Le gouvernement souhaite combler l’absence de cadre légal, cohérent et complet pour les activités de ses services de renseignement, en donnant aux services de renseignement des moyens à la hauteur de la menace à laquelle ils sont confrontés.
Le projet de loi qu’il présente vise à garantir la protection des libertés publiques en subordonnant le recours aux mesures de surveillance à l’autorité du pouvoir politique et à un double contrôle, celui d’une autorité extérieure indépendante, et celui du Conseil d’État. Le projet de loi fait suite aux conclusions du rapport de MM. Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère.
L’objectif du projet de loi est de renforcer les moyens d’action des services spécialisés de renseignement.
Garantir la sécurité des Français et la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation exige un travail d’analyse et de détection des menaces qui pèsent sur le pays. Cette mission, qui incombe aux services de renseignement, nécessite de doter ces derniers de moyens adaptés aux menaces. Des moyens financiers et humains supplémentaires ont déjà été octroyés aux services au cours des dernières années et dans la période récente, à la suite des récents attentats.
Le projet de loi définit un cadre légal précis autorisant les services de renseignement à recourir à des techniques d’accès à l’information. À cet effet, il reprend des dispositions existantes en matière d’interceptions de sécurité et d’accès aux données de connexion. Il transpose dans le domaine de la prévention des techniques de recueil de renseignement déjà permises dans un cadre judiciaire (balisage de véhicules ou d’objets ; sonorisation ou captation d’images dans des lieux privés ; captation de données informatiques). Il vise à permettre, par un accès encadré aux réseaux des opérateurs de télécommunications, un suivi plus efficace des individus identifiés comme présentant une menace terroriste et la détection en amont de projets terroristes. Il fixe un cadre juridique aux mesures de surveillance internationale auxquelles il peut être procédé à l’étranger afin d’assurer la protection des intérêts de la France et de sa sécurité. Il a enfin pour objectif de renforcer les moyens de l’administration pénitentiaire en matière de contrôle des communications des détenus.
Afin de garantir le respect des libertés publiques et de la vie privée, le projet de loi vise à encadrer le recours aux techniques de recueil de renseignement.
Il ne pourra être justifié que par la poursuite d’une des finalités limitativement énumérées par le projet de loi, et pour une durée limitée dans le temps. Un principe guidera la mise en œuvre d’une technique de surveillance : celui de proportionnalité, au regard des risques d’atteinte au respect de la vie privée, au secret des correspondances, et à l’inviolabilité du domicile. S’y ajoutera un autre principe, celui de subsidiarité, pour les opérations les plus sensibles, afin qu’aucune mesure de surveillance ne soit mise en œuvre si un autre moyen légal moins intrusif peut être employé pour parvenir au même résultat.
Le recours aux mesures de surveillance suivra une procédure précisément définie et encadrée par la loi : toujours écrites, motivées et formulées, pour la plupart d’entre elles, par les ministres assurant la tutelle des services qui les sollicitent, les demandes de recours à une technique de renseignement seront adressées au Premier ministre, qui donnera ou non son accord, après avoir recueilli l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
Cette commission, nouvelle autorité administrative indépendante qui succèdera à l’actuelle Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), sera composée de magistrats, d’une personnalité qualifiée pour ses connaissances en matière de communications électroniques et de parlementaires. Outre l’avis qu’elle devra formuler avant toute autorisation de mettre en œuvre une technique de renseignement, elle pourra demander que lui en soit communiquées toutes les informations utiles pendant la mise en œuvre de la technique, ou une fois le recours à cette technique terminé. Dans les cas d’urgence absolue, l’autorisation de mettre en œuvre une technique de renseignement pourra être délivrée sans avis préalable de la commission. Elle devra néanmoins en être immédiatement informée, et pourra recommander son interruption.
Des garanties renforcées sont par ailleurs prévues en ce qui concerne les techniques nécessitant une intrusion dans des lieux privés.
Enfin, le projet de loi instaure un droit de recours devant le Conseil d’État, ouvert à tout citoyen ayant intérêt pour agir. Le Conseil d’État pourra également être saisi par la CNCTR lorsque celle-ci estimera qu’une autorisation a été accordée irrégulièrement. Il aura le pouvoir d’annuler la décision litigieuse, d’indemniser le requérant, d’ordonner la destruction des données collectées et de saisir le Procureur de la République s’il estime qu’une infraction a été commise.
