Marie-Françoise Bechtel, députée de l’Aisne, a lancé une pétition pour le rétablissement du service national obligatoire pour tous, « creuset d’une égalité retrouvée par l’intégration et par un apprentissage actif des valeurs du civisme ».
Revue Politique et Parlementaire – Vous êtes à l’origine d’une pétition pour la re-création d’un service national obligatoire pour tous. Qu’est-ce qui a motivé cette initiative ?

Marie-Françoise Bechtel – D’abord je ne suis pas une nostalgique du service national tel qu’il était même si je n’étais pas favorable à sa suspension intervenue il y a bientôt vingt ans. Mais les méfaits de cette suspension se font sentir aujourd’hui, avec la perte de repères civiques d’une partie de la jeunesse.
C’est un constat qui pour moi a été porté à la puissance dix avec les attentats qui ont marqué l’année 2015. Au lendemain du 13 novembre, j’ai ressenti comme une urgence l’idée qu’on ne pouvait plus attendre les bras croisés car, comme les répliques des séismes, l’attaque du Stade de France, la boucherie froide des établissements du 11e arrondissement ne permettaient plus de penser : plus jamais ça.
Il faudra s’habituer à une phase nouvelle dans laquelle les enjeux sécuritaires, à l’évidence, monteront en puissance.
Mais ce doit être aussi l’occasion de recimenter la République autour du civisme et il faut le faire avec une vraie ambition pour le futur. Le premier projet de longue portée qui m’est venu à l’esprit comme une évidence est celui du rétablissement d’un service national. C’est ainsi que, avec une vingtaine de collègues parlementaires, nous avons écrit au président de la République dès le 16 novembre pour lui demander qu’un grand débat soit organisé sur ce sujet.
La pétition citoyenne sur le site de République Moderne a connu dès les premiers jours un grand succès. Je n’en suis pas surprise : les nombreux contacts que j’ai dans ma circonscription confirment que cette idée est très populaire.
RPP – Quelle forme prendrait ce service national ?
Marie-Françoise Bechtel – Je ne propose pas un système clé en main. Mais je demande que le projet soit l’objet d’un examen approfondi. Il doit être précédé d’un travail sérieux avec des échéances de programmation établi par un groupe de travail parlementaire. Sur le fond, j’ai une exigence et une seule :
il est à mes yeux indispensable qu’un service national adapté au XXIe siècle soit à la fois obligatoire et universel, ouvert aux deux sexes et impliquant la totalité des jeunes Français.
Pour le reste, il devrait être court, d’une durée de trois mois ou pourquoi pas six mois. Il faut qu’il intègre un premier apprentissage de l’ensemble des éléments de la défense nationale incluant également la protection civile, les secours, les interventions des pompiers.
Il serait naturellement permis aux objecteurs de conscience de substituer à l’apprentissage des armes d’autres formations utiles à la collectivité comme c’était déjà le cas dans l’ancien service national.
Il faudrait autant que possible que ce service national soit assorti d’une formation professionnelle diversifiée, dans laquelle l’Éducation nationale serait pleinement impliquée et par ailleurs qu’il puisse déboucher, sur la base du volontariat cette fois, sur une prolongation.
Il serait aussi l’occasion de mettre les jeunes en mesure de passer l’examen du (et des) permis de conduire parce que je sais, par expérience d’élue sur un territoire rural présentant des zones de relégation, combien cet avantage est essentiel.
Enfin ce système n’est pas un retour en arrière car il ne s’agit pas de revenir sur le choix pour la France, comme les grands pays comparables, d’avoir une armée professionnelle. C’est pourquoi nous parlons de réinventer un dispositif nouveau dont le point commun avec le passé est que tous les jeunes sont « appelés » à servir la collectivité nationale.
RPP – Le service civique, tel qu’il existe aujourd’hui, ne convient-il pas ?
Marie-Françoise Bechtel – Ce que nous proposons n’a rien à voir avec le service civique. Il y a, dans notre projet, un caractère obligatoire et c’est ce caractère obligatoire qui est fondamental. Évidemment, je trouve très bien que de nombreux jeunes soient intéressés par le service civique, qu’ils s’engagent de plus en plus dans des actions de solidarité, etc.
Mais le service civique reste basé sur le volontariat alors qu’un service national obligatoire et universel permettait d’apprendre la contrainte commune, et incarnerait le civisme en actes, l’idée du brassage social et de l’égalité de tous les citoyens. C’est fondamental pour notre futur collectif.
RPP – Comment serait financé ce service national ?
Marie-Françoise Bechtel – La réinstitution d’un service national universel aurait forcément un coût, mais on ne peut pas balayer d’un revers de la main cette idée au motif qu’elle serait coûteuse. La sécurité nationale, l’intégration civique n’ont pas de prix.
Le service militaire tel qu’il a été suspendu sous Jacques Chirac coûtait 1,6 milliard d’euros.
On estime qu’un rétablissement coûterait aujourd’hui 4 milliards.
Mais il faut tenir compte des contreparties et des effets induits, regarder le coût réel, c’est-à-dire déduire par exemple les contrats d’avenir que la collectivité n’aurait plus à assumer ainsi que toutes les aides aux jeunes en déshérence sans parler du coût de la délinquance née sur le terreau de la perte des valeurs civiques.
Nous devons aussi intégrer dans l’évaluation du coût ce que ces jeunes apporteraient puisqu’ils seraient formés et habilités à protéger le territoire, à participer activement à la protection civile, ce qui permettrait notamment de libérer d’autres forces de protection sur des opérations qui demandent l’intervention de professionnels aguerris.
Nous devons donc faire une loi de programmation sur la base d’une évaluation de l’ensemble des coûts et bénéfices, pour dégager un financement à la fois ambitieux et réaliste. Ou bien une nation comme la France, qui est la sixième puissance mondiale, doit- elle renoncer à organiser la moindre action à long terme concernant son avenir ?
RPP – Quels seraient les moyens humains, logistiques et techniques mis en place ?
Marie-Françoise Bechtel – Il faudra évidemment des moyens d’encadrer les 600 000 jeunes qui effectueraient leur service chaque année. L’armée professionnelle est requise pour d’autres tâches, mais il existe une réserve militaire destinée à monter en puissance, sans parler de la partie de l’encadrement militaire qui reste mobilisé sur le territoire national par des opérations comme Sentinelle. Je crois que l’équipement et la logistique coûteraient plus cher que l’hébergement.
Toutes ces choses doivent être discutées, des solutions à chaque problème, notamment budgétaires, peuvent être trouvées.
Par exemple, sur la question de l’accueil des jeunes, il est vrai que nous avons fermé de nombreuses casernes, mais pourquoi ne pas ouvrir les internats de lycée ou de centres sportifs durant l’été aux jeunes qui effectueraient leur service ? Des idées comme celle-ci peuvent être étudiées à condition que nous ayons un débat organisé et qu’un groupe de travail parlementaire soit mis en place.
C’est ce à quoi nous travaillons avec mes collègues signataires. Car nous ne demandons qu’à travailler en évitant deux pièges : le « c’est facile, il faut le faire » ou, à l’inverse le : « impossible car cela coûte trop cher ». Nous savons bien que l’enfer est pavé de bonnes intentions mais nous savons aussi quels dégâts peut causer au bien commun une vision purement comptable des choses.
Marie-Françoise Bechtel
Députée de l’Aisne, vice-présidente de la commission des lois
(Propos recueillis par Florence Delivertoux)