrait d’ailleurs être étendu aux communautés urbaines – les citoyens soient amenés à s’exprimer sur les projets métropolitains par un vote spécifique en même temps qu’ils voteraient pour les conseils municipaux. C’est déjà ce qui a été décidé par le Parlement pour la métropole de Lyon, et qui est donc en application. La question est de savoir si le modèle lyonnais est amené à se généraliser ou si l’élection au suffrage universel dans les métropoles prendra d’autres formes puisque plusieurs modalités sont possibles à cet égard.
Un paysage territorial profondément transformé
Au total, si on revient sur les 37 ans d’histoire qui nous séparent de la première loi de décentralisation, il apparaît évident que le paysage territorial s’est profondément transformé. Certes, l’intercommunalité existait depuis longtemps sous la forme de syndicats. Mais elle s’est généralisée sur la base de communautés à fiscalité propre, ce qui va beaucoup plus loin que la gestion commune d’un service. Parallèlement, l’échelon régional a vu son importance accrue, même si l’évolution récente vers de grandes régions a pu distendre le lien entre cet échelon et les citoyens. Cette dernière évolution a d’ailleurs contribué à conforter le département dont certains annonçaient ou souhaitaient la disparition, mais dont l’existence apparaît toujours précieuse, notamment dans le contexte créé par ces grandes régions – tout particulièrement pour la gestion des compétences sociales qui sont les siennes.
Contrairement aux craintes qui étaient exprimées lors de la discussion sur le projet de loi sur l’administration territoriale de la République en 1992, les communes n’ont pas disparu.
Je redis combien les Français tiennent à cet échelon et il m’apparaît que l’histoire de presque quatre décennies d’intercommunalité a montré que lorsque l’on a mis en œuvre sur le terrain des conceptions de l’intercommunalité qui réduisaient la place des communes, voire qui tendaient à les effacer ou à les nier, ce fut toujours un échec. Fort heureusement, dans une majorité de cas, il y a une vraie synergie qui s’instaure entre la communauté et les communes – et le respect de ce couple s’avère particulièrement efficace. Il n’est pas étonnant que, lors des débats de la récente loi dite « engagement et proximité » l’accent ait été mis sur l’importance de la conférence des maires au sein de l’intercommunalité. Celle-ci n’a pas pour vocation à se substituer au conseil communautaire, mais ceux, dont je suis, qui ont présidé une intercommunalité savent bien que c’est une instance utile. Si un projet « passe » auprès des maires, c’est un gage de réussite. Si ce n’est pas le cas, c’est le signe qu’il vaut mieux s’y prendre autrement ou attendre que le projet murisse.
Pour finir, je reviendrai sur les conditions dans lesquelles la loi ATR a été adoptée. J’ai dit, ci-dessus, que lors de sa première lecture, durant le gouvernement de Michel Rocard, le projet de loi ne fut adopté qu’à une voix de majorité à l’Assemblée nationale. En seconde lecture, après que j’eus donné toutes les garanties quant au maintien des communes et à la définition des périmètres des futures communautés par les élus eux-mêmes, nous sommes passés d’une voix de majorité à deux voix ! Ce doublement, très modeste, fut lourd de conséquences… puisqu’après ce dernier vote il fut relativement facile d’aboutir à une adoption définitive du texte. Cela a donc tenu à peu de choses et il est bien qu’une évolution si nécessaire n’ait pas été retardée… Mais quoi qu’il en eût été, il y avait là une évolution inéluctable. Nous ne devons jamais oublier qu’elle ne put avoir lieu et qu’elle ne peut produire tous ses fruits que si l’on respecte, aujourd’hui comme hier, les spécificités des deux niveaux, celui de l’intercommunalité et celui de la commune qui doivent vivre ensemble, se respecter, se conforter et œuvrer de concert pour le bien commun.
Jean-Pierre Sueur
Vice-président de la Commission des lois du Sénat
Sénateur socialiste du Loiret
Ancien ministre