Les principales mesures d’application de ce projet de loi feront l’objet de décrets en Conseil d’État, notamment pour fixer la liste des services pouvant avoir recours aux techniques de renseignement et les conditions de conservation et de destruction des données recueillies.
Rapporteur à l’Assemblée nationale : M. Jean-Jacques Urvoas (SRC, Finistère) et rapporteur pour avis M. Philippe Nauche (SRC, Corrèze).
Dans sa présentation du projet de loi en séance publique le 13 avril 2015, M. Manuel Valls, Premier ministre, a souligné que le texte “n’installe en aucune manière un appareil de surveillance policière de la population”. Il a précisé que “lorsque les échanges sont dissimilés ou ne sont pas décryptables, il faut pouvoir contourner l’obstacle, soit par le recours à la sonorisation de lieux privés, soit par la géolocalisation en temps réel des personnes ».
M. Jean-Jacques Urvoas a considéré que “face à une menace intérieure et diffuse », “les citoyens découvrent l’utilité du renseignement comme outil de protection des populations. Peu à peu, les services gagnent une légitimité. » À la question “les moyens que cette loi souhaite octroyer aux services ne sont-ils pas excessifs ?” il s’agit de répondre avec le maréchal Foch : « À la guerre, on fait ce qu’on peut avec ce que l’on sait, et pour faire beaucoup, il faut savoir beaucoup.” et avec Robert Badinter : “l’État de droit n’est pas l’état de faiblesse ».
Dans la motion de renvoi en commission M. Éric Ciotti (Les Républicains, Alpes-Maritimes) a déclaré : “Les attentats perpétrés les 7, 8 et 9 janvier à Paris par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly, ainsi que l’attentat de Nice, quelques jours plus tard, ont révélé tragiquement à nos compatriotes l’ampleur des risques auxquels notre démocratie doit faire face.” Il a appelé à l’unité nationale dans la guerre contre le terrorisme. Il a rappelé, à l’instar du Premier ministre, qu’en mars 2015, les services de renseignement ont recensé “près de 1 500 ressortissants français concernés par le départ vers les zones de combat syro-irakienne. Aujourd’hui, 423 se trouvent effectivement dans les zones de combat, dont 123 femmes et 8 mineurs combattants ; 267 ressortissants français auraient quitté les zones de combat, dont 202 auraient regagné notre pays. Parmi ces quelque 200 individus, au minimum, certains n’ont qu’un seul objectif : commettre un acte terroriste sur notre territoire et s’attaquer à des innocents. Les services évaluent le nombre de projets de départ à plus de 400 […], étant rappelé “que cette réalité statistique est très loin de recouvrir la réalité du phénomène”. Il a cependant regretté « la méthode choisie par le gouvernement : le morcellement des textes et leur étalement nous ont fait perdre beaucoup de temps, trop de temps, au détriment de la sécurité des Français.” Il a critiqué l’absence de “volet judiciaire” “sans lequel les avancées [du] texte pourraient se révéler totalement inutiles”.
M. Jean-Jacques Candelier (GDR, Nord) a estimé que le projet de loi “accroît les pouvoirs des services de renseignement en leur permettant de recourir à certaines techniques qui ne sont permises, aujourd’hui, que dans un cadre judiciaire : balisage de véhicule, sonorisation de lieux privés grâce à des micros, captation d’images dans des lieux privés, captation de données informatiques et accès aux réseaux des opérateurs de télécommunications.” Il a craint que “ces techniques d’action et une rédaction plus extensive des missions anciennes (ne) conduisent à l’élargissement du domaine d’intervention des services de renseignement.”
