Dans un même appartement, on peut toujours cohabiter sans être obligé au concubinage, estimait l’inénarrable Charles Pasqua. La cohabitation, c’est un peu cela. Des personnes opposées politiquement qui cohabitent, bon gré mal gré, dans la République.
Les puristes préfèrent envisager l’expression de coexistence institutionnelle entre un président de gauche et une majorité de droite, ou l’inverse. Il reste que cette période politique est souvent vilipendée. Or, qu’on le veuille ou non, elle reste l’expression incontestable du peuple souverain qui décide de répartir ainsi la pratique des pouvoirs. Et l’on s’aperçoit que, bien souvent, les périodes de cohabitation ont été bénéfiques pour le pays.
La Ve République a déjà connu trois cohabitations : 1986-1988, 1993-1995 et 1997-2002. Elle s’apprête peut-être à en connaître une quatrième. Rétrospective et prospective de périodes particulières à bien des égards.
1. La cohabitation fondatrice : 1986-1988
Son contexte
En cette année 1985, la France dirigée par François Mitterrand ne se porte pas bien. Mais le malaise est antérieur. Le cap socialiste fixé par ce dernier dès 1981 a généré de nombreuses réformes sociales issues des 110 propositions : 5e semaine de congés payés, retraite à 60 ans, 39 heures, augmentations des différentes allocations (chômage, logement, handicapés), du SMIC. Sur ce point il n’y a politiquement rien à redire. François Mitterrand a été élu pour cela et pour ceux-là : redonner aux plus défavorisés. A cela vont s’ajouter aussi les nationalisations et la création de 55000 postes de fonctionnaires. Sans compter les nationalisations qui coûteront 86 milliards sur 15 ans. Coût total de cette politique distributive : la dette publique passe pour 1982 de 19 à 56 milliards de francs, avec un déficit s’établissant à 96 milliards de francs (record d’Europe). Dès lors, le gouvernement doit prendre dès le printemps 1982 des mesures de rigueur. Elles n’ont pas l’heur de plaire aux électeurs. De plus, elles ne portent pas leurs fruits tant les dérapages financiers sont importants. Ce qui implique, un an plus tard, des mesures qui viennent contrôler les dépenses publiques et l’évolution de la masse monétaire. La grogne monte dans le pays.
S’il fallait un signe et un seul, c’est la défaite de la gauche aux municipales de mars 1983.
François Mitterrand et quelques visiteurs du soir s’interrogent : changer de politique économique ? Changer de gouvernement ou de Premier ministre ? Les 3 ? Lesdits visiteurs du soir (parmi lesquels Laurent Fabius, Pierre Bérégovoy et Jean-Pierre Chevènement) préconisent un changement de ligne politique. Mais aussi à Matignon où Pierre Mauroy, vieux grognard socialiste, semble avoir fait son temps.
À ces interrogations politiques s’ajoute une autre question. Depuis mai 1981 et la victoire de la gauche, le franc est régulièrement attaqué sur les marchés monétaires. Il sera à plusieurs reprises dévalué. Et puis l’Europe dénonce officiellement l’état financier de la France qui croûle sous les déficits. Le sort du gouvernement Mauroy semble sceller. Mais à la vérité, ce dernier va tomber du fait de la « guerre scolaire » autour du projet de loi Savary. Dans les 110 propositions de François Mitterrand figurait la mise en place d’un grand service public de l’éducation. Un projet de loi en ce sens fut présenté par le ministre de l’Education Alain Savary. Les défenseurs de l’enseignement libre (privé) se mobilisèrent très fortement partout en France (plus d’un million de personnes dans les rues de Paris et des centaines de milliers en province). Face à cette contestation, le projet fut finalement retiré par le président de la République lui-même (fait rarissime) en 1984. Il s’en suit donc la démission de Pierre Mauroy et de son ministre de l’Education.
Le choix de François Mitterrand pour son deuxième Premier ministre se porte alors sur Laurent Fabius, nommé le 17 juillet 1984. Le premier met en avant les qualités intellectuelles et personnelles du second, sa communauté de vues avec lui (il se nomme à Matignon, estimera Le Quotidien de Paris) et son âge, devenant le plus jeune Premier ministre de l’histoire de France (37 ans).
