La 38e édition de Ramses 2021, rapport annuel mondial sur le système économique et les stratégies de l’Institut français des relations internationales (Ifri), aborde cette année les répercussions de la pandémie de Covid-19 et ses conséquences sur la gouvernance mondiale.
Le rapport s’ouvre sur les « perspectives » de Thierry de Montbrial, fondateur et président de l’Ifri.
Il nous livre une analyse complète et claire des principaux enjeux sanitaires, économiques, géopolitiques et géostratégiques. Il examine en premier l’héritage des crises qui ont secoué le système international : crise financière de 1997, celle de 2007-2008 et, entre les deux, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 qui, à l’instar des autres chocs et de la pandémie de Covid-19, sont ressenties comme des « cygnes noirs ». Les conséquences socio-économiques de ces crises sont considérables. « Le point important, est que l’aptitude des sociétés à s’organiser préventivement pour affronter des chocs prévisibles mais non datables, est faible lorsque les sociétés n’ont pas gardé la mémoire d’épreuves comparables à celles qui pourraient advenir » souligne Thierry de Montbrial ; ajoutant par ailleurs « la complexification d’un monde en mal de gouvernance engendrera bien d’autres « cygnes faussement noirs » ». Il évoque le risque d’une pandémie numérique. « En tout cas, à l’échelle de l’Histoire, des événements comme les crises financières, le 11 Septembre ou le Covid-19, ne sont pas nécessairement des causes, mais des effets des changements du monde.
Du point de vue du moyen et du long terme, la pandémie apparaît comme un révélateur ou un catalyseur de tendances préexistantes dans de nombreux domaines. C’est en particulier le cas pour l’évolution du système international dans son ensemble […] On doit s’attendre au renforcement de la politisation – déjà très engagée – de l’économie internationale, c’est-à-dire à une accentuation de la corrélation entre géopolitique, géostratégie et géoéconomie. Le tout formant une sorte de géo à la puissance trois. »
Thierry de Montbrial prévoit, en outre, un durcissement de la compétition sino-américaine qui contribuera à une « démondialisation partielle, et au sein de l’Otan à des pressions croissantes de Washington pour que les Européens choisissent leur camp ». Dans ce contexte international, l’Union européenne deviendra-t-elle géopolitique ?
« La nouvelle Commission, qu’Ursula von der Leyen veut « géopolitique », semble consciente que le monde change vite et profondément, et que l’Europe ne peut plus se croire sous la protection américaine. Josep Borrell plaide pour l’autonomie stratégique. Tous reconnaissent maintenant l’importance de grands projets industriels communs (d’abord dans le numérique) et la nécessité de protéger les secteurs « stratégiques », notamment des prédateurs chinois » souligne-t-il. Mais peut-on parler d’autonomie stratégique sans parler de l’Otan ? Thierry de Montbrial est convaincu depuis la chute de l’Union soviétique que « l’Alliance atlantique est en voie de perdre son sens. Les États-Unis l’utilisent pour structurer leur domination sur l’Europe, où les perceptions sont nuancées ». Il regrette la désunion diplomatique européenne quand il s’agit de l’essentiel comme à propos de la Russie ou du Moyen-Orient. Il conseille finalement de « briser les lunettes idéologiques ». « Le XXIe siècle n’en finit pas de mal commencer » conclut Thierry de Montbrial.
Dominique David, co-directeur de Ramses et conseiller du président de l’Ifri, en introduction de la deuxième partie analyse l’après virus. La crise de la Covid-19 « nous incite à considérer différemment les logiques et les conséquences de la globalisation, à la fois concrètement et symboliquement : sur la santé, sur l’environnement de la vie humaine, sur nos souverainetés. Elle interroge la gouvernance internationale, et au premier chef une capacité de décision qui nous touche directement : celle de l’Union européenne (UE). Et elle nous replonge dans l’incertitude sur l’avenir de notre Sud, en particulier du monde arabe, dont nous avons tant craint qu’un virus ne vînt parachever son malheur » précisant que « L’année du virus nous aura montré le monde tel qu’il est : sans structure politique globale – pas d’institution, pas de système organisationnel de référence, sauf peut-être la « structure » informationnelle, qui a joué pendant la crise du Covid-19 un rôle, sans doute dominant, qu’il faudra analyser ; un monde que n’organisent que les compétitions entre puissances opportunistes. Opportunistes, c’est-à-dire qui jouent d’une situation dérégulée pour réaliser vite, et ponctuellement, leurs gains » écrit Dominique David.
Trois principaux enjeux sont analysés par la suite :
- « Santé/Climat : Covid-19, et maintenant ? » : Cette pandémie incite- t-elle à une réaction combinée des citoyens et des instances politiques ? Les gouvernements seront-ils prêts à reconsidérer la priorité politique, à résister aux injonctions des intérêts privés qui font passer des intérêts économiques aux dépens de la santé ?
- « Europe : se refaire ou se défaire » : La crise de la Covid-19 confronte l’Union européenne à son destin. Pourra-t-elle restaurer la confiance des peuples qui lui demandent d’assurer, avec les États, leur protection ? Et les États accepteront-ils un nouveau partage des responsabilités ? L’avenir du projet européen est en cause.
- « Monde arabe : 10 ans après le faux printemps » : Le confinement suite à la Covid-19 ne constitue-t-il pas une occasion pour des régimes en perte de légitimité de renforcer leur contrôle sur des populations démunies, en souffrance ? Les économies fragiles de ces pays sous pression et la capacité refoulée de rébellion pour cause d’épidémie ne risque-t-elle pas de se réveiller pour tenter un nouveau printemps arabe ?
Le troisième volet de Ramses « Le Monde en questions » traite des suites économiques et technologiques de la Covid-19, des défis sécuritaires et migratoires, en passant par les problématiques stratégiques propres à chaque continent.
Les Repères offrent enfin une chronologie 2019-2020, des cartes originales du monde et le monde en chiffres.
Le Ramses 2021, accompagné de huit vidéos, est un ouvrage de référence essentiel pour les chercheurs et tout lecteur qui s’intéresse aux relations et à la géopolitique mondiales ou bien à une région ou à un pays déterminé