À l’article 1er relatif aux procédures de mise en œuvre et de contrôle des techniques de renseignement, l’Assemblée nationale a adopté avec l’avis favorable du gouvernement et du rapporteur les amendements identiques de MM. Lionel Tardy (Les Républicains, Haute-Savoie) et Patrick Hetzel (Les Républicains, Bas-Rhin), de M. Hervé Morin (UDI, Eure), de Mmes Elisabeth Pochon (SRC, Seine-Saint-Denis) et Cécile Untermaier (SRC, Saône-et-Loire) ainsi que de M. Pascal Cherky (SRC, Paris). Les amendements visent, conformément à l’une des recommandations de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL). Selon M. Lionel Tardy : “le risque global est que les dispositions de ce texte tombent entre les mains de politiques peu scrupuleux : le plus grave deviendrait alors possible. Il faut donc nous prémunir contre ces risques, faire de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, un véritable contre-pouvoir, écarter de la surveillance tous ceux qui n’ont aucune raison d’être surveillés, et lever le flou qui entoure certaines techniques que ce texte entend autoriser.” Mme Cécile Untermaier a indiqué que “Le système intrusif et puissant proposé aux services de renseignement par l’article 1er, la crainte d’une surveillance de masse éprouvée par nos concitoyens exigent que des garanties suffisantes soient apportées.” L’amendement vise à préciser, dans le nouveau livre VIII du code de la sécurité intérieure intitulé “Du renseignement”, que “Le respect de la vie privée, dans toutes ses composantes,” est garanti par la loi.
L’Assemblée nationale a rejeté les amendements tendant à supprimer ou modifier les motifs relatifs à la défense et à la promotion des intérêts publics autorisant le recueil de renseignement notamment les intérêts majeurs de la politique étrangère et la prévention de toute forme d’ingérence étrangère, les intérêts économiques, industriels et scientifiques majeurs de la France, ainsi que la prévention des atteintes à la forme républicaine des institutions, des violences collectives de nature à porter atteinte à la sécurité nationale ou de la reconstitution ou d’actions tendant au maintien de groupements dissous.
Elle a rejeté des amendements de suppression de la disposition de l’article 1er renvoyant à un décret en Conseil d’État la désignation de ceux des services, autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la Défense, de la Justice et de l’Intérieur ainsi que des ministres chargés de l’Économie, du Budget ou des Douanes, qui peuvent être également autorisés à recourir aux techniques spéciale de recueil de renseignement dont la mise en œuvre est subordonnée à autorisation. Le rapporteur a fait valoir qu’une modification des services nécessiterait l’adoption de nouvelles dispositions législatives.
L’Assemblée a examiné un amendement du gouvernement, présenté par M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, tendant à supprimer la référence aux services du ministère de la Justice dans la liste des services pouvant recourir aux techniques de recueil de renseignement. “Si nous décidions que le renseignement pénitentiaire devait devenir un service à part entière, capable de mettre en œuvre directement des techniques de recueil de renseignement, a déclaré Mme Christiane Taubira, garde des Sceaux, ministre de la Justice, ce serait un changement de métier dont il faudrait tirer les conséquences non seulement en matière de formation et d’effectifs, mais aussi en matière de tutelle. Le contrôle juridictionnel permet aux citoyens d’être certains que l’État, dans son unité, sa complémentarité et sa solidarité, leur assure une protection efficace non seulement par ce renforcement du renseignement, mais également par la préservation de leurs droits et de leurs libertés. Nous pensons qu’il est souhaitable que le ministère de la Justice, pour exercer ce contrôle, n’ait pas à ordonner directement la mise en œuvre de techniques de recueil de renseignement.” L’amendement a donné lieu à un vif débat. “Je comprends parfaitement le rôle du personnel pénitentiaire et il ne s’agit pas ici de le transformer en agents de renseignement, a estimé M. Jacques Myard (Les Républicains, Yvelines), mais […] nous avons affaire à des gens dont nous savons pertinemment bien qu’ils peuvent être dangereux à leur sortie de prison. Imaginez qu’un détenu sorte de prison après avoir purgé sa peine sans que l’on se soit aperçu, faute d’avoir utilisé les moyens adéquats, qu’il avait noué des contacts très sérieux lors de sa peine – on sait très bien que les prisons, sans être des moulins, ne sont pas non plus des maisons totalement fermées –, qu’il persévère dans ses engagements radicaux, échafaude des projets précis et qu’il se passe quelque chose. Vous porterez une responsabilité grave qui engagera le gouvernement puisque le ministre de l’Intérieur vient de déclarer qu’il était solidaire.” M. Jean-Jacques Urvoas, opposé à l’amendement, a rappelé : “Nous pensons, à l’unanimité de la commission des lois, que le service de renseignement pénitentiaire doit pouvoir, à ce titre, accéder à certaines techniques du renseignement, […] que nous légalisons – je pense non seulement aux IMSI-catchers, mais aussi à des techniques d’interception de sécurité classiques qui seraient bien utiles dans certains cas.” L’amendement a été rejeté par 68 voix, dont 18 SRC, contre 38, dont 30 SRC.