Il reste un peu moins de deux ans au gouvernement Fabius pour redresser la situation et aussi préparer les futures législatives.
Ce gouvernement ne fera pas autant de réformes que ceux de Pierre Mauroy. Laurent Fabius lance les Travaux d’Utilité Collective (TUC) en septembre 1984, afin de permettre aux jeunes de bénéficier de stages dans des administrations ou dans des associations, qui les préparent à leur entrée sur le marché du travail. Cela permet également de réduire artificiellement dans les statistiques le nombre de chômeurs. À la fin de l’année 1985, 180 000 TUC sont actifs, dont 40 % dans des communes. De même en 1985, est mise en place une baisse de 50 % à 45 % de l’impôt sur les bénéfices des sociétés pour celles qui consacrent leurs profits à l’auto-financement et non à la distribution de dividendes aux actionnaires.
Le gouvernement Fabius tente aussi de réformer le financement de la dette publique qui a atteint des records (31 % du PIB et – 232 milliards). En vain, pourrait-on dire. Le protégé de François Mitterrand, s’il laisse sceptique une partie de la gauche, est très vite populaire (60 % d’opinions favorables fin Juillet). Mais l’ «effet Fabius » reste limité, car il ne profite ni au Président, ni au Parti socialiste. Alain Duhamel note que « la mise en orbite de la fusée Fabius est un succès dont la planète présidentielle ne bénéficie en rien ». Cela augure mal dans l’optique des futures législatives.
La campagne de ces dernières a à peine commencé qu’un débat a lieu entre Laurent Fabius et Jacques Chirac, leader de la droite. Il tourne assez largement à l’avantage de ce dernier. Les législatives consacrent donc la victoire de la droite RPR-UDF qui obtient près de 45 % des suffrages. Celle-ci aurait pu être bien plus large si une « dose de proportionnelle » n’avait pas été imposée par François Mitterrand dans une loi électorale de 1985.
Cette dernière permet au FN de se constituer, pour la première fois sous la Ve, un groupe politique à l’Assemblée Nationale.
Son déroulement : conflictuel
C’est donc Jacques Chirac, leader de la nouvelle majorité, que le chef de l’Etat a nommé à Matignon. Le héraut corrézien avait déjà occupé la fonction de 1974 à 1976 pour ce qui fut une sorte de cohabitation avant l’heure avec VGE !
Le conflit débute avec la formation du gouvernement. Ainsi François Mitterrand s’oppose à la nomination de certains ministres, parmi lesquels Jean Lecanuet (pour les Affaires étrangères), François Léotard (Défense nationale) et Etienne Dailly (Justice).
Cette cohabitation va se dérouler à un double niveau. D’abord la politique intérieure. Etant donné la cohabitation, le président de la République n’y a plus la main. Il observe cependant avec attention, « tel un chat » dira-t-il. Et il a prévenu : « la Constitution, toute la Constitution, rien que la Constitution ». La nouvelle majorité a été élue sur un programme libéral qu’elle entend bien exécuter. Cela commence par un vaste mouvement de privatisations, en particulier de tout ce qui avait été nationalisé au début du mandat de F. Mitterrand. En 2000, on estimait que le gouvernement Chirac avait vendu pour environ 100 milliards d’actifs publics. Les privatisations marquent aussi le début d’un actionnariat populaire en France. Par ailleurs, le gouvernement Chirac supprima aussi l’autorisation préalable au licenciement économique, l’impôt sur les grandes fortunes et instaura la libre fixation des prix pour les entreprises. Précisons que le président refusa aussi de signer certaines ordonnances (découpage électoral ou aménagement du temps de travail).
Toujours au niveau intérieur, l’insécurité a grandi en France depuis 1981. Ce fut un cheval de bataille de la campagne de la droite.
