Patrice Martin-Lalande vient de déposer devant l’Assemblée nationale une proposition de loi organique généralisant la consultation publique en ligne, par l’internet, sur les textes de loi avant leur examen par le Parlement. Il nous explique ses motivations.
Qu’est-ce qui a motivé cette proposition de loi ?
Patrice Martin-Lalande – Tous les aspects de notre vie en société sont transformés par l’internet. Il permet à chacun d’être récepteur et émetteur d’un nombre illimité d’informations et d’expertises. Il tend à faire du “collaboratif” le mode normal d’organisation du travail.
Cette révolution met en cause toutes les médiations, y compris les médiations politiques.
Le partage de l’information conduit au partage du pouvoir.
Nous allons donc devoir inventer la démocratie qui va avec le numérique. Un nouvel équilibre entre la démocratie représentative et la démocratie directe. Une “démocratie collaborative” avec une fabrique de la loi plus ouverte aux contributions citoyennes.
Le vrai enjeu pour le Parlement, c’est de choisir ou de subir le changement. Le Parlement français a-t-il intérêt à subir cette évolution en laissant à la seule société civile le soin de conduire cette évolution ? N’est-il pas plus conforme à la responsabilité du Parlement de vouloir être acteur lui aussi ?
J’ai donc déposé en avril, avec une cinquantaine de collègues députés, parmi lesquels Nathalie Kosciusko-Morizet, Virginie Duby-Muller, Laure de La Raudière, André Santini, Jean-Francois Copé, Philippe Gosselin et Lionel Tardy, une proposition de loi organique “généralisant la consultation publique en ligne, par l’internet, sur les textes de loi avant leur examen par le Parlement”.
A l’instar d’ailleurs de ce que la Commission européenne organise déjà très régulièrement.
Cette proposition de loi doit permettre :
- un enrichissement des débats en amont de la discussion parlementaire ;
- une connaissance et une prise en compte, par le Parlement, du point de vue et de l’expertise des citoyens internautes, dans une démarche de “co-préparation” de la loi ;
- et, enfin, une transparence accrue du processus d’élaboration des normes.
Mais le vote doit continuer de relever des seuls représentants du peuple, sauf l’exception du référendum !
Le gouvernement a, du reste, entrouvert la porte dans cette direction en organisant une consultation en ligne pour 2 récents textes de loi.
Concrètement, comment s’organiserait cette consultation et comment seraient traitées les contributions ?
Patrice Martin-Lalande – Les modalités concrètes de la consultation devront être précisées dans le cadre de textes d’un niveau inférieur à celui de cette proposition de loi organique.
La bonne organisation de la consultation nécessite de répondre à plusieurs questions préalables.
La première question à trancher est celle du calendrier de la consultation.
Dans le cadre d’un projet de loi (initiative gouvernementale), à quel moment (et par qui : gouvernement ou parlement ? ) doit avoir lieu la consultation ?
- Le plus en amont possible, jusqu’à préalablement à la rédaction même du texte ?
- A partir du projet de texte, en parallèle des consultations demandées aux divers conseils, experts, conseils, avant sa transmission pour avis au Conseil d’Etat ?
- Après sa présentation et son adoption en Conseil des ministres, avant le débat parlementaire ?
- Tout au long de la navette parlementaire, avec en suivi de modifications, l’analyse des modifications faites par chaque commission et chaque assemblée ?
Dans le cadre d’une proposition de loi (initiative parlementaire), à quel moment doit avoir lieu la consultation ?
- Le plus en amont possible, préalablement à la rédaction même du texte ?
- Dès son enregistrement par le bureau de l’une des deux chambres ?
- Dès la décision d’un groupe d’en demander l’inscription dans une de ses “niches parlementaires ” ?
- Dès son inscription à l’ordre du jour de l’une des deux chambres ?
Enfin, quelle est la durée idéale d’une consultation : laisser le temps de l’expression citoyenne , mais laisser aussi au législateur le temps nécessaire pour valoriser cette expression en amendant ou en définissant son vote.
Deuxième question à trancher, celle de l’intégration de la consultation dans le travail parlementaire.
Quel est le moyen le plus efficace pour que la consultation citoyenne puisse enrichir le travail législatif ?
- La restitution des données brutes de la consultation ?