L’Assemblée nationale a adopté, contre l’avis du rapporteur, un amendement du gouvernement ayant pour objet de clarifier, consolider et sécuriser les interventions des services spécialisés du renseignement dans les établissements pénitentiaires ainsi que les modalités d’échanges d’informations réciproques entre les services. L’amendement précise qu’un décret détermine les modalités de mise en œuvre dans les établissements pénitentiaires des techniques spéciales du recueil du renseignement.
Dans le débat relatif à la procédure applicable aux techniques de recueil du renseignement soumises à autorisation et de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), l’Assemblée a adopté un amendement du gouvernement distinguant, dans le cadre des accès aux données de connexion et des interceptions de sécurité, la procédures d’urgence absolue de celle d’urgence opérationnelle. L’urgence absolue est liée non plus à une menace imminente ou un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement, mais à l’impossibilité pour la commission de statuer dans le délai imparti ou à une impossibilité technique alors qu’une menace imminente ou un risque très élevé de ne pouvoir effectuer l’opération ultérieurement relève de la procédure d’urgence opérationnelle. Mme Christiane Taubira a indiqué qu’elle était convaincue : “de la nécessité d’encadrer la mise en œuvre des techniques de renseignement lorsqu’elles visent des professions protégées […] concernées par le respect du secret – le secret des sources, le secret professionnel et tous les secrets qui protègent la démocratie comme le secret de l’enquête, de l’instruction, du délibéré.”
L’Assemblée a adopté un amendement du gouvernement ayant pour objet d’introduire des dispositions spécifiques visant à encadrer davantage la mise en œuvre des techniques de renseignements, lorsqu’elles visent des personnes exerçant certaines professions particulièrement sensibles.
Ces dispositions sont justifiées selon le gouvernement par la nécessité de veiller à la conciliation du respect du secret attaché à l’exercice de certaines professions (secret de l’enquête, de l’instruction, du délibéré, secret applicable aux échanges relevant de l’exercice des droits de la défense, secret des sources pour les journalistes) avec la défense et la promotion des intérêts publics visés à l’article 1er du projet de loi.
Les dispositions de l’amendement visent à introduire une triple protection :
- un avis de la commission réunie et une autorisation spécialement motivée du Premier ministre,
- une information systématique de la commission sur les modalités d’exécution, sans en faire la demande,
- une mission conférée à la commission de préservation des secrets attachés à l’exercice de certaines professions. La commission veillera ainsi à ce que les atteintes éventuellement portées à ces secrets soient strictement nécessaires et proportionnées à la défense et à la promotion des intérêts publics visés par le présent projet de loi.
Si la Commission estime que la technique de recueil de renseignement mise en œuvre et concernant une des professions protégées est irrégulière, elle pourra en saisir le Conseil d’État, y compris en référé.
L’Assemblée a rejeté les amendements des députés des groupes Les Républicains et Écologistes visant à intégrer les médecins aux professions protégées.
S’agissant des durées de conservation des données collectées selon les techniques spéciales du renseignement portées jusqu’à cinq ans en ce qui concerne les durées de connexion, l’Assemblée a adopté un amendement de M. Pascal Popelin (SRC, Seine-Saint-Denis) ayant pour objet d’harmoniser les délais permettant aux services de renseignement de discriminer les données collectées au moyen d’un dispositif de sécurité, en passant de 30 à 90 jours. Le délai de conservation avant destruction est de cinq ans en ce qui concerne les données de connexion. Il est réduit à 90 jours lorsque les renseignements sont collectés grâce à une sonorisation, une prise d’image ou une captation de données informatiques, et à 30 jours pour les interceptions de correspondance émises par la voie de communications électroniques. Il s’agit ainsi de concilier les nécessités opérationnelles des services de renseignement et l’indispensable respect de la vie privée.