Charles Pasqua a hérité de l’Intérieur où il est secondé par Robert Pandraud. Ainsi en septembre 1986, pas moins de six attentats du Hezbollah touchent Paris. La loi du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme est votée qui créé des juridictions spécialisées, ainsi que le fonds de garantie chargé de l’indemnisation des dommages corporels consécutifs à un acte de terrorisme. Une politique sécuritaire ferme (avec notamment augmentation des effectifs policiers de 6%) est alors mise en place. Ainsi pour 1986, on constate une baisse de 8% des délits et crimes. Mais ce qui coûta assez cher en termes électoraux à Jacques Chirac fut l’« affaire Malik Oussekine », ce jeune homme tué le 5 décembre 1986 suite à une charge de la brigade des voltigeurs mis en place par Charles Pasqua pour encadrer les manifestations étudiantes contre la loi Devaquet (réforme de l’Université).
Au niveau international, le président Mitterrand n’entend en revanche rien lâcher. Il est très sourcilleux sur « le domaine réservé » (affaires étrangères, armée). Jacques Chirac a mis en place une sorte de shadow cabinet sur lesdites affaires étrangères. Il s’invite même à des sommets où il n’est pas convié. Lors d’un de ceux-là, le président lâche imperturbable : « la France parle d’une seule voix, la mienne ». Le locataire de Matignon va devoir renoncer à ses ambitions en ces domaines. En matière militaire en revanche, une certaine harmonie fut de mise entre les deux têtes de l’exécutif. Les lois de programmation militaires furent toujours arrêtées, comme de coutume, par le chef de l’Etat.
Il s’avère que durant l’année 1987, et dans l’optique de la présidentielle de 1988, la popularité de Jacques Chirac est assez haute. Elle dépasse celle de François Mitterrand pendant quelques temps.
Le second tour de l’élection présidentielle de 1988 voit l’affrontement des deux duettistes de cohabitation, après l’élimination du candidat centriste Raymond Barre. Pour la première fois, un président et un Premier ministre se retrouvent adversaires lors d’un scrutin national. Le 8 mai 1988, le président sortant est réélu avec 54,02 % des voix. Sa stratégie d’épuisement de l’exécutif a fonctionné et lui a permis de revenir en grâce aux dépens de Jacques Chirac. Fin de la première cohabitation.
2. La seconde cohabitation : 1993-1995
Le second mandat de François Mitterrand va s’achever par une seconde cohabitation. Voyons d’abord le contexte avant que d’analyser le déroulement.
Le contexte
Suite à son élection, F. Mitterrand n’obtient pas de majorité absolue aux élections législatives du printemps 1988, mais seulement relative. Pour faire face à cette situation il nomme M. Rocard à Matignon, pour une sorte là encore de cohabitation déguisée. En effet une inimitié certaine lie les deux hommes depuis des années. On voit apparaître un nouveau type de ministres issus de la société civile, à l’image de l’affairiste Bernard Tapie.
La situation économique et sociale de la France se dégrade.
En mai 1991, Édith Cresson succède à Michel Rocard et 10 mois plus tard, celle-ci, impopulaire et n’ayant jamais trouvé sa place, est remplacée par Pierre Bérégovoy. L’année 1992 est marquée également par l’annonce officielle du cancer de François Mitterrand. En 1993 le taux de chômage atteint pour la première fois les 10% de la population active. Certaines « affaires » apparaissent dans la galaxie Mitterrand (Elf-Aquitaine, Dumas, Crédit Lyonnais, morts suspectes de de Grossouvre et Bérégovoy par exemple) qui perturbent le débat et l’opinion publics.
L’année 1994 est marquée par la sortie du livre de Pierre Péan sur la jeunesse de François Mitterrand et par la révélation de l’existence de sa seconde famille, et de sa fille naturelle Mazarine Pingeot. On sait depuis que le président a sciemment laissé sortir tout cela. Crise économique et sociale, « affaires », il n’en faut guère plus pour que les socialistes perdent les élections législatives de 1993. Et c’est alors la troisième cohabitation qui s’installe.
Déroulement
C’est donc Edouard Balladur (Jacques Chirac ayant « déjà donné ») que François Mitterrand appelle à Matignon pour une cohabitation qui sera bien plus apaisée que la précédente. D’abord parce que la majorité parlementaire est une des plus amples connues depuis 1958. Ensuite parce qu’Edouard Balladur est quelqu’un de plus consensuel que le Jacques Chirac de 1986. Enfin parce que François Mitterrand est un homme malade.