- La rédaction d’une synthèse transmise aux parlementaires, à leurs assistants et aux administrateurs de l’Assemblée nationale et du Sénat ?
- La publication des réponses aux contributions les plus soutenues sur la plateforme par le rapporteur du texte ?
- La publication des réponses à toutes les contributions de la plateforme ?
- L’organisation d’une journée délibérative par le rapporteur ?
- L’organisation d’une réunion de la commission permanente compétente, à l’initiative de son président, réunion dédiée à la consultation citoyenne et en présence des meilleurs contributeurs et des parlementaires ?
- La désignation d’un “rapporteur citoyen” ?
Comment les parlementaires peuvent ils participer à la consultation ?
- En organisant des ateliers législatifs dans leur circonscription ?
- En déposant eux-mêmes leurs amendements sur la plateforme ?
- Ils n’ont pas à intervenir en cours de consultation mais seulement à son issue ?
Troisième et dernière question : faut-il aller plus loin ? Notamment, faut-il dupliquer la consultation en aval de l’élaboration de la loi par une consultation pour l’évaluation de sa mise en oeuvre ? Et quid du e-parlement ?
Ce processus ne risque-t-il pas d’allonger encore davantage la durée de préparation des textes ?
Patrice Martin-Lalande – L’éventuel rallongement de la durée de préparation des textes dépend notamment des réponses qui seront apportées aux questions évoquées précédemment.
Deux remarques toutefois.
D’une part, la qualité de la loi tend à se dégrader depuis plusieurs dizaines d’années. Or, nous légiférons de plus en plus rapidement. Souvent sous le régime de la “procédure accélérée” engagée par les gouvernements.
Inscrire la fabrique de la loi dans l’épaisseur du temps pourrait permettre de renouer avec des textes à plus “haute qualité normative”.
D’autre part, de la conception à l’application effective de la loi, j’observe que le temps de la rédaction de ses décrets d’application est souvent le plus long. Lorsqu’il aboutit, du reste… puisque certaines dispositions législatives sont parfois privées du moindre effet faute d’avoir été déclinées par décrets ! Dans ce processus normatif, c’est donc en aval plutôt qu’en amont du vote de la loi que sont à rechercher les gains de temps.
Pensez-vous que les Français soient prêts à ce mode de fonctionnement ?
Patrice Martin-Lalande – L’internet est à l’origine d’une double révolution mondiale de l’information et de l’expertise citoyennes. Il permet aux citoyens internautes d’être récepteurs et émetteurs d’un nombre illimité d’informations et d’éléments d’expertise.
Cette révolution est sans doute une circonstance aggravante de la crise remettant en cause toutes les médiations dans tous les pays. A commencer par la démocratie représentative.
Mais elle peut aussi être l’un des instruments d’une sortie de cette crise. En permettant une participation sans précédent des citoyens au processus de préparation de la décision politique. Et en contribuant ainsi à refonder la confiance envers les représentants.
Dans toutes les démocraties représentatives, une mutation est en cours par l’introduction d’une dose de “démocratie participative”.
Pour vous répondre, je ne pense pas que les Français soient “prêts” à ce mode de fonctionnement. Je pense qu’ils sont impatients et qu’ils exigent cette évolution vers plus de démocratie participative !
Quel est votre objectif en termes de calendrier législatif ?
Patrice Martin-Lalande – Je suis convaincu que, sur tous nos bancs, nous partageons la volonté que le Parlement organise la concertation préparatoire au vote de la loi ! Sans, en aucune manière, contester les autres formes de concertation, à l’initiative du Gouvernement, des réseaux sociaux ou de certaines plateformes.
Le Parlement a un rôle irremplaçable à jouer dans la mutation numérique de la vie politique et il ne doit pas attendre pour prendre toutes ses responsabilités.
Sans cela, attention à l’uberisation de la démocratie représentative !
En conclusion, et pour toutes ces raisons, j’espère très vivement que cette proposition de loi sera votée avant la fin de notre législature. Avec les encouragements du Gouvernement, comme l’a indiqué le Secrétaire d’Etat Jean-Vincent Placé en me répondant sur ce thème le 25 mai. Et avec le soutien de députés siégeant sur tous les bancs de l’hémicycle.
Car la démocratie de demain sera numérique, ou ne sera pas.
Patrice Martin-Lalande
Député de Loir-et-Cher
Propos recueillis par Florence Delivertoux