Selon l’amendement de M. Sergio Coronado (Écologiste, Français établis hors de France ), adopté par l’Assemblée, il n’y a pas lieu de prévoir une durée dérogatoire de conservation pour les correspondances échangées à l’étranger, d’autant plus qu’aucune limite n’est prévue mais de revenir au dispositif de droit commun en respectant les principes défendus par le Conseil d’État, qui a jugé “nécessaire que ce délai commence à courir comme aujourd’hui à compter du recueil des correspondances et non de leur première exploitation” La destruction a lieu six mois après le recueil. S’il s’agit de renseignements chiffrés le délai court à compter du déchiffrement.
Une longue discussion a eu lieu sur la composition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR). L’Assemblée a adopté un amendement de M. Jean-Jacques Urvoas et de M. Guillaume Larrivé (Les Républicains, Yonne) portant à treize au lieu de neuf le nombre de membres de la CNCTR, trois membres de l’Assemblée nationale, trois membres du Sénat, trois membres du Conseil d’État, trois magistrats hors hiérarchie de la Cour de cassation et une personnalité qualifiée. En outre a été adopté un amendement de M. Sébastien Dénaja (SRC, Hérault) et de Mme Catherine Coutelle (SRC, Vienne), l’objectif de cet amendement ayant pour objet de faire respecter le principe de parité au sein de la CNCTR. la commission étant composée de neuf membres, il est proposé que l’écart entre les femmes et les hommes y siégeant ne puisse excéder un.
L’Assemblée a adopté, afin de parer aux opérations de piratage telles que celle dont la chaîne de télévision TV5 Monde a été victime, un amendement visant au doublement des sanctions pécuniaires applicables à l’encontre d’un système de traitement automatisé des données et à leur triplement en ce qui concerne un système de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l’État.
L’Assemblée a rejeté les amendements des députés SRC, Écologistes et Républicains visant à limiter les mesures destinées à imposer aux opérateurs de communication électronique, hébergeurs et grandes plateformes Internet l’analyse automatique des données, qualifiée de boîte noire par ses détracteurs, en vue de détecter une menace terroriste par une succession suspecte de données de connexion. Comme l’a expliqué M. Sergio Coronado, “on fait dériver l’ensemble du trafic d’un hébergeur qui centralise des milliards de données vers une boîte noire, on applique à ces données des algorithmes qui auront été paramétrés préalablement et on observe ce qui remonte de ce grand coup de filet.” Pour Mme Laure de La Raudière (Les Républicains, Eure-et-Loir) “quel que soit le type d’algorithmes choisi, la surveillance sera massive. Cette méthode revient à détecter des cas rares dans une base de données très large, c’est-à-dire à chercher une aiguille dans une meule de foin. Il est en particulier très difficile de repérer des vrais suspects. Avec cette méthode, vous identifierez de nombreux « faux positifs » et demanderez ainsi la levée de l’anonymat et la mise sous surveillance de beaucoup de personnes totalement innocentes.” L’Assemblée a en revanche adopté les amendements du gouvernement aux termes desquels le Premier ministre ne pourra ordonner l’usage de l’algorithme que pour une durée de quatre mois renouvelable afin de garantir le caractère ciblé et temporaire de ce dispositif. Comme l’a indiqué M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, “Le gouvernement a […] été sensible aux préoccupations exprimées par les hébergeurs […] et le ministre de l’Intérieur, le ministre de l’Économie et la secrétaire d’État au Numérique ont rencontré leurs représentants.” Les opérateurs pourront s’assurer par eux-mêmes que les données de contenu seront exclues de la mise en œuvre de ces traitements. En outre la procédure d’urgence n’est pas applicable à ces dispositifs. L’Assemblée a adopté un autre amendement du gouvernement tendant à limiter l’application des dispositions relatives à l’algorithme jusqu’au 31 décembre 2018 afin d’évaluer le dispositif. Le gouvernement adressera au Parlement un rapport sur l’application de cette disposition au plus tard le 30 juin 2018.
À l’article 3 relatif aux techniques de recueil du renseignement soumises à autorisation (appareils enregistrant les paroles ou les images de personnes ou logiciels captant leurs données informatiques, introduction dans un véhicule, un lieu privé ou un système automatisé de traitement de données pour poser, mettre en œuvre ou retirer les appareils ou les logiciels, interceptions de communications électroniques émises ou reçues à l’étranger), l’Assemblée a adopté un amendement écologiste sur la saisine du Conseil d’État par la CNCTR en cas d’irrégularité modifié par un sous-amendement du gouvernement limitant cette possibilité aux correspondances émises ou reçues sur le territoire français.