Au plan des affaires intérieures, le gouvernement Balladur assume l’essentiel des choix, notamment économiques. Le cap est libéral assumé et il va porter ses fruits. Mais François Mitterrand ne se prive pas de se démarquer de l’action gouvernementale quand il estime que les acquis sociaux sont menacés. Ainsi il refuse d’inscrire à l’ordre du jour de la session parlementaire extraordinaire de juillet 1993 la révision de la loi Falloux, en vigueur depuis 1850, sur le financement des investissements dans les établissements scolaires privés. Sur les affaires extérieures, même diminué, le président veille à ses prérogatives. Ainsi se pose le problème de la reprise, comme le souhaite le Premier ministre, des essais nucléaires français dans le Pacifique que refuse le Président. Ce dernier l’emporte. Se posera aussi le débat sur la nécessité d’une révision constitutionnelle pour l’application des accords de Schengen.
Il faudra des négociations ardues entre l’Elysée et Matignon pour parvenir à la révision constitutionnelle de 1993 sur le droit d’asile (art. 53-1 C.).
La dernière année de cohabitation sera prise entre deux feux. D’abord un président de plus en plus diminué par son cancer. Comme ce fut le cas dans des circonstances similaires sous G. Pompidou en 1973, E. Balladur porte souvent l’essentiel de la charge exécutive. En France il n’y a pas vraiment de règles en matière de santé présidentielle. L’art. 7 C. prévoir bien l’empêchement et l’intérim. Mais qui prend la décision ? F. Mitterrand avait juste indiqué de l’alerter au cas où il perdrait ses facultés intellectuelles. Il en alla de même pour G. Pompidou, décédé en fonction en 1974. Il en ira enfin ainsi avec l’AVC de J. Chirac en 2005.
Le second feu de cette cohabitation est le duel qui va opposer E. Balladur et J. Chirac pour la course à l’Elysée. Un « pacte » aurait été passé entre les « amis de 30 ans » : à toi Matignon, à moi l’Elysée.
Les succès du gouvernement Balladur propulsent ce dernier au firmament des sondages dès l’année 1994. L’homme de Smyrne se voit donc une destinée présidentielle. Il va être conforté par le ralliement assez inattendu des quelques chiraquiens historiques (Pasqua, Sarkozy par ex). La majorité du RPR est « balladurisé ». Mais Chirac garde quelques grognards (Séguin, Juppé) et il n’est jamais aussi fort que lorsqu’il est en campagne et arpente le pays. Alors que son adversaire n’y est pas du tout à son aise. Chirac va retourner l’opinion. Et puis il a tacitement l’aval de Mitterrand (« c’est à vous maintenant » lui dira-t-il).
Une nouvelle fois la cohabitation va s’achever par la défaite du premier ministre à l’élection présidentielle. Celle-ci sera d’autant plus humiliante qu’Edouard Balladur est battu dès le premier tour.
Jacques Chirac, après deux tentatives infructueuses, accède donc à son rêve le plus fort : l’Elysée.
3. La troisième cohabitation : 1997-2002 : la plus longue
Etudions d’abord le contexte avant que de voir le déroulement.
Le contexte
Il est tout à fait inédit puisque cette cohabitation a été en quelque sorte provoquée par le président de la République lui-même. En effet lorsqu’il est élu en 1995, J. Chirac bénéficie d’une majorité qui, bien que composée d’un grand nombre de balladuriens, n’en est pas moins acquise à sa cause. Il nomme A. Juppé à Matignon qui va proposer, dès le 15 novembre 1995, un plan plutôt austère sur les retraites et la Sécurité sociale. Dès sa présentation à l’Assemblée nationale par le Premier ministre, le plan de réforme se heurte à l’hostilité d’une grande partie de l’opinion publique. Il va s’en suivre une série de grèves qui furent à leur époque les plus importantes depuis celles de Mai 68. Le privé et le public sont touchés. On estime que le nombre moyen annuel de jours de grève en 1995 a été six fois supérieur à celui de la période 1982-1994. Le gouvernement va alléger ses réformes.
