Pour Bernard Attali, Président honoraire d’Air France, Ancien chargé au Plan, Ancien délégué à la Datar, il convient d’ores et déjà de réfléchir à la sortie de crise. Il nous explique comment.
Je vais défendre ici une idée qui eut été inconcevable il y a un mois encore. Aujourd’hui la crise sanitaire nous obsède. À juste titre. Mais il faudra bien en sortir un jour. Il est donc urgent de réfléchir dès maintenant à l’atterrissage, pour être prêts le jour venu.
Sans refaire les erreurs d’hier : des politiques à courte vue, dans l’urgence, à la godille. Et imposées d’en haut, avec parfois plus d’arrières pensées politiques que de bon sens économique. Demain en effet il faudra reconstruire. C’est à dire analyser les dégâts de la crise et en tirer les leçons ; trier dans les priorités car tout ne pourra être fait en même temps ; choisir une stratégie qui combine court terme (relance) et moyen terme (retour aux équilibres) ; relocaliser ce qui a été expatrié imprudemment ; arbitrer entre les dépenses sociales et les investissements plus directement productifs ; introduire la contrainte environnementale dans l’action gouvernementale ; réparer les circuits de financement ; sortir du piège de la dette, publique et privée ; redéfinir la place du secteur public après ce qui vient de se passer ; assurer une stratégie fiscale efficace et juste ; repenser l’encadrement éthique des dirigeants d’entreprise… etc…
Un immense chantier qui devra être conduit avec l’ensemble des forces vives du pays. En essayant de laisser le moins de monde possible au bord de la route. Sommes-nous capables de le faire ? Oui, la France en a vu d’autres. Disposons-nous encore des instruments pour cela ? Non !
À mon sens il est urgent de rebâtir ce que fut autrefois la planification.
Hélas des gouvernements à vue courte ont cru bon de sacrifier le Commissariat au Plan aux caprices du marché. Comme s’il était possible de naviguer sans boussole. Même erreur d’ailleurs avec la suppression de la Délégation à l’aménagement du territoire, autrefois en charge de la solidarité entre régions. Et bien les résultats sont là : un État sans vision stratégique, sans vision à terme, avec les conséquences et les inconséquences que l’on sait. Il ne s’agit pas ici de revenir à un dirigisme dépassé. Mais d’associer tous les acteurs, entreprises, partenaires sociaux, collectivités territoriales, mouvements associatifs, économistes, à la définition d’un cap, d’une direction, d’un horizon qui permette au pays de sortir de la tempête dans les meilleures conditions possibles. En balisant l’avenir et en définissant un cadre souple mais clair. Pour que les hommes politiques soient bien au fait des choix qui leur incombent. Sans dérobade possible. Comme cela fut accompli naguère grâce à des hommes comme Jean Monnet ou Bloch Laine.
Cette démarche s’impose autant pour des raisons sociales qu’économiques.
Il y a fort à parier que, la crise sanitaire passée, les revendications de toute nature vont exploser. Comment ne pas le comprendre ? Pendant des années les gouvernements ont dit à tous : circulez, les caisses sont vides. Et en quelques semaines on l’a vu dépenser des centaines de milliards. Je gage que, à tort ou à raison, certains penseront : ils nous ont menti !
A ceux qui trouveront cette référence à la planification un peu désuète…. je suggère de m’en proposer une autre ! Dans quelques mois nous allons à nouveau rentrer en période électorale. Il faut absolument éviter la démagogie qui accompagne en général ces moments-là. L’avenir du pays en dépend. Rien de moins.
Bernard Attali
Président honoraire d’Air France
Ancien chargé de mission au Plan
Ancien délégué à la Datar