L’Assemblée a aussi adopté un amendement de M. Jean-Jacques Urvoas relatif au statut de lanceur d’alerte. L’agent des services de renseignement souhaitant dénoncer la mise en œuvre illégale d’une technique de recueil du renseignement ou une surveillance abusive pourra être entendu par la CNCTR habilitée au secret de la défense nationale et puisqu’elle a les capacités de mener des investigations complémentaires. En cas d’illégalité, elle peut alors soit aviser le procureur de la République et entamer les démarches nécessaires pour déclassifier les documents utiles aux poursuites pénales ou civiles, soit saisir le Conseil d’État pour interrompre la technique incriminée et faire condamner l’État. L’auteur de l’amendement explique que l’affaire Snowden a démontré la nécessité de créer les conditions pour que des agents puissent dénoncer des abus commis par les services de renseignement. Un sous-amendement écologiste adopté précise qu’aucun agent ne pourra être sanctionné ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de titularisation, de notation, de discipline, de promotion et de mutation.
À l’article 4 relatif au contentieux de la mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement, l’Assemblée a adopté un amendement du gouvernement qui prévoit que la décision du Conseil d’État est rendue par une formation particulière, sous réserve de l’inscription à un rôle de l’assemblée ou de la section du contentieux si l’importance ou la difficulté de l’affaire le justifie.
L’Assemblée nationale a adopté un article additionnel introduit par un amendement du gouvernement tendant à créer un fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT). Seront inscrites au fichier les personnes mises en examen si le juge d’instruction en décide – puisque la mise en examen ne vaut pas condamnation –, ainsi que les personnes condamnées, sauf si la juridiction décide qu’il n’y a pas lieu de procéder à cette inscription. Pour les mineurs, l’inscription devra faire l’objet d’une décision expresse de la juridiction. Les délais de maintien dans le fichier sont de vingt ans pour un majeur et de dix ans pour un mineur à compter de la décision. Un amendement écologiste prévoit que les informations sont effacées en cas de non-lieu, de relaxe et d’acquittement. Les personnes inscrites au fichier devront informer les autorités de tout projet de déplacement à l’étranger, quelle que soit la durée de ce déplacement et, d’autre part, de leur domiciliation tous les trois mois et, le cas échéant, de tout changement d’adresse. Ce fichier est placé sous l’autorité du ministère de la Justice. Toute interconnexion avec un autre fichier est interdite, sauf avec le fichier des personnes recherchées, le FPR. Le non-respect des obligations prévues dans cet amendement serait constitutif d’un délit puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.
Adoption du projet de loi en première lecture par l’Assemblée nationale au scrutin public par 438 voix contre 46.
M. André Chassaigne (GRD, Puy-de-Dôme) a rappelé que son groupe refusait “surtout de céder à la tentation du tout sécuritaire” et qu’il était très vigilant “quant au respect des libertés individuelles. C’est pourquoi nous avons, durant la discussion en séance, exposé nos inquiétudes et proposé des amendements tendant à encadrer le recours à des techniques de renseignement très intrusives, pour des motifs étendus et souvent flous, dans des domaines qui dépassent largement la lutte contre le terrorisme.”
M. Michel Zumkeller (UDI, Territoire de Belfort) a considéré que “le renseignement est un acte de souveraineté par excellence. La mise en place d’un cadre législatif et réglementaire nouveau est donc nécessaire si nous voulons asseoir juridiquement des méthodes et des pratiques déjà mises en œuvre.” Et il a estimé “que des garanties suffisantes ont été établies afin de concilier la préservation des libertés avec l’encadrement des activités de renseignement.”
“Si ce texte est insuffisant, il est néanmoins nécessaire, car il dote d’un cadre légal des activités de renseignement déjà existantes”, a déclaré M. Éric Ciotti. Celui-ci a également considéré que “le texte prévoit un encadrement strict des techniques de renseignement pour atteindre un juste équilibre” et plus généralement « que la guerre contre le terrorisme nécessitait de dépasser les clivages politiques.”