La rentrée sociale de 1997 s’annonce difficile. Et puis pointent à l’horizon les élections européennes de 1999, l’Europe devant se mettre d’accord sur la liste des pays devant participer au lancement de la monnaie unique. Dans ce contexte, le gouvernement doit absolument respecter les critères de convergence imposés par le traité de Maastricht, mais la faible croissance laisse peu d’espoir dans ce domaine. En mars 1997, alors que des enquêtes d’opinion donnent sa majorité gagnante, Chirac se rallie à la dissolution qui lui est conseillée par Dominique de Villepin et Alain Juppé (mais déconseillée par Philippe Séguin, Pierre Mazeaud et même Bernadette Chirac).
Dans sa déclaration télévisée du 21 avril 1997, le président Chirac justifie sa dissolution : « Une majorité ressourcée et disposant du temps nécessaire à l’action. […] Il faut, dès maintenant, aller plus loin sur le chemin des changements. Il faut que l’action politique monte en puissance pendant les cinq années qui viennent. Pour réussir, la France a besoin d’un nouvel élan. Cet élan ne peut être donné que par l’adhésion, clairement exprimée, du peuple français ».
Pour la première fois sous la Ve République, un président échoue sur une dissolution.
En effet avec 43,1 % des voix au premier tour, la gauche plurielle devance la majorité présidentielle (36,5 %). La logique majoritaire de notre régime est implacable : Lionel Jospin, leader de cette nouvelle majorité, est appelé à Matignon et ce pour 5 ans. Certes la légitimité présidentielle de J. Chirac n’est pas en cause, mais sa légitimité politique, si.
Déroulement de cette cohabitation
Comme nous l’a confié un jour de 1998 du fond de sa Corrèze, Bernadette Chirac, son mari de président est d’abord « extrêmement seul ». Il est également très affecté. Voire « dépressif » selon C. Pasqua.
Etant donné l’écrasante majorité dont il dispose et du repli présidentiel sur l’Aventin élyséen, Lionel Jospin et sa « dream team » gouvernementale ont les coudées franches pour agir. D’abord au niveau de la politique intérieure. Au niveau économique, sous la férule dans un premier temps de DSK, c’est le « ni…ni » : ni privatisations, ni nationalisations. Les bons résultats sont là assez rapidement. Sur le plan économique, jusqu’en 2001, Lionel Jospin bénéficie d’une période de forte croissance mondiale, qui se traduit notamment par l’envol des nouvelles technologies. De son côté, Martine Aubry pilote la réforme des 35 heures. Également est mise en œuvre une politique ciblée sur l’emploi (emplois-jeunes, prime pour l’emploi notamment). Le chômage baisse grandement (entre 1997 et 2001, il passe du taux record de 12,2 % à un plancher de 8,6 %).
De 1997 à 2001, le déficit public de la France est réduit en moyenne de 0,2 % par an en pourcentage du PIB. Ce qui ne s’était jamais vu.
Cette période faste pour l’économie française va s’arrêter en 2001, lorsque la conjoncture mondiale se retourne brutalement à la suite des attentats du World Trade Center, puis de l’explosion de la bulle Internet.
Sur le plan social, L. Jospin met en place la couverture maladie universelle et l’allocation personnalisée d’autonomie pour les personnes âgées, et fait adopter la loi Kouchner sur les droits des malades (mars 2002). La loi sur le PACS est aussi adoptée. C’est sur le volet sécurité que le gouvernement va pêcher. On relèvera la loi Guigou instaurant (enfin) un appel des jugements de Cour d’Assises et la mise en place de la police de proximité.
Si le président Chirac ne dit mot sur toutes ces mesures, il va s’associer à une réforme institutionnelle. En effet alors qu’il s’était toujours prononcé contre, il soutient l’organisation du référendum de 2000 sur la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans (le « oui » recueille 73,21 % des suffrages, mais l’abstention s’élève à 69,81 %). Ce triomphe de l’abstention pose tout de même question sur cette fausse bonne révision.