M. Alain Tourret (RRDP, Calvados) a déclaré que “Le groupe RRDP, les radicaux et leurs alliés voteront unanimement un texte opportun et indispensable qui renforce la sécurité des Français au moment où celle-ci est gravement menacée.”
“Imaginons un instant, monsieur le Premier ministre, ce qu’un autre gouvernement que le vôtre pourrait faire de ce si grand pouvoir que vous octroie aujourd’hui ce texte”, a lancé M. Sergio Coronado. C’est pourquoi « la grande majorité des députés du groupe des Écologiste a décidé de voter contre ce projet de loi.”
Rapporteur au Sénat : M. Philippe Bas (Les Républicains, Manche), président de la commission des lois.
“Le texte donne un cadre légal aux services de renseignement a estimé le rapporteur dans la discussion générale. Pour autant il ne renforce pas les moyens des services de renseignement, ce n’est pas son objet. Il n’a rien à voir avec la caricature qui en a été faite. […] Nous avons souhaité imposer la pleine application du principe de légalité aux techniques de renseignement pour sortir du non droit. […] Nous nous ferons les défenseurs des libertés, mais avec le souci de l’efficacité de l’action publique”, a conclu M. Philippe Bas. “Fidèle à sa tradition, le Sénat entend être une nouvelle fois au rendez-vous de l’état de droit.”
M. Jean-Pierre Raffarin (Les Républicains, Vienne) a considéré que “cette loi n’est pas une loi d’exception. Simplement elle vise un domaine non encore couvert par le droit.”
“Nous ne pouvons plus laisser dire que ce texte est une loi de circonstance, a déclaré M. Didier Guillaume (Socialiste, Drôme). C’est faux ! Faut-il rappeler les attaques terroristes de janvier, la cyberattaque menée, en avril, contre TV5 Monde ? La France a été ébranlée en janvier, elle a été secouée en avril. Ce sont nos valeurs qui ont été visées. Des Français sont morts sous les balles des terroristes, parce qu’ils étaient juifs, parce qu’ils étaient dessinateurs, parce qu’ils étaient policiers, et, tous autant qu’ils étaient, parce qu’ils représentaient la France et nos valeurs.”
Mme Esther Benbassa (Écologiste, Val-de Marne) a noté que la loi du 23 novembre 2014, “n’a pas davantage empêché les massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper casher de la porte de Vincennes. On comprend que le gouvernement souhaite agir. Toutefois l’empilement pour des raisons d’affichage, de textes d’inspiration répressive semble vain. Pourquoi légaliser des pratiques qui se sont révélées inefficaces ?”
Selon Mme Cécile Cukierman (CRC, Loire) “ce projet de loi suscite des inquiétudes légitimes. Il légalise de nouvelles pratiques : boîtes noires, algorithmes, ISMI-catcher. Nous rejoignons ainsi la Russie dans le club très fermé des pays qui ont transformé en norme un régime d’exception… En nous dotant d’un arsenal de surveillance de masse, nous allons pêcher l’anguille avec un chalut !”
Le Sénat a adopté plusieurs modifications en séance publique.
À l’article 1er A relatif au respect de la vie privée et à la légalité des autorisations de mise en œuvre des techniques de recueil de renseignement, le Sénat a adopté un amendement de M. Gaëtan Gorce visant à inscrire dans la loi que la protection des données personnelles fait partie intégrante du respect de la vie privée, au même titre que le secret des correspondances et l’inviolabilité du domicile. A aussi été adopté un amendement du gouvernement visant à rappeler la spécificité de la procédure de délivrance des autorisations, afin d’éviter une pleine application du droit commun aux mesures de surveillance internationale.
L’article 1er relatif aux procédures de mise en œuvre et de contrôle des techniques de renseignement a été modifié afin de préciser que chaque service de renseignement pourra agir seulement au regard des finalités qui relèvent de ses missions (amendement socialiste). Un autre amendement tend à encadrer par un décret en Conseil d’État la détermination de la mise en œuvre des techniques de renseignement dans les établissements pénitentiaires et les modalités d’échanges d’informations entre les services et l’administration pénitentiaire (amendement socialiste).
Le Sénat a adopté un amendement de la commission des lois tendant à préciser que l’administration pénitentiaire aurait la possibilité de signaler aux services de renseignement toute personne écrouée aux fins de mise en œuvre, par ces mêmes services, d’une technique de renseignement.
Un amendement du gouvernement vise à étendre expressément l’urgence opérationnelle, à l’interception des correspondances par le moyen d’un dispositif de proximité.
Le Sénat a ramené à neuf les membres de la Commission nationale de contrôles des techniques de renseignement (CNCTR), tout en établissant la parité.
Il a adopté un amendement du gouvernement excluant de rendre publiques, dans le rapport de la CNCTR, les statistiques par technique et par finalité afin de ne pas révéler des techniques d’enquêtes privilégiée.
Il a adopté un amendement du gouvernement excluant de rendre publiques, dans le rapport de la CNCTR, les statistiques par technique et par finalité afin de ne pas révéler des techniques d’enquêtes privilégiées mais ces informations seront transmises à la délégation parlementaire au renseignement.
Il a adopté les dispositions relatives aux techniques de recueil de renseignement et notamment la mise en place d’algorithmes permettant l’analyse des données de connexion des communications échangées au sein du réseau d’un opérateur. Cependant un amendement de M. Jean-Pierre Sueur (Socialiste, Loiret) vise à restreindre le champ d’application de la procédure dérogatoire permettant aux agents habilités des services de renseignement de solliciter eux-mêmes du Premier ministre le recueil des données de connexion. Il s’agit selon l’auteur de l’amendement de garantir que le recueil des informations les plus intrusives, à savoir l’accès aux “fadettes” retraçant les communications d’un abonné portant sur la liste des numéros appelés et appelants, ainsi que la durée et la date des communications, ne sera possible que sur demande du ministre ou des personnes spécialement désignées par lui. Un amendement du gouvernement tend à imposer la destruction sous soixante jours de toutes les données concernant des personnes, recueillies à l’issue de la mise en œuvre de l’algorithme sur lesquelles les recherches complémentaires effectuées par tout moyen n’auront pas confirmé la nécessité d’une surveillance individuelle.
Il a adopté les dispositions relatives aux techniques de recueil de renseignement et notamment à la sonorisation des lieux privés, à la captation d’images et de données informatiques et aux mesures de surveillance internationale en limitant à trente jours, au lieu de deux mois, l’autorisation de sonorisation et de captation d’images dans des lieux privés ou la captation de données contenues dans des ordinateurs personnels et en limitant à trente jours, au lieu de deux mois, la durée maximale d’autorisation de la technique visant à accéder à distance à des données stockées dans un système informatique. Un amendement du gouvernement tend à exiger la saisine immédiate du Conseil d’État lorsque l’introduction dans un lieu privé à usage d’habitation a été autorisée malgré l’avis contraire de la CNTCTR. Cette saisine est suspensive sauf en matière de terrorisme. Un sous-amendement relatif à la saisine immédiate du Conseil d’État par le Président de la CNCTR et non par le Premier ministre a été adopté.
Il a aussi adopté l’article relatif à la création du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes modifié par un amendement de Mme Esther Benbassa ayant pour objet de permettre au procureur de la République de demander d’office l’effacement ou la rectification des données de ce fichier.
Il a adopté un amendement du gouvernement ayant pour objet de permettre aux agents de la police et de la gendarmerie nationales dont la mission principale est le renseignement, ainsi qu’à la direction de la protection et de la sécurité de la défense, d’accéder, pour les finalités liées à la prévention du terrorisme et des violences collectives graves, au traitement d’antécédents judiciaires.
Il a introduit un article additionnel ayant pour objet d’autoriser ès qualités le président et le rapporteur général des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, ainsi que les rapporteurs spéciaux de ces commissions qui suivent et contrôlent les crédits des services spécialisés de renseignement à recevoir communication de certaines informations relatives au renseignement protégées par le secret de la défense nationale (amendement de Mme Michèle André, Socialiste, Puy-de-Dôme et de M. Albéric de Montgolfier, Les Républicains, Eure-et-Loir).
Il a adopté un amendement de la commission afin de prévoir que la loi devra faire l’objet, après évaluation de son application par la délégation parlementaire au renseignement, d’un nouvel examen par le Parlement dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur.
Adoption en première lecture par le Sénat par 257 voix pour et 67 voix contre.
Jean Lalloy, chroniqueur