Sur la politique extérieure, un consensus se fait jour entre les deux têtes de l’exécutif (ex : guerre du Kosovo). L. Jospin n’y a aucune prétention.
C’est en 2000 que Jacques Chirac va revenir dans le jeu politique, tel un Phénix. La séquence politique ouverte à la rentrée 2000 voit les deux hommes s’opposer sur de nombreux sujets, l’Élysée critique vivement les dispositions des projets de lois de finances et de loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2002. Symétriquement, Matignon critique la volonté de l’Elysée de jouer l’obstruction.
On l’a dit en 2001, suite aux attentats de New-York, l’économie mondiale est touchée. La France n’échappe pas à la règle. Le gouvernement Jospin semble avoir mangé son pain blanc. D’autant que la majorité se fissure de plus en plus. Les Verts et le MDC contestent la politique suivie et les communistes également. La présidentielle est en vue. L. Jospin, grand favori des sondages (premier ministre le plus populaire depuis 1958), s’y prépare. Jacques Chirac aussi. À l’approche du scrutin, auquel il se représente, Jacques Chirac précise de plus en plus ses critiques et affute ses arguments. La campagne de Lionel Jospin ne décolle pas. Comme le notent un certain nombre d’observateurs, « il ne passe pas ». Il ne sait pas défendre ce qui a bien fonctionné (économie, chômage) et porte les problèmes d’insécurité comme un boulet. Alors que de son côté, le sortant « déroule » comme à son habitude en campagne.
J. Chirac arrive en tête du premier tour devant JM Le Pen. L. Jospin n’obtient que la 3e place. Il déclare alors se retirer de la vie politique.
Au second tour, le président sortant est réélu à la présidence de la République avec près de 80% des voix.
Conclusion
Que dire au moment de conclure ? Que la cohabitation n’est pas une invention d’Edouard Balladur qui l’aurait « théorisée » dans un article intitulé « Les deux tentations » paru dans Le Monde du 16 septembre 1983. Certes il explique deux scénarii dont un qui présente une situation de coexistence institutionnelle. Mais ce que l’on sait peu, c’est que c’est le général de Gaulle lui-même qui l’a imaginé ! Il le fait à deux reprises à l’occasion des législatives de 1967. Peu avant celles-ci, il l’évoque tant les résultats s’annoncent incertains. Plusieurs témoignages concordent, notamment celui d’Alain Peyrefitte. Le général de Gaulle refuse de mettre son mandat en jeu : 487 élections locales « ne peuvent prévaloir » contre la seule élection nationale. Il restera en place, affirme-t-il.
Suite aux résultats où la majorité gaulliste l’emporte de justesse, le général déclare à G.Pompidou : « Dommage ! Il aurait été amusant de voir comment on peut gouverner avec la Constitution ».
La même hypothèse est envisagée aux élections législatives de mars 1973, les premières où la gauche se présente unie sur la base d’un programme de gouvernement. Georges Pompidou refuse alors de dire quelle sera son attitude en cas de victoire de l’opposition (conférence de presse du 9 janvier 1973).
Le 27 janvier 1978 à Verdun-sur-le-Doubs, VGE annihile une éventuelle cohabitation en déclarant : « Vous pouvez choisir l’application du programme commun. C’est votre droit. Mais si vous le choisissez, il sera appliqué. Ne croyez pas que le président de la République ait, dans la Constitution, les moyens de s’y opposer ». Tout est dit.
Qu’en sera-t-il en 2022 ? Nous pensons qu’une quatrième cohabitation peut advenir. Elle sera soit avec une majorité NUPES, soit de façon moins probable avec une majorité RN et encore de façon plus incertaine avec LR. Comme le veut la règle, dans la première hypothèse ce sera JL Mélenchon à Matignon, et dans la seconde ce sera Marine Le Pen. Vu l’état de LR, il y a peu de chances d’y voir M. Jacob ! En tout état de cause si cohabitation il y a, elle sera très conflictuelle.
Raphael Piastra
Maître de Conférences en droit public des Universités